Lettre-réponse inédite du P. J.-H. Nicolas : Différence entre versions
De Salve Regina
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Version actuelle datée du 18 décembre 2012 à 23:19
Christologie | |
Auteur : | Père Jean-Hervé Nicolas |
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Source : | Document personnel retrouvé dans un livre |
Date de publication originale : | Lettre du 21 mars 1954 |
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Difficulté de lecture : | ♦♦♦ Difficile |
Remarque particulière : | Lettre réponse inédite (du Père Nicolas au Père Garrigou, à propos de l'article La possibilié de l'Incarnation, annotée à la main par le P. Garrigou-Lagrange |
Mon très révérend Père,
Je suis très en retard pour vous remercier du tiré à part de votre article de l’Angelicum[1] que vous avez eu la grande bonté de m’envoyer. Je vous prie de m’en excuser.
Je ne vous dirai pas que mon retard provient du temps qu’il m’aurait fallu pour le lire, car vous vous doutez bien que je l’avais lu et avec la plus grande attention dès l’arrivée de la livraison de la Revue qui le contient. C’est bien plutôt l’ennui et la confusion de n’avoir pas été convaincu et de demeurer en désaccord avec vous sur un point important de la théologie qui m’a fait remettre de jour en jour, au point d’en être impoli cette lettre que je vous devais.
Il ne me semble pas que ce désaccord soit sur l’important[2], et il va de soi que je me sens incomparablement plus proche de vous que du Père Galtier par exemple, bien qu’il enseigne la dualité des existences dans le Christ : mais dans un sens que je n’admet pas.
Vous connaissez les graves objections qui m’empêchent d’admettre l’unité d’être dans le sens des thomistes depuis Cajetan. Toute la métaphysique de la distinction réelle entre l’essence et l’existence repose sur la notion d’une composition réelle[3] entre ces deux éléments de l’être, et d’une réception de l’esse par l’essence. Cf.s.Th. Iaq.3 a. 4 : "Si igitur ipsum esse rei sit aliud ab ejus essentia necesse est quod esse illius rei sit causatum vel ab aliquo exteriori vel a principiis essentialibus ejusdem rei" S.Th. exclut formellement que Dieu puisse jouer à l’égard de la créature le rôle d’esse : "Dicendum quod deitas dicitur esse omnium effective et exemplariter, non autem per essentiam"(Iaq.III,a.8 ad1) : "neque est possibile Deum aliquo modo in compositionem alicujus venire, nec sicut principium formale nec sicut principium materiale"(ib.corp.) Et le rôle de l’esse d’entrer en composition et d’être contracté par l’essence ou. il est reçu, limité par elle, est formellement enseigné au moins dans le texte capital où s.Th. parle de la limitation de toute créature (Ia q.7, a.2.) : "quia forma creata sic subsistens habet esse et non est suum esse necesse est quod ipsum ejus esse sit receptum et contractum ad determinatam naturam ; unde non potest esse infinitum simpliciter." D’ailleurs quel est le sens métaphysique de la thèse de la distinction réelle sinon d’assurer en toute créature une composition réelle, la parfaite simplicité étant l’apanage de Dieu seul ?
Mais si l’esse entre en composition avec l’essence, comment admettre encore que l’esse de Dieu fasse formellement exister l’humanité du Christ ?
La comparaison cajetanienne avec la vision béatifique me paraît se retourner contre la thèse qu’elle veut défendre : car c’est le propre de l’union intelligible de s’accomplir sans aucune modification de la chose connue : "actus perfecti" ; l’union réelle modifie et la puissance de celui qui reçoit, qui devient en acte, et l’acte reçu, qui est limité par cette puissance.
Enfin comment pourra-t-on dire encore que l’humanité du Christ est créée si elle ne reçoit aucun esse ? Le terme formel de l’acte créateur est indéniablement l’esse.
Je m’excuse de vous redire encore ces objections. Mon seul but est de vous montrer que ce n’est pas à la légère que je me sépare sur ce point particulier de tant de grands thomistes et de vous-même S’il est possible de résoudre ces difficultés, je ne demanderai pas mieux que de me ranger à l’opinion commune.
J’ajoute que je ne pense pas me séparer de s.Thomas dans la IIIa q.17 a.2, pas plus qu’il ne se contredisait lui-même quand, à peu près à la même époque il enseignait dans la qu. disp."de Verbo incarnate" que l’humanité du Christ avait un esse second et créé. Car il n’y a qu’un étant, le Verbe, et cet esse creatum ne s’ajoute pas plus à son esse que la nature humaine n’augmente sa personnalité. C’est par là que je me sens très éloigné de ceux qui veulent trouver dans le Christ un sujet humain distincte comme je l’ai exposé dans le C.R. que j’ai donné de la controverse Parente-Galtier.
M’excusant encore et de cette longue lettre, et de ce désaccord, si rare, avec votre enseignement, je vous prie d’agréer, mon révérend père, l’expression respectueuse de mes sentiments entièrement dévoués en Notre Seigneur,
J-H Nicolas
Notes manuscrites du Père Garrigou-Lagrange : (inédit)
1°) « la métaphysique de la distinction entre l’essence finie et l’existence repose, dites-vous, sur leur composition et la réception de l’esse par l’essence ». – Elle repose surtout, comme le montre le P. del Prado sur cette vérité : Solus Deus est suum esse, nulle essentia creata est suum esse, et nullum suppositum.
2°) S. Thomas n’a pas exclut formellement que rien puisse jouer à l’égard d’une essence finie le rôle d’esse. Le dogme demande que nous admettions que la personne du Verbe termine et possède l’humanité du sauveur, et l’existence du Verbe suit la personnalité de celui-ci (IIIa q17 a2). Si donc la personnalité du Verbe peut terminer et posséder l’humanité du sauveur, de même l’existence du Verbe, comme l’âme, communique son esse au corps au moment de la résurrection.
3°) Autrement l’humanité du Sauveur aurait son esse proprium, qui est ultima actualitas et ne pourrait être unie au Verbe qu’accidentellement, ce qui revient vers la position de Nestorius, cf. IIIa q2 a6 ad 2um où il est dit : « Humanitas Christi trahitur ad esse Verbi ».
4°) Ce qui est impossible d’après S. Th. Ia q3 a8, c’est que Dieu soit forme informante d’une nature finie, et nous sommes loin de nier ce qui est dit Ia q7 a2, quia humanitas Christi non est suum esse, sed sicut terminatur et possidetur per Personam Verbi, ita per esse personale Verbi, sicut corpus redivivum per esse animae.
5°) La comparaison avec la vision béatifique n’a pas été inventé par Cajetan. Elle se fonde sur IIIa q16 a6 ad 2um. C’est un des problèmes des plus difficiles et je n’oserais me séparer ici des plus grands thomistes.