L'encyclique Humanae vitae et la conscience

De Salve Regina

Révision datée du 19 janvier 2013 à 22:40 par Abbé Olivier (discussion | contributions) (Page créée avec « {{Infobox Texte | thème = Questions de morale sur le mariage | auteur = Abbé V.-A. Berto | source =... »)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)

==L'ENCYCLIQUE HUMANAE VITAE ET LA CONSCIENCE « Ce qui n’est pas infaillible est faillible », ainsi s'énonce doctement le docte Docteur oraison. il est court sur le syllogisme, mais, pour les inférences immédiates, c’est un homme qui ne s'en laisse pas conter ; c'est un Aristote, et vous le voyez persuadé que deux contradictoires ne peuvent être ni vraies ni fausses ensemble : ce qui n'est pas infaillible est faillible. Le docte Oraison doctoraisonne là-dessus. Quelqu'un lui aura dit que l'Encyclique Humanae vitæ n'est pas infaillible. Donc elle est faillible, donc elle est discutable, donc elle est contestable, donc elle ne requiert point d'assentiment interne, donc elle n'est point norme prochaine du jugement, donc elle ne lie point la conscience ; donc, donc, donc... et voilà une pluie, une cascade, une cataracte d'inférences qui ne sont plus du tout immédiates, mais il ne s'en aperçoit pas, il est à cheval sur son bidet du Monde, il brandit son sabre de bois contre l'Encyclique ; j'ai déjà dit qu'il est court sur le syllogisme, aussi ne s'y aventure-t-il pas. On demande à raisonner ; point d’affaire : le docte Oraison doctoraisonne, c’est tout le contraire. Laissons là ses doctoraisonnements, et raisonnons.
*
* *


D'abord, en matière morale, il est le plus souvent impossible de parvenir à un jugement pratique non seulement infaillible, mais seulement certain ; il suffit d'un jugement probable, de ce qu'on appelle une opinion. La certitude admet des degrés. Le plus haut degré, degré surhumain, est la certitude de foi ; par exemple qu'il y a trois personnes en Dieu. Puis viennent les certitudes rationnelles : certitude métaphysique, que le tout est plus grand que la partie ; certitude mathématique, que, admis le postulat d'Euclide, la somme des angles d'un triangle est égale à deux droits ; certitude physique, que, sauf miracle, un mort ne ressuscite pas ; certitude morale, que Napoléon a été vaincu à Waterloo. Dans les trois premiers cas, la crainte que le contraire ne soit vrai, formido oppositi, est tout à fait exclue. Dans le cas de la certitude morale, C'est seulement la crainte prudente, prudens formido oppositi, qui est exclue : car je puis supposer que tous les historiens se sont trompés ou m'ont trompé en me disant que Napoléon a été vaincu à Waterloo, mais cette crainte ne serait pas « prudente » ; elle serait « imprudente », disons déraisonnable.


Remarquons ici que la certitude morale n'est pas du tout la même chose que la certitude en matière morale : il y a des certitudes métaphysiques en morale, par exemple qu'il faut faire le bien et éviter le mal; et inversement il y a des certitudes morales ailleurs qu'en morale, en histoire, en psychologie, partout où on n'arrive à exclure que la crainte raisonnable du contraire, sans parvenir à exclure une crainte déraisonnable. Beaucoup de maladies mentales, un bon nombre de névroses en particulier, ne sont autre chose que l'impuissance où le sujet s'est mis d'exclure des craintes déraisonnables. S'assurer vingt fois qu'on a bien fermé une porte, bien timbré une enveloppe, c'est le signe qu'est menacée la fragile frontière qui sépare le normal du pathologique; un pas de plus, on doutera si Napoléon a été vaincu à Waterloo, ou si les gens dont on est entouré ne sont pas tous occupés uniquement de vous nuire. En matière morale cette fois, le scrupule non plus n'est autre chose que cette étrange incapacité d'exclure la crainte déraisonnable du contraire.


Pourquoi ? Parce qu'ici l'intellect n'est pas seul en cause : il faut une intervention du vouloir. L'expression même de certitude morale vient de là ; dans le langage thomiste, est « moral » tout ce qui, à un titre quelconque, relève de la volonté, laquelle n'a pas seulement à s'exercer en matière morale, nous venons de le voir. Son intervention, dans les cas ci-dessus rappelés, est à la vérité imperceptible dans un psychisme sain : c'est un verrou fermé, dont on n'a pas à s'occuper. Mais que le verrou saute, et c'est l'irruption de tous les doutes morbides qui font pression de l'extérieur : preuve qu'il y avait bien un verrou, c'est-à-dire que dans la certitude morale, la volonté a sa part. C'est ce que la grossière psychologie des modernes ne démêle pas, mais ici nous sommes en thomisme.


Cependant, il arrive, notamment en matière morale, que la formido oppositi, la crainte du contraire, ne soit nullement déraisonnable, mais au contraire prudente et raisonnable, et alors elle a droit d'entrer, droit d'être intrinsèque au jugement pratique. Le verrou doit être retiré. Si on le maintient, c'est un coup de force illégitime. Ce n'est pas de quoi ne pas juger, seulement ce ne sera qu'un jugement intrinsèquement affecté d'une faiblesse, un jugement probable, une opinion au sens propre et formel du mot. Et plus la matière est contingente, plus nombreux seront les cas où on devra s'en tenir là. C'est une ascèse, ne nous y trompons pas. On ne peut lire un journal, encore moins entendre un discours de politicien, sans y rencontrer des propos tout juste probables et qu'on nous présente comme des certitudes: la passion a fourni l'appoint. Fureur de convaincre, vanité d'avoir le dernier mot, et plus fréquemment encore, dans notre vie intérieure, entêtement à nous débarrasser d'une crainte importune, violence exercée par nous-même sur nous-même, péché contre l'intelligence qui, laissée à elle-même ne dirait que : c'est probable, mais qu'on ploie de force à dire : c'est sûr. Péché dont on ne s'accuse guère, et pourtant... et ceci nous entraînerait trop loin.


Mais prenons une âme droite et qui, placée devant le hic et nunc, n'arrive pas à sortir du probable ; cela arrive à chaque instant. Puisque nous sommes un «père de jeunesse», considérons un cas devant lequel nous nous trouvons très souvent, et que d'ailleurs nous ne résolvons pas toujours de la même manière, parce que les probabilités contraires ne s'élident pas. Nos seigneurs nos enfants sont en récréation. Dans un angle mort de la cour, hors de la vue de la personne qui surveille, mais à notre propre vue, sous nos fenêtres, Pierre et Lionel se prennent de querelle, et Pierre vient aux coups. Ho ! Ho ! En esprit de géométrie, nulle difficulté, il faut intervenir sur le champ, et calotter Pierre. Mais en esprit de finesse ? Pierre, mal tourné depuis huit jours, prendra la punition de travers, ne reconnaîtra pas son tort. Fermer les yeux ? Attendre quelques jours, par exemple jusqu'à ce qu'il vienne se confesser, et lui faire alors une monition qui « entrera », qui ne glissera pas comme de l'eau sur une toile cirée ? Mais comme, lâchant Lionel, Pierre vient de se retourner et de m'apercevoir, n'imputera-t-il pas mon inaction à faiblesse ? Ce n'est pas là une crainte déraisonnable, je ne peux pas, je n'ai pas le droit de l'éliminer. Tant pis ! Une rapide invocation au Saint-Esprit, et je pense qu'il est probable que, tout compte fait, mieux vaut surseoir. Probablement, puisque, encore une fois, je ne puis éliminer la crainte raisonnable du contraire, prudens formido oppositi, à savoir qu'une sanction soudaine serait préférable. Le tout, en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, il me faut me former une conscience sur-le-champ. Ma conscience, ou, ce qui revient au même, la formation du dernier jugement pratique, qui n'est que probable, est-elle conforme à la règle suprême des actes humains, qui est la Sagesse Divine ? La réponse est oui, puisque mon infime sagesse, à laquelle l'avenir est caché, à laquelle se trouve refusé le temps d'une plus longue réflexion (qui du reste ne ferait le plus souvent que me confirmer dans mon incertitude, si ces mots ne jurent pas d'être ensemble) ne parvient pas à sortir de la catégorie du probable, ayant fait ce qu'elle a pu, ne répond pas devant Dieu de n'avoir pu davantage; Dieu réparera dans sa Sagesse éternelle, à laquelle sont présentes toutes les différences des temps, les insuffisances de la mienne : il faut aussi faire confiance à Dieu !


Ce n'est point là être « probabiliste », au sens que le mot a pris depuis Barthélémy de Médina; nous sommes très éloigné de l’être, et sur ce point le P. Vermeersch S. J., notre vénéré maître, ne nous a pas persuadé. En 1925, travaillant comme on travaillait alors au Séminaire français, c'est-à-dire nous crevant d'ouvrage, nous donnâmes à nos confrères, sous les yeux et du gré de notre autre maître encore plus vénéré le P. Le Floch C. S. Sp., une conférence où étaient exposées les pensées que nous venons de résumer. Cette conférence fit quelque bruit dans notre petit univers, le P. Vermeersch en eut vent, elle ne pouvait lui plaire. Mais faisant partie quelques mois plus tard de notre jury de doctorat, il ne s'en accorda pas moins avec ses collègues pour nous recevoir docteur romain. Honnêteté de ce grand jésuite, si attaché pourtant, mais sans nulle politesse, aux vues de sa Compagnie. Nous avions vingt-cinq ans, nous en avons soixante-huit, et nous constatons que nous n'avons pas bougé. Epargnant à nos lecteurs des controverses ardues, nous nous bornons à dire que, n'étant point « probabiliste », nous estimons néanmoins avec saint Thomas, que la vraie probabilité du dernier jugement pratique suffit, sans recours aux « principes réflexes », à la licéité de l'action.


Venons à l'Encyclique, qui, dit notre doctoraisonneur, à cheval sur son bidet du Monde, hop, hop, hop, donc, donc, donc, du fait qu'elle n'est point infaillible, ce que nous contesterons plus loin, n'engage point la conscience, laquelle n'a qu'à poursuivre ses « recherches », hop, hop, hop, donc, donc, donc, comme si l'Encyclique n'existait pas. La conséquence ne tient pas. Elle ne tient pas, parce qu'il n'entrera jamais dans la tête d'aucun catholique qu'un enseignement du Magistère en matière morale, infaillible ou non, ne soit un élément constitutif du dernier jugement pratique. A supposer, ce qui n'est pas, nous l'allons voir, que l'on ne sorte point ici de la probabilité, cette probabilité est telle qu'elle suffit à lier la conscience. Contrairement à ce que pensent les « probabilistes » classiques, le contraire du probable, dans un même esprit, n'est pas un probable, c'est un possible. Le contraire de « Il est probable qu'il pleuvra » est: « il est possible aussi qu'il ne pleuve pas » et cela suffit à m'obliger moralement à prendre un parapluie, du moins si ma santé risque d'être gâtée par la pluie. Semblablement, le contraire de : « il est probable que le Pape ne se trompe pas » est : « il est possible aussi qu'il se trompe » ‑ jugement qui ne peut pas ne pas être celui d'un catholique, et qui suffit, s'agissant des contraceptifs, à obliger bel et bien sa conscience. Pour être « libre », il faudrait donc au moins qu'il pût penser non pas « il est possible », mais il est probable que le Pape se trompe. Mais, à part le digne docteur Oraison, et le condigne non-docteur Fesquet, qui, à défaut d'un sabre, même en bois, a toujours une poche à fiel prête à crever sur le Pape, mis à part, disons-nous, ces deux étranges « catholiques », quel vrai fidèle un peu éclairé prononcerait, en son âme et conscience, que le Pape, parlant aussi en son âme et conscience et dans l'exercice de son Magistère souverain, même en-deçà de la note d'infaillibilité, s'est probablement trompé ?


Telle est la conclusion minima où arrive, sur le point qui nous occupe, la théologie morale. Il est véritablement honteux que des « épiscopats » entiers, le belge, le hollandais, l'autrichien aient osé, avec une ignorance qu'on ne pardonnerait pas à un étudiant de deuxième année de théologie, opposer l'Encyclique à la conscience, comme si l'Encyclique n'était pas précisément une norme prochaine de la conscience [1]. Nous avons cru rêver en lisant ces textes pitoyables, dérisoires, et, il faut le répéter, honteux. Si nous avions écrit dix lignes de cette encre ‑ dont Dieu nous préserve ! ‑ nous nous serions cru à jamais indigne du nom de théologien, et ce doctorat romain, dont, après notre sacerdoce, nous nous honorons plus que de chose au monde, nous en aurions, de pure vergogne, lacéré le diplôme, pour qu'il ne fût pas contre nous un témoin criant vers le ciel de ce que nous aurions dû être, et que nous n'aurions pas été.


Mais si nous l'avions fait de bonne foi ? Eh bien non ; écrivant de cette encre, nous ne l'aurions pas fait de bonne foi ; nous aurions très clairement connu que nous écrivions des mensonges. Et nous ne croyons nullement à la bonne foi des « épiscopats » intéressés. La bévue d'opposer la conscience à l'Encyclique est si énorme qu'elle n'a pu échapper à leurs yeux, quand elle crève ceux de tout le monde. Nous sommes venus à des temps où il faut redire avec Jérémie : « prophetae tui viderunt tibi falsa, tes prophètes, Jérusalem, ont eu pour toi de vaines et folles visions ; ils n'ont pas dévoilé ton iniquité, ils t'ont donné pour visions des oracles de mensonge et de séduction » (Lam. Il. 14) et pourquoi ? Parce que, par crainte des hommes ils t'ont écoutée, et avec toi le monde pervers quand tu leur demandais de dire des choses qui te plaisent : « loquimini nobis placentia, dites-nous des choses agréables, comme : écartez-vous de la voie, détournez-vous du chemin ; ôtez de devant nos yeux le Saint d'Israël » (Is. XXX. 10‑12).


A cette note infamante d'ignorance « crasse et supine » s'ajoute celle de l'impiété envers le Père Commun. Que l'on relise l'Encyclique, qu'on y retrouve l'adjuration du Souverain Pontife aux évêques, les appelant à son aide, les provoquant à leur devoir le plus clair, sans l'obéissance auquel ils ne sont plus rien, qui est d'inculquer à la portion du troupeau qui leur est soumise les ordres, les enseignements, les leçons du Magistère romain. Ils ont lu cela, ces infâmes, sans que leur cœur s'émeuve à la voix du Premier Pasteur, du « doux Christ en terre », et loin de courir. au canon, loin d'élever leur propre voix pour prêcher hardiment, bravement, le respect de la loi divine, le Christ et sa croix, la sainte chasteté du mariage, ils ont peureusement, cafardeusement, lâchement abandonné le Pape à sa solitude amère, pour s'agenouiller, non, pour s'aplatir, devant les pires ennemis du nom chrétien, faux savants qui tirent hors saison prétexte de la biologie, faux philosophes qui ont perdu jusqu'à la notion de nature, tourbe enfin qui ne veut que jouir, et entend que ses bergers lui disent: Jouis donc ! « Loquimini nobis placentia. » Où, mais où donc, cette chiennaille déshonorée de chiens muets a-t-elle le cœur ? On cherche avec désespoir, on ne trouve pas : pas plus de cœur que d'honneur, pas plus d'honneur que de cœur.


Et voilà des millions de fidèles, abusés par cette stupide et inepte opposition de l'Encyclique à la conscience, engagés dans le péché par ceux-là même qui ont mission et charge de leur apprendre à le haïr. Non seulement ; mais, contrairement à l'Encyclique qui en propres termes recommande aux faibles de puiser force dans le Sacrement de Pénitence, ces chrétiens ne se confesseront pas de ces fautes, ils en sont dispensés, et par qui ? par ceux qui ont aussi la mission et la charge de leur apprendre à en faire saintement usage, à se garder d'une confession sacrilège ! La pourriture collégialiste pue décidément bien fort.


*
* *


Avons-nous fini ? Nous avons à peine commencé. Car il s'agit de savoir si l'Encyclique (qui lierait la conscience quand elle ne serait que probablement vraie d'une probabilité elle-même vraie, directe, fondée sur la considération de la chose même) n'est en effet que probablement vraie. Et c'est ce que nous nions absolument.


La distinction du faillible et de l'infaillible est légitime et nécessaire. Elle offre en outre l'avantage d'être entre deux contradictoires, c'est probablement par cette simplicité qu'elle a tiré l’œil du docte docteur Oraison ; ce qui n'est pas infaillible est faillible, on ne le tirera pas de là ; ni nous non plus ! Seulement, il faut faire aussi la distinction de l'ordinaire et de l'extraordinaire, et ces deux divisions ne coïncident pas. L'enseignement extraordinaire c'est celui qui est donné aux fidèles par des organes extraordinaires : le Pape parlant ex cathedra, dans les conditions fixées à Vatican I, et le Concile général.


(Par parenthèse, il est extraordinaire aussi, dans un autre sens du mot, que Vatican Il, organe par son essence conciliaire du Magistère extraordinaire, se soit ravalé à ne vouloir être qu'un organe du Magistère ordinaire, ayant dit et répété qu'il entendait ne rien « définir » comme de foi. Mais ceci encore est une autre affaire, et des plus ténébreuses.)


L'enseignement ordinaire c'est celui qui est proposé quotidiennement comme appartenant au donné révélé ou aux « préambules de la foi », par le Pontife romain d'abord auquel il appartient comme dit saint Thomas, « de déterminer les articles de la foi, cuius est determinare symbolum, mais aussi et fût-ce sans aucune forme solennelle, par les Evêques en communion avec lui, enfin distribué et reçu par l'Eglise entière enseignante et enseignée.


L'enseignement ordinaire n'est pas toujours infaillible. Tous les catéchismes (sauf le pseudo-catéchisme en voie d'intrusion) faisaient apprendre aux enfants qu'il y a trois vertus théologales et quatre vertus morales cardinales, qu'il y a sept Dons du Saint-Esprit, cent choses d'ailleurs vraies, d'ailleurs vénérables, d'ailleurs très précieuses à la piété catholique, mais dont nul n'a jamais fait un objet de foi. Elles ne sont point objet de foi, mais contrairement aux déclamations doctoraisonnantes, la doctrine catholique n'est pas réduite aux vérités de foi, non plus qu'un corps humain à son squelette. Il y a une synthèse catholique, une vision catholique des choses, une appréciation catholique des événements de l'histoire, un sens catholique enfin, qui s'étend bien au-delà des données toutes sèches de la foi, et qui compose la psychologie et la physionomie du catholique: il est donc tout naturel que l'enseignement ordinaire de l'Eglise déborde largement l'objet de la foi. Comme, dans une famille digne de ce nom, les parents donnent à leurs enfants un certain type d'éducation, familles militaires, familles de robe, familles paysannes, familles ouvrières, ainsi l'Eglise façonne ses enfants, par l'estime de certaines valeurs, par le dédain de certaines non-valeurs, mesurées les unes et les autres selon leur rapport à la vie éternelle d'abord, secondairement selon leur rapport au devoir d'état en ce monde. Nous ne sommes pas ici dans l'ordre des certitudes de foi, mais dans l'ordre des certitudes humaines, principalement dans l'ordre des certitudes morales. On ne sera jamais hérétique pour ne pas croire à l'authenticité des apparitions de Lourdes, mais quand l'Eglise a constitué une fête pour en garder la mémoire, quand elle y convoque les multitudes, c'est refuser un « air de famille » que de les bouder, encore que l'Eglise n'ait point compétence pour se prononcer infailliblement à leur sujet.


Nous accordons donc, et de très bon cœur que l'enseignement ordinaire de l'Eglise n'est point toujours infaillible. Le cas du thomisme est très frappant. L'Eglise n'a jamais empêché personne de philosopher ou de théologiser en dehors du thomisme. Duns Scot ou Suarez ont toujours eu leurs disciples, plusieurs très passionnément anti-thomistes. La bonne douce Mère Eglise les laisse faire. Après tout, si ça les amuse ! Seulement, pour son compte, c'est le thomisme qu'elle pratique à la face du soleil; c'est le thomisme qu'après mûre réflexion elle tient pour une métaphysique vraie en elle-même et la mieux accordée à l'exposé des vérités catholiques. Elle en prescrit donc l'enseignement dans ses écoles, mais sans proscrire le scotisme ou le suarezianisme, ou une philosophie encore à naître qui « enfoncerait » saint Thomas, éventualité qui, à elle Eglise, n'apparaît pas bien prochaine ni bien redoutable. Que de nuances donc, et quelle saine liberté, au sein de ce complexe très enchevêtré qu'on appelle l'enseignement ordinaire de l'Eglise !


Mais il y a aussi des cas où le Magistère ordinaire de l'Eglise, sans déclaration en forme, sans définition promulguée, est INFAILLIBLE : c'est quand il est constant, quand il est universel, quand enfin il donne le contenu de son enseignement comme objet de foi, ou en connexion nécessaire avec la foi.


Je souligne ces derniers mots, parce qu'ils s'appliquent plus particulièrement à l'Encyclique Humanae vitæ. Son objet direct est en effet, non pas l'une quelconque des vérités révélées, mais un point de morale naturelle, pour l'interprétation de laquelle le Souverain Pontife proclame hautement sa compétence elle-même souveraine. En cela rien de nouveau. De soi, la morale naturelle est accessible à l'intelligence naturelle : il y a proportion, en droit. Mais en fait, à cause du péché originel cette intelligence naturelle est sujette à s'égarer, même quant à un objet qui lui est proportionné en droit. Platon a admis la promiscuité des femmes et n'a point de blâme pour l'« amour grec » ; le monde antique tout entier a tenu pour licite l'esclavage total ; l'Islam, et non seulement l'Islam, accepte la polygamie; l'Hindouisme enseigne la métempsycose et l'émanatisme. Enormes erreurs en philosophie naturelle, et d'où la raison naturelle devrait pouvoir se sortir seule ; elle devrait pouvoir, mais elle ne peut pas ; ou bien elle peut et tout ensemble ne peut pas. Elle tâtonne, elle hésite, eue mêle le vrai au faux, parce qu'elle est déchue. Existentiellement, elle a besoin, pour user droitement de ses propres forces, d'un secours qui la transcende, et ce secours c'est la Révélation chrétienne transmise par l'Eglise. Le premier Concile du Vatican l'enseigne dans les termes les plus formels : « C'est à cette révélation divine que l'on doit attribuer le fait que, même dans la condition présente du genre humain, celles des choses divines qui ne sont pas de soi inaccessibles à la raison humaine puissent être connues par tous, avec aisance, de manière certaine, sans mélange d'erreur » (Constitution de Fide, chap. 2). Il ajoute, d'une manière encore plus forte : « L'Eglise, qui avec la charge apostolique d'enseigner, a reçu mandat de garder le dépôt de la foi, a en outre le droit et le devoir de proscrire la pseudo‑science, afin que nul ne soit abusé par la philosophie et de vaines apparences. Aussi à tous les fidèles il est interdit de soutenir comme de légitimes conclusions de la science des opinions reconnues contraires à la doctrine de la foi, surtout si elles ont été réprouvées par l'Eglise, mais au contraire ils sont absolument tenus de les considérer comme des erreurs qui se présentent sous le masque fallacieux de la vérité. »


Ces textes dont nous regrettons de ne pouvoir rendre en français la superbe densité latine, tranchent la question. Il est vrai que l'Encyclique se meut dans la sphère de la raison naturelle, de la loi naturelle, de la morale naturelle ; le Souverain Pontife y revient dix fois. Et après ? Il est très vrai aussi qu'une Encyclique n'est pas de soi un acte du Magistère extraordinaire ; les encycliques sont sur un point ou sur un autre, l'exposé méthodique, étoffé, approfondi, de l'enseignement du Magistère ordinaire. Elles ne se donnent pas pour autre chose. Mais elles en sont l'expression la plus haute : au-delà, il n'y a rien que le Magistère extraordinaire, et il va de soi que du Magistère ordinaire elles sont comme la quintessence quant à leur contenu, éliminant les points mineurs pour retenir ce qui importe principalement dans la matière considérée ; en outre, elles tirent accroissement d'autorité de ce que c'est le Pontife romain qui garantit lui-même que tel est bien l'enseignement authentique du Magistère ordinaire et qui, au besoin, le clarifie et le renforce.


Dans le cas d’Humanae vitæ, il n'est nul besoin de rappeler ce qu'était l'enseignement ordinaire de l'Eglise au 25 juillet 1968 en matière de contraception. On peut lire et fouiller tous les textes de théologie morale, tous les catéchismes pour adultes, tous les recueils de sermons, d'homélies, de méditations, toutes les revues soit spéciales au clergé, soit destinées aux époux vivant en mariage, en remontant aussi haut qu'on voudra dans la profondeur des siècles, on n'y trouvera pas autre chose que ce que dit Paul VI, et on l'y trouvera à coup sûr : la contraception directe, la frustration artificielle des fins naturelles des actes conjugaux, est intrinsèquement mauvaise, contraire à l'ordre voulu par Dieu dans la transmission de la vie ; c'est un péché grave, et qui y est tombé doit s'en accuser en confession. Nous connaissons peu d'exemples d'une pareille unanimité. Assurément les anciens ne connaissaient pas les procédés chimiques ou hormonaux, et quand la Didachè (vers l'an 120) flétrissait ceux qui, dans l'acte conjugal lui-même, se font « les assassins de leurs enfants, occisores filiorum », elle ne pensait pas au progestérone. C'est un des cas où parait le mieux l'indépendance de la métaphysique (et de la théologie) à l'égard des sciences empiriologiques : la physique de saint Thomas est périmée, nous le voulons bien; cela nous est parfaitement égal qu'il ait cru ou non que les corps célestes sont formés d'une autre matière que la terre. Sa métaphysique (ni sa théologie) n'ont reçu de là nulle atteinte, la certitude ici étant acquise par d'autres procédés intellectuels que l'observation et l'expérimentation quantitatives. Une revue italienne que nous avons sous les yeux cite pour les premiers siècles, en donnant les références, mais malheureusement sans rapporter les textes, outre la Didachè, l'Epître de Barnabé, Clément d'Alexandrie, Minucius Félix, Lactance, Justin, Athénagore, et le nom éclatant de saint Augustin. Ensuite, à mesure que mûrit la réflexion chrétienne sur le mariage, elle se fait de plus en plus précise ; à la fin du Moyen Age, les casuistes la détaillent, et jusqu'à satiété ; mais jamais une hésitation sur le fond de la chose. Cette hésitation, on voudrait maintenant la créer, on la crée de toutes pièces : au lieu de soutenir « inconditionnellement » l'Encyclique, de ne faire qu'un avec le Pape, on voit jusqu'à des prêtres, jusqu'à des évêques biaiser et gauchir. C'est trop tard, et cette inquiétude diffuse ne peut rien contre une certitude qui a été pendant des siècles en la sereine possession de l'Eglise. Nous concluons avec la même revue (Renovatio, 3e année, n°4, liminaire) : le contenu du document ne serait pas irréformable à raison du document pris à part, mais il a déjà de soi d'ailleurs la garantie de l'infaillibilité, qu'il tient du Magistère ordinaire en matière connexe avec la révélation, et à ce titre il est irréformable.


Répétons-nous, nous ne serons jamais trop clair: une proposition comme : la loi naturelle prohibe la contraception directe et volontaire ‑ n'est pas de soi au-dessus de la portée de l'intelligence naturelle, et, chez beaucoup de simples gens qui seraient incapables de la démontrer, elle est perçue, comme l'existence de Dieu, dans une sorte d'intuition spontanée. Chose qui nous a souvent surpris, beaucoup des pauvres enfants que nous élevons sont nés au hasard d'une coucherie de la mère, et plus d'une de ces malheureuses, à qui nous faisions honte de ces maternités irrégulières nous a répondu : « Faut laisser aller les choses, autrement c'est dégoûtant. » Ce ne sont pas celles-là qui abuseront de la pilule, ni même qui en useront. Elles ont leur fruste et saine logique : acceptant de « coucher avec un homme », elles prennent bravement le risque de la maternité. Nous espérons bien les retrouver en Paradis, où Jésus nous apprend que ces créatures repoussées des Pharisiens précéderont leurs contempteurs. Les Pharisiens, eux, prennent la pilule, les dehors sont saufs, tout est là : « Amuse-toi, ma fille, mais pas de gosse ! »


Mais il saute aux yeux que cette « fruste et saine logique » grâce à laquelle la raison humaine accède à quelque connaissance des vérités religieuses et morales naturelles, est sujette à s'obscurcir, à défaillir, qu'elle est mêlée d'erreurs qui la corrompent (comme, dans l'exemple que je viens de citer, la maternité hors mariage) quand encore elle ne trouve pas sur son chemin de mauvais docteurs qui la font douter d'elle-même, et embrouillent ce qui est simple en soulevant des objections spécieuses auxquelles la passion ne demande qu'à s'arrêter, sur le seuil même de la vérité entrevue. Quel besoin n'a donc pas cette intelligence, blessée en elle-même, inhabile dans la plupart des hommes à démêler le sophisme, affaiblie encore par ses fautes personnelles, assaillie du dedans par les appétits de la convoitise, du dehors par les orchestres assourdissants du vice, quel besoin n'a-t-elle pas du secours élevant et purifiant de l'Eglise, pour parvenir à la sérénité d'une entière certitude, dans les matières mêmes qui demeurent en droit de son ressorti Sans l'infaillibilité du Magistère ordinaire, elle est perdue, il faut désespérer d'elle, car outre que le Magistère extraordinaire s'exerce rarement, c'est quasiment toujours pour définir des vérités strictement surnaturelles, inaccessibles à la raison, ou au moins pour exposer des vérités théologiques, qui présupposent la foi. Le premier Concile du Vatican a été, croyons-nous, le premier qui ait dû définir des vérités naturelles, l'existence, la cognoscibilité, la transcendance de Dieu. Heureusement, le Magistère ordinaire, auquel, nous le concédons, appartiennent encore les Encycliques, est là pour entretenir dans les chrétiens la possession paisible de vérités du même genre, naturelles aussi, et, en somme, de tout le Décalogue, dont Humanae vitæ ne fait autre chose que mettre en meilleure lumière, sur ce point précis, le contenu. Grâces soient à Dieu qui a pourvu son Eglise d'un Magistère ordinaire infaillible même en matière naturelle, et grâces soient au Souverain Pontife régnant, qui, placé au sommet de ce Magistère ordinaire, vient, dans la communion de tous les Saints, de tous les Pères, de tous les Docteurs, de nous confirmer dans notre adhésion à leur infaillible enseignement !


*
* *


Ce document, non revêtu des formes canoniques d'un document infaillible, mais reprenant et distribuant un enseignement infaillible, s'est trouvé affreusement contesté. Le mal est incalculable. Nous dirons ici sans fard qu'il n'a été rendu possible que par la suppression du Saint-Office, et ceux qui ont fini par obtenir cette suppression savaient bien ce qu'ils faisaient. A plusieurs reprises, le Saint-Père avait dit qu'en attendant qu'il se prononçât, on ne devait rien changer aux normes données par ses prédécesseurs. Mais il n'y avait plus personne pour faire observer cette règle. L'Eglise Mère et Maîtresse était mutilée de son organe essentiel de vigilance et d'autorité. Pendant quatre ans, la fureur anti-romaine, les propagandes anti-conceptionnelles ont eu libre cours jusque chez les catholiques; les travaux de la Commission spéciale réunie par le Pape ont été publiés par trahison, et dans le dessein à peine dissimulé de lui lier les mains, de le « coincer » comme dit élégamment le docte Oraison; les fidèles gémissaient en silence, les époux fidèles à la loi du mariage étaient tournés en dérision : ces arriérés ! Rome, l'Eglise Mère et Maîtresse, seule indéfectible de droit divin, même lorsqu'elle n'a point son Evêque, Rome vers laquelle ces chrétiens levaient leurs yeux comme vers les Sept Collines d'où leur viendrait le secours, levavi oculos meos ad montes unde Veniet auxilium mihi, Rome les laissait sans secours, sans protection, exposés à la moquerie, au persiflage, à l'humiliation, au vacarme insolent des mauvais maîtres. Que le Saint-Père de sa personne s'enfermât dans le silence de l'étude, de la méditation, de la prière, nul n'y pouvait trouver ni n'y trouva à redire, mais que, durant des mois et des années, le Magistère et la Maternité de son Eglise particulière, fûssent dépouillés, et par lui-même, de leurs fonctions connaturelles, qui dira ce que les plus romains de ses fils en ont souffert ? Témoin et confident de cette souffrance, la partageant nous-même jusqu'au fond de l'âme, nous ne terminerons pas ce chapitre sans élever jusqu'au trône de Pierre notre très humble supplique à ce qu'il lui plaise rétablir la Suprême Sacrée Congrégation du Saint-Office, avec toutes ses connaturelles prérogatives, aujourd'hui plus nécessaires que jamais.


Terminer ce chapitre ? Mais non, nous n'allons pas en commencer un autre, qui serait un livre, si nous voulions étudier les raisons profondes de l'opposition à l'Encyclique. Nous ne ferons aujourd'hui que toucher légèrement ce sujet.


Nous sommes stupéfaits que des catholiques donnent tant d'importance à ces questions. Une fonction qui n'apparaît qu'à l'adolescence, qui s'éteint d'elle-même avec la vieillesse, qui sera sans emploi dans la vie éternelle, est-il concevable que des chrétiens, qui savent n'être ici-bas que des voyageurs en route vers la Cité future, lui attachent tant de prix ? Tout l'Evangile est virginal. Jésus, et Marie sa mère, ont vécu dans la virginité ; il l'a conseillée aux siens, sans déprécier d'ailleurs le mariage, comme le plus haut état de vie. Il a donné en quelques phrases la loi austère de toute chasteté, virginale ou conjugale. La discrétion, la délicatesse, la réserve de l'Evangile en cette matière sont infinies. Pur comme une flamme, saint Paul est bien plus cru dans son langage. Il avait à faire à des gens à qui il fallait parler clair et mettre les points sur les i. Le Verbe incarné n'a point cru qu'il dût condescendre à parler longuement de la chair et a laissé à ses Apôtres le soin de se colleter avec les péchés dont elle est la cause. Mais il a dit une parole qui éclaire tout : « Au ciel on ne se mariera pas, les élus seront comme des anges de Dieu, erunt sicut angeli Dei. » Ainsi, trente, quarante ou cent ans d'activité sexuelle, et encore facultative, et encore avec de longues suspensions, et encore biologiquement et moralement soumise à des lois restrictives ‑ puis une éternité, une éternité ! de vie angélique, où la personne débarrassée de son engagement dans une espèce animale, s'épanouit sans fin en des activités spirituelles de connaissance et d'amour, même après la résurrection de la chair, « seminatur corpus animale, surget corpus spirituale ». Notre vie terrestre durât-elle des siècles, n'est que la courte préface à un livre qui n'aura pas de dernière page. C'est donc sur cette vie éternelle que doit se concentrer tout l'intérêt, toute la volonté du chrétien : « que sert à l'homme de gagner l'univers, s'il vient à perdre son âme ? » Croire cela, et braquer et hypnotiser le chrétien sur le sexe, quelle indécence, quelle sottise, quelle absurdité, quel non-sens ! Et en éducation, quel crime ! Ces gens qui n'ont à la bouche que « la dignité de la personne humaine », et qui en même temps la ravalent au niveau de ce qui en elle est le moins digne de la personne, quels tartuffes ! L'enfant est une personne humaine; tout l'Evangile nous dit qu'il faut l'élever dans la vue constante de ce qu'il est en tant que personne, selon les finalités propres de la personne en tant que personne, et non en tant qu'il n'est encore qu'imparfaitement une personne, seulement une personne humaine assujettie, si elle s'y ploie librement, à des fonctions qui ne tiennent en rien à l'essence de la personne, qui lui sont même foncièrement étrangères, et qui ne lui sont liées accidentellement et pour un peu de temps qu'à raison de ce qu'elle est engagée dans une espèce. Grandeur et misère de l'homme ! Mais il faut bien voir où se situent cette grandeur et cette misère : la grandeur c'est d'être une vraie personne, la misère, de n'être qu'une personne humaine. La résurrection de la chair corrigera ce paradoxe. Jusque-là, il s'en faut accommoder et dire que le bien de la personne humaine en tant qu'humaine, c'est le mariage, et que le mieux de la personne humaine en tant que personne, c'est la virginité. Sur tout cela, nous nous sommes expliqués plus longuement ici même, il y a douze ou treize ans.


Comme l'éducateur doit viser haut, toute éducation doit être virginale. D'abord quant aux éducateurs. L'Eglise tant qu'elle en a été maîtresse, a préférablement, sinon de façon exclusive, confié l'éducation des enfants à des Instituts religieux. En dépit des déclarations contraires, telle est encore sa préférence. Ces déclarations du reste, ne sont pas sincères, elles ne sont que le camouflage d'une défaite en victoire. Il n'y a plus de vocations et on fait ce qu'il faut pour qu'il y en ait de moins en moins, alors on affecte de dire que les enfants sont mieux élevés par des éducateurs mariés. Mensonge parmi tant d'autres.


Ensuite quant à l'enfant lui-même : il faut l'attirer à la piété, à la connaissance et au goût des choses divines qui seront sa joie éternelle. Qu'il « habite par avance dans les cieux », que ses pensées soient, comme dit saint Paul, « de tout ce qui est vrai, de tout ce qui est honorable, de tout ce qui est juste, de tout ce qui est pur, de tout ce qui est aimable, de tout ce qui est de bon renom » (Phil. 4‑8). En temps opportun, lorsque depuis longtemps déjà il est à Dieu dans son cœur, il prendra conscience sans trouble, sans secousse, sans obsession, de sa masculinité ou de sa féminité ; cette partie de son éducation ‑ et de lui-même ‑ viendra s'insérer avec le concours de ses parents et de ses éducateurs, dans un système déjà formé de valeurs chrétiennes, où le sexe ne risque pas d'avoir plus que sa place, l'une des dernières en vérité, si l'adolescent a déjà pris conscience de sa vraie dignité de personne, qui vient toute de sa capacité de Dieu. Ainsi rien ne s'opposera en lui, ni à une éventuelle vocation virginale, ni au mariage chrétiennement compris, lequel, s'il comporte nécessairement un aspect charnel, le transcende continuellement.


La mixtité (et non mixité, ces cuistres ne savent pas le français) est en train de ravager tout cela. Ses promoteurs, si haut placés qu'ils soient, sont en état de damnation. Ils jettent par milliers de malheureux enfants dans une occasion prochaine de péché ; on n'empêchera pas des garçons de quinze ans juxtaposés à longueur de classe à des filles du même âge, de chercher à savoir ce que cachent ‑ bien mal au surplus ‑ ces jupes et ces corsages, ni ces filles, émoustillées par les curiosités masculines, de ressentir le désir spécifiquement féminin d'être vues, touchées, caressées. Tout le climat de l'école en est vicié, précocement sexualisé et érotisé. Et quand ces garçons et ces filles seraient tous sans exception des héros et des héroïnes, qui résisteraient à toutes ces occasions et tentations (mais qui le croira ?), a-t-on le droit de les y précipiter, de les y maintenir ? « Et moi je vous dis que quiconque regarde une femme avec convoitise, a déjà commis la fornication avec elle dans son cœur. » Et réciproquement ! Seigneur Jésus, qui avez dit aussi que nous devons devenir comme de petits enfants inconscients de leur sexe si nous voulons devenir comme des anges dans votre royaume, que ferez-vous dans votre justice de ces atroces corrupteurs, dont vous avez dit encore : « Celui qui scandalise un de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu'il fût jeté au profond de la mer avec une meule au cou ? » Nous pleurons sur l'innocence qu'on pourrit, sur les vocations qu'on ruine, nous combattons selon nos forces, mais aussi nous prenons date, et nous en appelons solennellement à votre tribunal au Jour de votre colère : « Ad tuum, Domine Iesu, tribunal appello. »


Manécanterie saint Pie X

Octobre 1968

V.‑A. BERTO.


P. S. ‑ Cet article était écrit et déjà à la composition lorsque nous avons eu connaissance de la « Note pastorale » de l'Assemblée plénière de l'épiscopat français. Cette « Note » substitue à la théologie pontificale ‑ celle de tous les siècles ‑ une autre théologie radicalement différente. Nous avons écrit là-dessus une étude que nous ne pouvons reproduire ici en entier. Nous en donnons seulement la dernière page.[2]


Que fera Paul VI ? Content d'avoir rempli sa fonction de Rocher et d'avoir ainsi sauvé l'avenir et même le présent, s'enfermera-t-il dans le silence pour éviter un plus grand mal ? Exigera-t-il que cette « Note pastorale », publiée aussitôt qu'arrêtée, et sans son aveu, soit révisée et refondue ? Nous ne savons. Les catholiques n'ont qu'une chose à faire, la tenir pour nulle. N'étant point juge, nous ne pouvons rien déclarer avec autorité. Mais, comme théologien particulier, reprenant les termes que le cardinal Pie empruntait du Saint-Office, nous constatons que la « Note pastorale » de l'Assemblée plénière contient des propositions « scandaleuses, erronées, contraires à la nature de l'union conjugale, déjà implicitement réprouvées par Innocent XII », et explicitement, ajouterons-nous, par l’Encyclique Humanae vitæ. Le Pontife romain jouissant, aux termes de Vatican 1 ‑ et c'est un article de foi ‑ d'un pouvoir vraiment ordinaire, épiscopal et immédiat sur tous les fidèles et sur chacun d'eux, étant l'Evêque de l'Eglise catholique, Episcopus Ecclesiae catholicae, l'Encyclique lie immédiatement la conscience de tous, sans aucun intermédiaire nécessaire. Ainsi, il y a obligation morale grave de se tenir purement et simplement à l'enseignement de l'Encyclique.


[…]


L'« Assemblée plénière » est en droit une personne morale collégiale, un « dernier sujet d'attribution, ultimum subiectum attributionis », qui ne se résout pas dans les membres qui la composent, et LES PROPOSITIONS QU'ON ÉNONCE A SON SUJET NE CONVIENNENT PAS A CHACUN D'EUX. On ne peut donc attribuer à chacun d'eux pris à part ce qui n'est vrai que de la personne morale comme telle. Ceci n'est pas une précaution oratoire, nous croyons avoir montré que nous prenons nos responsabilités. Mais c'est notre persuasion profonde que ce texte néfaste n'a pas reçu des évêques une approbation unanime, et beaucoup s'en faut. Nous ne voyons pas comment plusieurs évêques, qui ont parlé déjà, et bien parlé, comme pasteurs de leurs diocèses, auraient pu, sans s'infliger à eux-mêmes le démenti le plus déshonorant, donner leur Placet à la « Note pastorale ». Quand le secret des Conférences épiscopales (bien plus étouffant, bien plus opprimant, bien plus noir que le secret du Saint-Office ne le fut jamais) aura été levé, on verra ce qu'on a vu, depuis que le monde est monde, dans l'histoire de toutes les Assemblées, les Conciles non exceptés. Quelques phraseurs non-évêques, glorieux de leur vain titre d'experts, habiles à faire prendre des vessies pour des lanternes, auront intimidé les uns, surpris la bonne foi des autres, mais non pas de tous. Seulement, quand il s'agit des Conciles oecuméniques, on est sûr au moins, que venue l'heure de la promulgation, l'Esprit-Saint fera toujours que nulle hérésie ne soit définie. Verrons-nous ici-bas la levée de ce secret ? Nous l'ignorons, mais ce qui se lèvera, c'est le jour de la lumière d'or de l'éternité, où tous les secrets seront révélés.



  1. A l'honneur de l'épiscopat catholique, relevons que les évêques d'Angleterre, les évêques francophones d’outre Atlantique (Antilles et Guyane), quelques évêques français comme le Cardinal de Lyon et Mgr. de Versailles, n'ont point hésité sur leur devoir.
  2. Cf. Les évêques et la contraception.
Questions de morale sur le mariage
Auteur : Abbé V.-A. Berto
Source : Extrait deLa Pensée Catholique n°117
Date de publication originale : octobre 1968

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen
Outils personnels
Récemment sur Salve Regina