Textes de méditation
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Auteur :
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Vénérable Louis Dupont
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Source :
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Livre III, méditation VII.
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Difficulté de lecture :
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♦♦ Moyen
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La vocation de tous les hommes à se renoncer eux-mêmes à porter leur croix et à suivre Jésus-Christ
Le Fils de Dieu, dit saint Jean, est venu sur la terre pour détruire les œuvres du démon (Jean, III, 8). Cette pensée de l’apôtre bien-aimé nous fournira le sujet de la méditation présente. On verra, d’un côté, comment l’ennemi mortel du genre humain appelle autour de lui la foule des méchants, et les excite à se révolter contre Jésus crucifié ; de l’autre, comment ce même Jésus invite tous les hommes à Le suivre et à se ranger sous Son étendard. Comparant ensuite ces deux appels l’un avec l’autre, on examinera auquel des deux il est juste et avantageux de se rendre. Cette méditation et la suivante ("des trois classes d’hommes") seront très utiles aux personnes qui délibèrent sur le choix d’un état de vie, et désirent connaître celui qui est le plus convenable à leur salut.
L’appel de Lucifer
Premièrement. Je me représentera! Lucifer, prince de ce monde (Jean, XIV, 30),assis dans une chaire élevée, toute de feu et de fumée. Ses traits sont horribles, et son aspect épouvantable ; il est environné d’une multitude d’esprits infernaux, les maîtres de ce siècle de ténèbres (Ephes., VI, 12) ; tous, d’un commun accord, forment le dessein impie de déclarer la guerre à Jésus-Christ et de lever un étendard opposé celui de la croix. Pour réussir dans leur sacrilège entreprise, ils inventent mille moyens de tromper les hommes, et de les engager dans les trois vices que saint Jean appelle, la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux, et l’orgueil de la vie (I Jean, II, 16). Ils les attaquent d’abord par la concupiscence de la chair, d’où procèdent la gourmandise et l’impureté ; puis par la concupiscence des yeux, qui est mère de l’avarice et de l’ambition ; et enfin par l’orgueil de la vie, passion furieuse de se voir au-dessus des autres, accompagnée d’une présomption extrême, et d’un attachement opiniâtre à son propre sens. Ce vice est nommé orgueil de la vie, parce qu’il est vivace, inquiet, d’une activité incessante, croissant toujours (Ps., LXXIII, 23), et donnant naissance à tous les autres vices et péchés qui inondent la terre.
Secondement. Je me figurerai avec quelle rage les démons parcourent toutes les contrées de l’univers, sans en excepter un seul point, cherchant partout une proie à dévorer (I Pierre, V, 8). Tantôt, comme des lions, ils attaquent les hommes à force ouverte et par de violentes persécutions ; tantôt, comme des serpents, ils s’efforcent par des raisons apparentes et trompeuses de les séduire et de les attirer à leur service (Saint Augustin, Enarrat in Ps., LXIX, n. 2). Les ravages qu’ils exercent dans le monde entier ne peuvent se décrire, et le nombre des hommes qui se joignent à eux est comme infini (Apoc., XII, 9). Les uns se laissent charmer par la volupté ; les autres sont pris à l’appât des honneurs et des richesses ; d’autres enfin tombent dans le piège de l’orgueil ; et tous ensemble s’enrôlent sous l’étendard de Satan. Voilà ceux que saint Paul appelle, non sans pleurer amèrement, les ennemis de la croix de Jésus-Christ, qui n’ont d’autre Dieu que leur ventre, qui mettent leur gloire dans leur ignominie, dont la fin sera la perdition (Philipp., 18-19). Pour moi, pénétré des sentiments du grand apôtre, je verserai des larmes de compassion sur ces âmes malheureuses qui suivent aveuglément le démon ; je me demanderai avec étonnement comment il se peut faire que tant d’insensés servent un maître dont ils ne peuvent attendre, pour récompense, que les supplices de l’enfer. Puis réfléchissant sur ma vie passée, ou présente, je pleurerai à la pensée que je n’ai point échappé à cette commune fascination, et je supplierai Notre-Seigneur de m’en délivrer pour jamais.
L’appel de Jésus-Christ
Je me représenterai ensuite Jésus-Christ Notre-Seigneur assis en un lieu humble ; Son visage respire la bonté et la douceur ; Il est environné de Ses disciples et d’une grande foule de peuple, et Il dit à tous : Si quelqu’un veut venir après Moi, qu’il renonce à soi-même, qu’il porte sa croix tous les jours et qu’il Me suive (Marc, VIII, 34 ; Luc, IX, 23).
Premièrement. Par ces paroles, Jésus exhorte tous les hommes à embrasser trois choses directement opposées à celles que le démon leur propose.
En premier lieu, Il veut qu’ils renoncent à eux mêmes, en mortifiant la triple concupiscence, avec les vices qu’elle traîne après elle ; c’est-à-dire, qu’ils répriment l’amour des plaisirs sensuels, le désir des richesses, la passion de l’honneur et l’orgueil de l’esprit ; qu’ils aient une entière abnégation de leur jugement et de leur volonté propre, sans jamais présumer d’eux-mêmes, ni souhaiter d’être élevés au dessus des autres.
En second lieu, Il les encourage à porter leur croix, à prendre sur eux ce qu’il y a de plus contraire aux trois convoitises du monde, c’est-à-dire à s’exposer de bon cœur à toutes sortes de travaux, de souffrances, de privations, d’humiliations et de mépris ; car la croix spirituelle de Jésus-Christ, comme Sa croix matérielle, se compose de trois pièces, qui sont la pauvreté, le mépris et la douleur ; et chacune ces pièces renferme elle-même beaucoup d’autres sortes de peines. Cette croix, il faut la porter tous les jours, en recevant chaque jour ce qu’elle procure de souffrances, avec un courage qui se soutienne jusqu’à la mort.
En troisième lieu, Jésus commande aux hommes de Le suivre, en imitant Ses vertus, en pratiquant à Son exemple une abnégation parfaite d’eux-mêmes, en portant la croix qui leur est échue en partage. Car il ne faut pas espérer de trouver place parmi Ses disciples, ni d’être admis dans Sa compagnie, si l’on est résolu de se ranger sous Son étendard qui est celui de la croix. Quiconque, dit-Il, ne se charge pas de sa croix, et ne Me suit pas, est indigne de Moi et ne peut être Mon disciple (Luc, XIV, 27 ; Matth., X, 38).
Secondement. Je considérerai combien est fondé en raison l’appel de Jésus-Christ. Car, s’il est vrai que je sois pécheur, et enclin au vice dès ma naissance ; n’est-il pas juste que je me renonce moi-même, que je travaille à mortifier mes mauvaises inclinations, pour me délivrer des maux qui en sont la suite ? Si les délices, les richesses, les honneurs, les dignités mondaines sont des amorces du péché ; n’est-il pas raisonnable que j’en détache tout à fait mon cœur, pour me préserver du malheur d’offenser Dieu ? S’il m’est impossible de me soustraire en cette vie mortelle aux travaux aux fatigues, aux tribulations, à la douleur ; quoi de plus sage que de faire de nécessité vertu, d’accepter ma croix de bon cœur et de mériter, en la portant avec courage un bonheur qui n’aura point de fin ? Enfin, si Jésus-Christ est venu du ciel sur la terre pour trouver la croix, pour embrasser la pauvreté, les souffrances et les opprobres ; croirai-je trop faire en suivant l’exemple de mon capitaine, de mon roi, de mon Dieu ?
O glorieux conquérant des âmes, puisque Vous me commandez de renoncer à moi-même, venez m’aider à me combattre moi-même ; car pour me vaincre, j’ai besoin d’un aide qui soit plus fort que moi. Vous voulez encore que je porte ma croix tous les jours, fortifiez-moi donc chaque jour par Votre grâce, de peur que je ne tombe sous le poids d’un si pesant fardeau.
Motifs de se rendre à l’appel de Jésus-Christ
Premièrement. Je réfléchirai sur les trois puissantes raisons apportées par Notre-Seigneur pour nous persuader de répondre à son appel.
Voici la première : Celui qui voudra sauver sa vie, la perdra ; et celui qui perdra sa vie pour l’amour de Moi, la sauvera (Matth., XVI, 25). C’est-à-dire : Votre salut et votre bonheur éternel dépendent du soin que vous aurez de renoncer à vous-mêmes, de porter votre croix et de Me suivre, jusqu’à sacrifier pour cela, s’il est nécessaire, votre propre vie comme j’ai sacrifié la Mienne. Si vous la donnez de cette sorte, ne croyez pas qu’elle soit perdue ; car Je la changerai en une autre infiniment meilleure, et éternelle. Je puis me figurer de même que Jésus-Christ me dit : Si vous perdez à cause de Moi vos richesses, votre honneur, vos plaisirs, vos amis, vos biens temporels, vous les trouverez plus tard ; et au contraire si vous voulez guérir ou conserver quelques-uns de ces avantages contre Ma volonté vous les perdrez, et de plus vous perdrez votre âme pour toujours.
La seconde raison est comprise d’ans ces paroles : Que sert à l’homme de gagner tout l’univers, et de perdre son âme? S’il vient à la perdre, que donnera-t-il pour la racheter (Matth., XVI, 26) ? Le Sauveur semble dire : Si, au lieu de vous montrer dociles à Mon appel, vous écoutez les suggestions perfides de Satan, vous êtes perdus sans retour et alors de quoi vous serviront vos plaisirs, vos richesses, vos grandeurs ? Demandez-le aux réprouvés qui brûlent dans les enfers ; ils vous répondront du milieu des flammes : Malheur à nous ! Quel fruit avons-nous retiré de notre orgueil ? Quel avantage nous a procuré la vaine ostentation de nos richesses ? Que sont devenus pour nous les plaisirs, les honneurs, les dignités, et tous les biens de la terre ? Ils se sont évanouis comme l’ombre ; et il ne nous reste plus, pour juste châtiment de nos crimes, qu’une éternité de tourments (Sap., V, 8-9).
La troisième raison est à la fois une menace et une promesse. Le Fils de l’homme viendra dans la gloire de Son Père, avec Ses anges, et alors il rendra à chacun selon ses œuvres (Matth., XVI, 27). Par ces paroles, Jésus semble dire : Environné de Mes anges, précédé de Mon étendard, Je viendrai un jour juger le monde. Ceux qui auront refusé de porter Ma croix avec Moi, Je les condamnerai au feu éternel, où ils brûleront dans la compagnie des démons dont ils auront suivi la bannière ; quant à ceux qui auront écouté Mon appel et embrassé Ma croix, Je les introduirai à Ma suite dans la gloire de Mon Père.
Secondement. Après avoir médité sérieusement ces trois raisons, je comparerai l’appel de l’ennemi des hommes avec l’appel du Sauveur du genre humain ; la fin désastreuse de ceux qui suivent le premier, avec la fin heureuse de ceux qui écoutent le second. Puis, persuadé qu’il est impossible, selon la parole du Rédempteur, de servir à la fois deux maîtres, Dieu et l’argent, Jésus-Christ et le monde ; impossible de combattre en même temps sous deux capitaines qui se font une guerre implacable ; je fermerai mes oreilles aux suggestion du tentateur, et je les ouvrirai à la voix de mon chef légitime, qui m’exhorte à me renoncer moi-même, à porter ma croix et à Le suivre. Pour me déterminer plus efficacement à exécuter cette résolution, je me demanderai lequel des deux maîtres je voudrais avoir suivi quand je serai sur le point de rendre le dernier soupir, et de paraître, pour y être jugé, au tribunal de Jésus-Christ ; ce que je voudrais en ce moment suprême avoir choisi, les richesses ou la pauvreté, les honneurs ou les mépris, la jouissance ou la souffrance, l’accomplissement de ma volonté propre ou l’abnégation de moi-même ; et le choix que je désirerais avoir fait, je le ferai dès maintenant.
Troisièmement. A la pensée de la mort et du jugement, bien capable assurément de nous éclairer et de nous aider à faire un bon choix, ajoutons encore une réflexion. Le démon, il est vrai, nous promet des plaisirs, des richesses, des honneurs, le repos et la liberté ; mais nous donne-t-il ce qu’il nous promet ? Les douceurs dont il flatte notre espérance sont mêlées de tant d’amertumes, qu’elles sont en réalité un supplice, et que les damnés eux-mêmes confessent en enfer qu’ils ont marché par des chemins difficiles, qu’ils se sont lassés dans la voie de l’iniquité (Sap., V, 7). Le Fils de Dieu, au contraire, ne nous parle que de croix et d’abnégation de nous-mêmes ; mais ces croix nous sont préparées par la main d’un Père ; elles sont proportionnées à nos forces, et accompagnées de tant de douceurs et de consolations célestes, qu’elles deviennent, on peut le dire, suaves et agréables : en sorte que ceux-là mêmes qui ont suivi longtemps le parti du démon, éprouvent un bonheur inexprimable lorsqu’ils reviennent au service de Jésus-Christ. C’est pourquoi ce maître si bon adresse à tous les hommes ces encourageantes paroles : Venez à Moi, vous tous qui êtes chargés et fatigués, et Je vous soulagerai. Prenez Mon joug sur vous ; apprenez de Moi que Je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos de vos âmes : car Mon joug est doux, et Mon fardeau est léger (Matth., XI, 28-30). C’est-à-dire : Quoique que Mon joug soit abnégation, il est doux ; quoique Mon fardeau soit une croix, il est léger : pourvu toutefois que vous soyez doux et humbles comme Moi ; car je donne Ma grâce aux humbles, et ma grâce a la vertu de rendre doux et léger ce qui est de soi amer et pesant.
O Maître plein de douceur, qui avez porté sur Vos épaules et ma croix et celle de tous les hommes ; accordez-moi d’être docile à Votre appel et d’embrasser de grand cœur les travaux de la croix, laissant à Votre providence le soin de me les rendre supportables ; inspirez-moi de choisir dès à présent ce que je voudrais avoir choisi au moment de la Mort, afin que, à l’heure, où Vous me jugerez, je reçoive de Votre main la couronne de gloire. Ainsi soit-il.