La présence des absents : Différence entre versions

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  | auteur                        = Apostolus
 
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  | date de publication originale = 1er septembre 1935
 
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Version actuelle datée du 10 mars 2011 à 16:23

Vie spirituelle
Auteur : Apostolus
Source : Revue "La Vie Spirituelle" n°192
Date de publication originale : 1er septembre 1935

Difficulté de lecture : ♦ Facile

L'autre jour, jetant les yeux sur un des petits bulle­tins apostoliques, humbles et solides, comme il y en a des centaines en ce pays, j'y ai rencontré cette phrase paradoxale, mais si suggestive par la secousse qu'elle vous donne. Il s'agissait « des mouvements spéciali­sés ». Chacun connaît ces groupements ouvriers, agri­coles, étudiants, etc..., désignés par des initiales qui, par une heureuse rencontre, forment des syllabes, et même sont des racines. Exposant la spiritualité de ces groupements que je connais mal, un auteur que je ne connais pas concluait par cette formule bien étonnante. "Le groupe n'est donc pas fait uniquement pour ceux qui s'y réunissent. On peut dire qu'il est fait avant tout pour ceux qui n'y viendront jamais."

Et voici ce que j'ai cru comprendre :

Il y a deux manières de concevoir un groupe. Un philosophe contemporain aurait dit : il y a la manière close et la manière ouverte.

Ou, si vous voulez, deux images, deux structures opposées et, pour ainsi parler, de signe contraire peuvent être virtuellement présentes chez les fonda­teurs, les animateurs, les participants d'un groupement, l'image que j'appellerais défensive et l'image que l'on pourrait nommer vitale.

L'image défensive est tirée, je crois, de l'art mili­taire. Qu'on le veuille ou non, on se représente le groupe comme une place assiégée, où les purs se sont barricadés, et où ils résistent aux assauts des incrédu­les. Dans cette hypothèse, il est quasi forcé que ceux du dehors soient tenus pour des ennemis. On songe à la riposte plus qu'à la conquête et à l'assimilation. On ne conçoit la paix que dans la victoire et la soumission des adversaires préalablement humiliés.

L'image vitale est différente. Le groupe s'y figure par un germe : il est tout petit, ce germe, tabernacle de la vie, - mais, si minuscule qu'il soit, il contient tous les organes qui doivent assurer sa croissance. Il a la puissance de s'assimiler les vertus du ciel et les vertus du sol : il grandira, il se multipliera. Ainsi est le groupe vital. Au début il peut ne compter que deux ou trois êtres humains, mais en espérance et, si j'ose dire, en droit, il enferme une invisible multitude. Tou­jours complet et un, puisqu'il a la vie, il se tient tou­jours pour fractionnaire et incomplet, puisqu'il n'a jamais le nombre; et c'est pourquoi, même tout petit, il est très grand; même très grand, il se juge petit.

Il n'est guère contestable que l'Église catholique ait été fondée selon cette dernière conception : il n'y a qu'à relire les paraboles où les images tirées de la semence et de la croissance sont si nombreuses.

Mais il est certain aussi qu'à certaines périodes de son histoire et notamment depuis la Réforme, lors­qu'elle recevait de si durs assauts, surtout lorsque la pureté de la foi était menacée de s'altérer, l'Église a été obligée de se fermer sur elle même et d'apparaître comme l'arche en plein déluge. Mais peut-être sommes-­nous au moment où la colombe revient et où il faut sortir de l'arche. L'aspect défensif, si long qu'il soit, n'est pas normal : même si une guerre dure cent ans, cela ne peut faire que l'état de guerre soit normal. Si le groupe, par moments (moments qui peuvent durer des siècles), doit préserver, son essence est d'assimiler et de conquérir.

Autrefois, donc, quelques chrétiens réunis autour de l'Apôtre, mais ces chrétiens ont très vite conscience d'être non pas une petite église, mais une cellule de l'Église, ce grand corps promis à l'espace et aux temps. Ils savent donc qu'ils ont l'humanité derrière eux, à côté d'eux, même si elle n'est point localement là. Et l'Apôtre explique qu'il se fait « tout à tous » : qu'il parle à chacun le langage qui lui convient, Grec aux Grecs, Juif aux Juifs, afin que l'Église soit habitable à tous les hommes de bonne volonté. Les grands pré­sents de ces premières communautés ce sont tous les hommes, et pourtant, il n'y en a qu'une poignée dans cette chambre haute ou dans cette échoppe.

Mais, comment se représenter ces groupes modernes où les présents sont souvent des absents? Je vois chez eux le constant souci d'éviter les gestes, les paroles, les commentaires, les citations qui pourraient choquer inutilement nos frères invisibles. Quand on a un invité chez soi, la simple politesse, cette forme commune de la charité, veut qu'on change le ton de l'entretien familial. Éviter de choquer inutilement, cela ne veut pas dire qu'on ne parlera jamais des objets de la foi, bien au contraire; mais cela veut dire qu'en parlant de la foi, on évitera de paraître condamner ceux qui ne la possèdent pas, et qu'on cherchera toujours à la rendre belle, juste, raisonnable et désirable. Beaucoup d'incroyants sont des croyants qui s'ignorent : beau­coup détestent la caricature qu'on leur a présentée. Détester une caricature, c'est un hommage inconscient au modèle: on prouve par là qu'on l'aimerait, ce modèle, s'il vous était montré dans sa pureté. Il faudrait donc parler de la foi dans un langage propre à le faire com­prendre et sous un aspect propre à le faire aimer. Même si l'incroyant n'est pas dans la salle, on fera en sorte qu'il y soit en esprit, et que rien ne soit dit qui puisse lui donner une mauvaise idée du chrétien. La place est vide, mais d'un vide qui ressemble au creux de l'oreille. Le monde écoute aux portes.

Des remarques analogues auraient leur raison d'être dans le domaine de l'intelligence. Si nous songions toujours aux absents dans les traités de religion, ou les conférences apologétiques, tout en disant les mêmes choses nous les dirions peut-être autrement. On a retrouvé dans les papiers intimes de Cardinal Newman cette pensée qui est aussi un programme : « Il faut que l'Église soit prête pour les convertis, aussi bien que les convertis pour l'Église. » Ici encore, les absents, il faut qu'ils soient toujours présents à l'ho­rizon de la pensée. Et nous rejoignons par un autre biais le paradoxe auquel il ne faudrait changer qu'un mot pour le rendre exact :

« Le groupe n'est donc pas fait uniquement pour ceux qui s'y réunissent. On peut dire qu'il est fait avant tout pour ceux que nous n'y verrons jamais. »

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