La doctrine catholique de l'enseignement

De Salve Regina

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Voici le texte (inédit) d'une note que l'abbé Berto avait écrite en 1959, au moment où se préparait le vote de la loi Debré dite d'aide à l'enseignement privé. Il lui avait donné pour titre : « Sommaire de l'enseignement de l'Église sur l'éducation des enfants. » Les Dominicaines du Saint-Esprit, qui l'ont retrou­vé dans les papiers de leur fondateur-agré­gateur, nous le donnent pour l'instruction de nos lecteurs (et, ajouterons-nous, pour la honte des évêques qui taisent cette doctrine pourtant très certaine). Qu'elles en soient ici affectueusement remerciées.

Le texte est publié, bien entendu, sans mo­difications ni coupures. Nous avons simple­ment ajouté en bas de page des notes expli­catives sur deux points de vocabulaire.

J. M.



I. ‑ De droit divin naturel, l'éducation des enfants appartient aux parents, dépositaires-nés de l'autorité de Dieu, étant bien entendu que les enfants doivent être élevés non arbitrai­rement, mais conformément à la vérité et au bien.


II. ‑ De droit divin surnaturel, l'Église possède exclusi­vement l'autorité maternelle sur les enfants baptisés et d'elle relève exclusivement leur éducation dans la foi et les mœurs chrétiennes, les parents chrétiens procédant à cette éducation en vertu du droit naturel, mais dépendant eux-mêmes du droit supérieur de l'Église sur les deux points sus‑mentionnés.


III. ‑ De droit divin surnaturel encore, l'Église est une société publique parfaite [1], c'est-à-dire qu'elle a le droit de posséder tous les organes et toutes les institutions dont elle a besoin pour atteindre sa fin propre, qui est l'avancement du Règne de Dieu ; au nombre de ces organes et institutions, le code de droit canonique inscrit formellement l'école, en ces termes : « A l'Église appartient le droit d'établir des écoles pour toute matière d'enseignement, et non seulement de degré élémentaire, mais secondaire et supérieur. » (Canon 1375.)


IV. ‑ Ni l'analyse métaphysique rationnelle, ni les don­nées de la Révélation chrétienne ne permettent d'attribuer à l’État une fonction « paternelle » qui serait l'analogue en droit naturel de l'autorité maternelle de l'Église.


V. ‑ L'État [2] est une fédération de familles, un tout qui résulte de ses parties, lesquelles existent antérieurement à lui et subsistent intégralement au-dedans de lui. L'Église est une so­ciété de personnes, dans laquelle chacune d'elles entre une à une par le baptême, un tout préexistant à ses membres et en faisant un corps proprement dit, un organisme spirituel vivant.


VI. ‑ Comme société publique et parfaite, l'État n'étant chargé directement de distribuer aucun dogme ni aucune morale, doit se borner à aider les sociétés imparfaites [3] qui le composent (les familles) à instruire leurs enfants, tâche dont elles sont, elles, directement chargées ‑ et il doit en outre, dans l'hypothèse en fait réalisée de l'existence d'une société surnaturelle, reconnaître le droit propre de cette société.


VII. ‑ Aux termes de l'encyclique de Pie XI Divini illius Magistri, les droits de l'État sont donc de deux sortes :

a) mettre les familles en mesure de donner à leurs enfants le degré d'instruction et le genre d'éducation choisis par les familles elles-mêmes ;

b) se substituer, mais de droit simplement dévolutif, aux familles défaillantes (mort des parents, indignité, incurie) pour assurer aux enfants au moins le minimum d'instruction et d'édu­cation, mais, s'il s'agit d'enfants baptisés, conformément à l'au­torité maternelle de l'Église.


VIII. ‑ Cette fonction de l'État ne comporte nullement que l'État fonde lui-même des écoles, entretienne lui-même un personnel enseignant (à l'exception des écoles spéciales destinées à préparer aux grands services publics : armée, administration, P.T.T., Ponts-et-Chaussées, etc.).

Au contraire la liberté des familles est mieux assurée, celle du personnel enseignant aussi, quand il n'y a pas d'enseigne­ment public d'État, « fonctionnarisé ». Et l'aide due par l'État aux familles serait infiniment moins onéreuse pour l'État lui-même, et donc, en fin de compte, pour les contribuables.

Il y a lieu, par conséquent, d'appliquer au cas particulier de l'enseignement le principe général de la doctrine sociale de l'Église, indéfiniment (et, hélas, vainement) répété par les papes, que l'État ne doit dans aucun domaine, hormis le sien propre qui est uniquement celui des services qui par nature sont d'or­dre public, assumer des entreprises qui peuvent être, aussi bien et mieux que par lui, fondées et gérées par des personnes privées physiques ou morales.


IX. ‑ Ainsi, quand bien même l'enseignement « d'État » tel qu'il existe en France ne serait pas grevé des tares supplé­mentaires de la neutralité, des infiltrations communistes, etc., il serait néanmoins, par sa seule existence, une institution con­traire à la droite raison, à la doctrine sociale de l'Église, aux intérêts des citoyens.


X. ‑ L'action sociale et politique des catholiques ayant évidemment pour objet (autrement quel serait-il ?) de remettre l'État en ordre, sur ses bases rationnelles, dans ses limites natu­relles, il s'ensuit que le programme complet des catholiques doit ouvertement comporter la suppression de tout enseignement d'État, hormis l'exception signalée plus haut des écoles spé­ciales.


XI. ‑ Il n'y a pas seulement désordre, il y a usurpation et tyrannie :

a) quand l'État refuse de reconnaître les écoles d'Église comme des écoles publiques, et les qualifie faussement et inju­rieusement d'écoles « privées » ;

b) quand il établit au profit de son enseignement, comme c'est le cas présentement en France, un véritable monopole de fait, en accordant la gratuité dans ses propres écoles, et en refusant de contribuer à l'entretien des écoles publiques d'Église et des écoles privées proprement dites, ce qui fait de ces deux dernières catégories d'écoles des écoles fermées aux pauvres, au moins pour les degrés secondaire et supérieur. Il y a là une abomination qui crie vengeance devant Dieu.


XII. ‑ Le programme des catholiques en matière scolaire, dans un pays donné à une époque donnée, peut n'être pas, pour des raisons d'opportunité, le programme catholique com­plet. Encore faut-il qu'il soit au moins un programme catho­lique, et pour cela qu'il ne comporte pas seulement le respect par l'État du droit naturel des familles, mais le respect du droit propre et transcendant de l'Église. Nulle raison de tactique ne peut excuser le silence sur ce dernier point. Des gens d'honneur ne mettent pas leur drapeau dans leur poche, des fils ne rou­gissent pas de soutenir les droits de leur mère. Une telle omission ne trompe d'ailleurs nullement nos adversaires, qui n'y voient qu'une escobarderie, mais, par un trop juste et redou­table retour, elle égare surtout les catholiques eux-mêmes, qui finissent par réduire pratiquement l'Église, dans leur esprit, au rang d'une simple société privée, par trouver normal et légitime que l'État la traite comme telle, ce qui est abandonner l'idée même et la volonté de restaurer un ordre social chrétien, dont la première condition est précisément la reconnaissance par l'État de l'Église comme société publique.


  1. Dans le vocabulaire de la philosophie sociale chrétienne, on appelle société parfaite non point une société dont tous les membres seraient sans péché, toutes les mœurs sans défaillance et tous les usages excellents, ‑ mais une société qui, par sa nature, a en elle tous les moyens nécessaires pour atteindre sa fin propre. C'est en ce sens que la société politique (que l'on appelle aussi : société civile) et l'Église sont l'une et l'autre une société parfaite. La famille est une société imparfaite parce qu'elle ne pourrait, isolée et par elle seule, atteindre les fins auxquelles elle est ordonnée par sa nature : c'est pourquoi les familles s'unissent pour former la société politique.
  2. L'abbé Berto, dans ce texte, emploie le mot État non seulement au sens strict d'organe détenteur du pouvoir public dans la société politique, mais également, en même temps, au sens large de la société politique elle-même. La distinction entre les deux significations était inutile pour le sujet traité.
  3. Voir la note 1.
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