Vie spirituelle
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Auteur :
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Dom Augustin Guillerand - chartreux
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Source :
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extrait de Voix Cartusienne
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Date de publication originale :
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vers 1960
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Difficulté de lecture :
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♦ FACILE
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Remarque particulière :
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Voir biographie : http://christocentrix.over-blog.fr/article-24925254.html
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C’est le plan du Maître
Il ne s’agit pas d’aimer ce qui est mal ou pénible ; il s’agit de le supporter pour le réformer ou le supprimer. C’est ce que fait Dieu. Il n’aime pas le mal ; mais il le permet pour le bien qu’il en retire. Le mal, comme toute réalité, est un instrument merveilleux entre les mains divines. Nous serons émerveillés un jour – là-haut – quand nous verrons ce que la souffrance devient dans les âmes courageuses qui savent l’accepter et la porter par amour. Elle est la plus profonde source de la vraie paix.
On ne nous souhaite pas de souffrir, mais on nous souhaite d’aimer la souffrance comme Dieu l’aime : c’est-à-dire d’aimer ses effets de relèvement et de pacification. Le monde est fait sur un plan que nous ne pouvons changer. C’est le plan du Maître. Nous sommes des serviteurs. Il faut le prendre comme Il l’a tracé et y conformer notre volonté et nos efforts.
Or ce plan comporte la souffrance. C’est le chemin de la joie ; tout comme la mort (la mortification, la mort à soi) est le chemin de la vie : « Qui perdiderit animam... inveniet eam ». Nous sommes de petites semences jetées en terre pour y mourir et ensuite refleurir en Dieu. Dans le psaume 125, on trouvera en quelques versets le plus magnifique exposé de ce plan divin, qu’il ne faut pas seulement subir comme une nécessité, mais qu’il faut aimer comme l’expression du divin Amour.
Pour cela il faut être fort. Etre fort, cela ne veut pas dire : se dresser contre ce qui nous blesse, pour le supprimer. Il existe une autre force, bien plus haute. C’est la force qui accepte ce qu’elle ne peut pas supprimer et qui demeure souriante sous la croix. Ce n’est pas à la croix qu’on sourit, mais à Celui qui l’a portée avant nous et pour nous, et qui la porte encore avec nous.
Il faut accepter ce plan divin
Notre souffrance n’a rien qui puisse nous inquiéter ; elle est un état presque nécessaire pour les âmes à qui la terre est trop petite. Elles manquent d’air et étouffent. C’est l’aspiration de toutes les parts insatisfaites d’elles-mêmes vers Dieu, qui se traduit ainsi.
Souffrons beaucoup de cette souffrance : le bon Dieu ne nous en voudra jamais. Cependant gardons-la calme et bien réglée. Car ce Dieu, vers lequel se tend notre cœur, nous aime depuis toujours et pour toujours. Il ne désire rien tant que de se donner à nous... et nous ne pouvons pas Lui faire plus de plaisir qu’en croyant cela.
Au fond, nous le croyons. Mais nous voulons trop sentir et goûter cette foi. Là est le danger, ... et là est l’erreur. Croire à Dieu est une chose, le goûter en est une autre. La première est toujours accordée à notre bonne volonté ; la deuxième dépend uniquement de Dieu et de son bon plaisir. La première est un don que nous faisons à Dieu de notre esprit ; la seconde est une communication qu’il nous fait de sa propre joie. Or nous devons et nous pouvons donner notre esprit à son esprit ; mais nous ne pouvons, dès cette vie, participer à sa joie comme nous voulons. Nous ne pouvons que recevoir les prémices passagères et les avant-goûts qu’Il veut bien nous en donner de temps en temps, quand Il le veut. Il faut accepter ce plan divin qui réserve à une autre vie la possession définitive de l’objet aimé. La terre est et sera toujours terre d’exil, lieu de passage, désert à traverser, où l’on dresse la tente un instant, pour la replier bientôt. Nos âmes oublient trop cela ; elles ne marchent pas assez les yeux fixés sur la patrie, « ubi fixa sunt gaudia ».
Voilà Pourquoi nous souffrons
Dans le plan divin il n’y a qu’un homme (Ecce homo), il n’y a qu’une vérité, il n’y a qu’une voie, il n’y a qu’une vie : « Ego sum via, veritas et vita ». Tout homme que le bon Dieu aime doit donc entrer dans cet homme ; il doit connaître cette vérité, suivre cette voie, vivre cette vie.
Pour nous faire à chacun de nous cette grâce des grâces, le bon Dieu ne recule devant rien. Il bouleverse parfois le monde entier pour qu’une seule âme ressemble davantage à son divin Fils Jésus. Il ne veut que cela ; Il ne peut vouloir que cela ; tout le plan de sa Providence est ordonné à ce terme. Et tout ce qui nous arrive doit être envisagé dans la grande lumière de ce terme.
Voilà pourquoi nous souffrons tous : pour devenir d’autres Christ, d’autres Jésus, incompris comme Lui, persécutés comme Lui, chargés de la croix comme Lui.
La souffrance, en dehors de là, serait incompréhensible et intolérable. En le regardant au contraire, Lui, le divin Modèle, Lui, la Vérité et la Vie, la souffrance devient belle, la plus belle chose que Dieu ait permise ici-bas, comme la mort est la plus vivante des réalités de la terre.
Trouver la joie dans la peine et la vie dans la mort, voilà le secret remède... Nous ne le trouverons pas dans nos codex.
Une amertume providentielle
Nous faisons l’expérience de la vie et des hommes. Nous constatons que, si nous n’attendions pas autre chose que ce que donne l’existence terrestre pour contenter notre désir de bonheur infini, ce serait bien maigre, et nous serions bien loin d’être satisfaits. Il est bon d’avoir éprouvé cela, de l’avoir touché du doigt et vécu. Ce que les livres nous en disent ne vaut pas une minute d’expérience personnelle. Ces périodes de vie ne sont pas perdues ; bien au contraire. Ce sont des trésors pour le temps... et, si on les accepte en esprit de foi, pour l’éternité. Ce sont des grâces précieuses aussi. Cela nous détache : et ce n’est pas si facile. Malgré tant de déboires dans la vie, nous sommes très faciles à nous laisser prendre par ce qui passe. Heureusement, Dieu répand sur tout ce créé éphémère une amertume providentielle qui nous en écarte ou, mieux encore, qui le tient loin de nous.
Nous le remercierons plus tard de ces prédilections qu’on ne peut guère comprendre et apprécier ici - bas.
Nos peines
La grande peine cache un grand bien. Le bon Dieu fait ce que nous ferions nous-mêmes pour nos enfants, s’il le fallait : il torture pour guérir, ou, plus justement, il ne torture pas, il permet la souffrance qu’il ne veut pas, pour assurer la guérison qui est son seul vouloir.
Dieu est au fond de tout
Nous sommes meilleurs que nous ne pensons, et les autres aussi. Il existe une juste mesure assez difficile à trouver entre l’optimisme qui ne voit que le bien, et le pessimisme qui ne voit que le mal. c’est qu’il y a du bien et du mal mêlés dans l’œuvre divine. Le mal est plus visible que le bien, parce qu’il est en surface, mais le bien l’emporte en définitive. Quand on a l’occasion de parler intimement avec une âme, on est toujours favorablement surpris : elle est meilleure qu’on ne croyait.
Croyons donc au bien en nous ; et croyons au bien dans les autres. Ce sont là des vues divines. Le monde était affreusement mauvais quand Jésus est venu, et ce mal ne l’a pas arrêté.
Il faut donc que nous n’ayons plus peur ni de nous-mêmes ni des autres. Il faut regarder la vie réelle en face. C’est ce regard profond et prolongé qui nous donnera Dieu ; car Dieu est au fond de tout. Tout est parce qu’il l’a voulu ou permis. Et si le mal permis par Dieu nous effraie, disons-nous qu’au fond de ce mal il y a un bien, et c’est ce bien qui est voulu. je puis donc dire, même en pensant au mal, qu’un vouloir (c’est-à-dire un amour) de Dieu se cache au fond de tout.
C’est ce vouloir (ou cet amour) que nous cherchons. Nous souffrons de ne pas le trouver autant que nous le voudrions. Cette souffrance est noble. Remercions le bon Dieu de l’avoir déposée au fond de notre cœur comme un appel de Lui à nous et de nous à Lui. Mais consolons-nous : il y a un remède, c’est la foi vraie. Il est une foi qui adhère aux vérités avec la seule intelligence ; il en est une autre qui adhère avec le cœur. La première ne suffit pas : elle est froide et distante ; elle n’unit pas ; elle nous laisse loin de Dieu et vides. La deuxième nous comble parce qu’elle fait l’union. Cette foi vraie et vivante est comme une prise de possession de Dieu. Il devient nôtre ; il devient l’Hôte aimé de l’âme. Et l’âme, dégagée des choses, n’a plus qu’à se tourner vers Lui par une pensée aimante pour réaliser l’intimité rêvée.
Voilà il me semble où Dieu nous appelle. On n’y arrive qu’après un long voyage qui nous sépare des créatures et de nous-mêmes. Nous aurons le courage d’accomplir ce long et dur parcours, et nous connaîtrons la joie du terme atteint.