4ème concile du Latran 1215
De Salve Regina
Histoire de l'Eglise | |
Auteur : | Chanoine Adolphe-Charles Peltier |
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Source : | Dictionnaire universel et complet des conciles |
Date de publication originale : | 1847 |
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Difficulté de lecture : | ♦♦ Moyen |
Remarque particulière : | Publié dans l'Encyclopédie théologique de l'abbé Jacques-Paul Migne, tomes 13 et 14. |
Concile de Latran IV - 1215 - douzième concile œcuménique
Le pape Innocent III convoqua ce concile, qui est le quatrième de Latran, et le douzième général, par une bulle datée du 19 avril 1213, qu'il envoya par toute la chrétienté. Les motifs de la convocation du concile furent le recouvrement de la terre sainte, la réformation des mœurs de l'Église universelle, l'extinction des guerres et des hérésies, l'affermissement de la foi et le rétablissement de la paix. Il s'y trouva quatre cent douze évêques, en y comprenant le patriarche de Constantinople et celui de Jérusalem, soixante et onze primats ou métropolitains ; plus de huit cents, tant abbés que prieurs, et un grand nombre de députés pour les absents. La foule était si grande, que l'archevêque d'Amalfi fut étouffé par le peuple sous le vestibule de l'église. Frédéric, roi de Sicile, élu empereur, Henri, empereur de Constantinople, les rois de France, d'Angleterre, de Hongrie, de Jérusalem, de Chypre, d'Aragon, et plusieurs autres princes, y avaient leurs ambassadeurs. Le concile s'assembla dans l'église patriarcale de Latran, le jour de Saint-Martin, 11 novembre 1215. Le pape en fit l'ouverture par un discours qui avait pour sujet ces paroles de Jésus-Christ : " J'ai désiré avec ardeur de manger cette Pâque avec vous. " Après ce discours et un autre qui n'est qu'une exhortation morale, il présenta au concile, tout dressés, et y fit lire soixante-dix décrets ou canons qui commencent par l'exposition de la foi catholique.
1. Cette exposition ou formule de foi est qu'il n'y a qu'un seul Dieu en trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; mais une seule essence, une substance et une nature très simple ; que le Père ne reçoit l'être de personne, que le Fils reçoit son entité du Père seul, et que le Saint-Esprit reçoit la sienne à la fois des deux premiers, sans commencement, toujours, et sans fin ; que le Père engendre ; que le Fils est engendré ; que le Saint-Esprit procède ; qu'ils sont consubstantiels et égaux en tout ; également puissants, également éternels ; tous les trois un seul principe de toutes choses, créateur des choses invisibles et visibles, des spirituelles et des corporelles ; qui, par sa vertu toute-puissante, a, dès le commencement du temps, fait de rien l'une et l'autre créature spirituelle et corporelle, et les démons mêmes, qu'il avait créés bons et qui se sont faits mauvais ; que c'est par la suggestion du diable que l'homme a péché.
Cette sainte Trinité, indivisible selon son essence commune, et distinguée selon ses propriétés personnelles, a donné au genre humain la doctrine salutaire, par le ministère de Moïse, des prophètes et de ses autres serviteurs, suivant la disposition des temps ; et enfin le Fils unique de Dieu, Jésus-Christ, incarné par la vertu commune de toute la Trinité, et conçu de Marie, toujours vierge, et par la coopération du Saint-Esprit, qui s'est fait homme véritable, composé d'une âme raisonnable et d'un corps humain, une personne en deux natures, nous a montré plus clairement le chemin de la vie. Immortel et impassible selon la divinité, il s'est fait passible et mortel selon l'humanité. Il a même souffert sur le bois de la croix pour le salut du genre humain. Il est mort, descendu aux enfers, ressuscité d'entre les morts, et monté au ciel ; mais il est descendu en âme, et ressuscité en corps, et est monté au ciel en l'un et en l'autre. Il viendra à la fin des siècles juger les vivants et les morts, tant les réprouvés que les élus qui ressusciteront tous avec leurs propres corps, afin de recevoir, selon leurs mérites bons ou mauvais : les réprouvés, la peine éternelle avec le diable ; les élus, la gloire éternelle avec Jésus-Christ.
Il n'y a qu'une seule Église universelle des fidèles, hors de laquelle nul n'est absolument sauvé, et dans laquelle Jésus-Christ est le prêtre et la victime, dont le corps et le sang sont véritablement dans le sacrement de l'autel sous les espèces du pain et du vin ; le pain étant transsubstantié au corps de Jésus-Christ, et le vin en son sang, par la puissance divine ; afin que, pour rendre le mystère de l'unité parfait, nous recevions du sien ce qu'il a reçu du nôtre. Personne ne peut consacrer ce mystère que le prêtre ordonné légitimement, selon la puissance des clefs de l'Église, que Jésus-Christ a donnée aux apôtres et à leurs successeurs. Quant au sacrement de baptême, qui est consacré par l'invocation sur l'eau de la Trinité individuelle, savoir, du Père, du Fils et du Saint-Esprit, il procure le salut tant aux enfants qu'aux adultes, quand il leur est administré suivant la forme de l'Église, quel qu'en soit le ministre. Si, après l'avoir reçu, quelqu'un tombe dans le péché, il peut recouvrer son innocence par une vraie pénitence. Non seulement les vierges qui vivent dans la continence, mais aussi les personnes mariées qui plaisent à Dieu par une foi pure et par leurs bonnes œuvres, méritent de parvenir à la vie éternelle.
Le terme de transsubstantiation employé dans ce canon est remarquable. Le quatrième concile de Latran le consacra pour signifier le changement du pain et du vin au corps et au sang de Jésus-Christ, comme le premier concile de Nicée avait consacré le terme de consubstantiel, pour exprimer la parfaite égalité du Fils avec le Père ; et l'Église s'est toujours servie depuis de ces deux termes dans le même sens et pour les mêmes fins.
2. Le concile condamne le traité de l'abbé Joachim contre Pierre Lombard, sur la Trinité, où il l'appelle hérétique et insensé, pour avoir dit, dans son premier livre des Sentences, qu'une chose souveraine est Père, Fils et Saint-Esprit, et qu'elle n'engendre, ni n'est engendrée, ni ne procède. L'abbé Joachim prétendait qu'il suivait de cette doctrine, qu'il y avait une quaternité en Dieu, savoir les trois personnes de la Trinité et leur espèce commune ; et soutenait que l'union des personnes n'est pas propre et réelle, mais seulement similitudinaire, comme celle des croyants, dont il est dit aux Actes des apôtres, qu'ils n'avaient qu'un cœur et qu'une âme ; et comme dit Jésus-Christ dans saint Jean, en parlant des fidèles à son Père : " Je veux qu'ils soient un comme nous. " Pour nous, dit le pape, nous croyons, avec l'approbation du saint concile, et nous confessons qu'il y a une chose souveraine, qui est le Père, le Fils et le Saint-Esprit, sans qu'il y ait de quaternité en Dieu, parce que chacune de ces personnes est cette chose, c'est-à-dire la substance, l'essence ou la nature divine, qui seule est le principe de tout. Le concile déclare donc hérétiques tous ceux qui défendraient ou approuveraient la doctrine de l'abbé Joachim sur cet article. Il condamne aussi la doctrine d'Amauri, qui soutenait que chaque chrétien est obligé, sous peine de privation du salut, de croire qu'il est membre vivant de Jésus-Christ.
3. Le concile prononce anathème contre toutes les hérésies contraires à l'exposition de foi précédente ; et ordonne que les hérétiques, après avoir été condamnés, seront livrés aux puissances séculières. Il ajoute que l'on avertira ces puissances, et qu'on les contraindra, même par censures, de prêter serment en public, qu'elles chasseront de leurs terres tous les hérétiques notés par l'Église ; que, si les seigneurs temporels négligent de le faire, ils seront excommuniés par le métropolitain et les évêques de la province ; que, s'ils ne satisfont pas dans l'an, l'on en donnera avis au pape, qui déclarera leurs vassaux absous du serment de fidélité, et exposera leurs terres à la conquête des catholiques, pour les posséder paisiblement, après en avoir chassé les hérétiques et y conserver la pureté de la foi, sauf le droit du seigneur principal ; pourvu que lui-même ne mette aucun obstacle à l'exécution de cette ordonnance.
Ceux qui, en lisant ce canon, seraient tentés de croire que l'Église entreprend ici sur la puissance séculière, pourront se désabuser, en observant (dit le P. Richard) que les ambassadeurs des principaux souverains de la chrétienté étaient présents au concile de Latran, et consentaient à ses décrets au nom de leurs maîtres.
Mais la question est de savoir si ce consentement était nécessaire à l'Église de la part des princes, ou s'ils n'étaient pas consciencieusement obligés de le lui donner. " Cette concession (des princes faite à l'Église) peu vraisemblable a besoin de preuves, dit le cardinal Litta (Lettre 8), et il n'y en a pas la moindre trace dans les actes du concile. "
" L'idée d'un royaume de Dieu réalisé ou devant être réalisé sur la terre était dans ces siècles, dit le savant M. Hurter, encore alors protestant (Hist. du pape Innocent III, l. XX), l'inspiration vivace et vivifiante de la papauté ; inspiration plus ou moins activement exécutée, mais jamais complètement assoupie. C'est par cette idée que le chef de l'Église se considère comme le représentant visible du Dieu invisible. La doctrine de la foi, telle qu'elle a été établie par l'Église, en sa qualité d'organe du Saint-Esprit, était à ses yeux une révélation de la volonté divine obligatoire pour tous, un précepte de vie donné sans distinction à tous les hommes par le souverain suprême du ciel et de la terre. Toute déviation de ce précepte était regardée comme une opposition à cette volonté ; et vouloir la maîtriser, c'était un crime impardonnable : c'est pourquoi toute erreur reconnue et maintenue apparaissait comme une résistance impie de l'homme contre Dieu, de l'être mortel contre l'éternel, du serviteur contre le maître, de la créature contre le créateur. Si la punition frappe celui qui désobéit à l'ordre temporel, elle doit frapper plus sérieusement encore celui qui, par une déviation connue ou obstinée de la foi, s'oppose à la volonté de Dieu : car la révolte contre le souverain éternel est plus coupable que celle contre le souverain temporel. "
4. On exhorte les Grecs à se réunir et à se conformer à l'Église romaine, afin qu'il n'y ait qu'un pasteur et qu'un troupeau ; et l'on défend aux Grecs, sous peine d'excommunication et de déposition, de laver les autels où les prêtres latins avaient célébré, et de rebaptiser ceux qu'ils avaient baptisés : c'est que plusieurs Grecs poussaient l'aversion contre les Latins jusqu'à laver les autels où les prêtres latins avaient célébré, et rebaptiser ceux qu'ils avaient baptisés.
5. Le concile règle l'ordre et les prérogatives des quatre patriarches d'Orient, mettant après l'Église romaine, qui a la principauté sur toutes les autres, comme mère de tous les fidèles, celui de Constantinople, puis ceux d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem.
6. On renouvelle les anciens décrets touchant la tenue des conciles provinciaux chaque année, pour la réforme des mœurs, principalement du clergé ; et afin qu'on y puisse réussir, il est ordonné qu'on établira en chaque diocèse des personnes capables qui, pendant toute l'année, s'informeront exactement des choses dignes de réforme, pour en faire leur rapport au concile suivant.
7. Les évêques veilleront à la réforme des mœurs de leurs diocésains et corrigeront les abus qu'ils trouveront parmi eux, et surtout parmi les clercs.
8. On règle la manière de procéder pour la punition des crimes : le prélat, sur la diffamation publique de celui contre lequel il veut informer, lui exposera les articles qui doivent faire l'objet de ses informations afin qu'il ait la faculté de se défendre, et lui déclarera non seulement les dépositions, mais les noms des témoins, et recevra ses exceptions et ses défenses légitimes.
9. Les évêques des diocèses d'Orient où il y a un mélange de chrétiens dont la langue et les rites sont différents établiront des hommes capables pour célébrer à chaque nation l'office divin, lui administrer les sacrements, et l'instruire chacune selon son rit et en sa langue, sans néanmoins qu'il puisse y avoir deux évêques dans un diocèse, mais seulement un vicaire catholique, soumis entièrement à l'évêque, pour ceux qui sont d'un autre rit.
10. Les évêques choisiront des personnes éclairées pour prêcher, confesser, imposer des pénitences et faire tout ce qui convient au salut des âmes.
11. On renouvelle l'ordonnance du concile de Latran de l'an 1179, sous Alexandre III, portant que dans les églises cathédrales et collégiales il y aura un maître pour enseigner gratis la grammaire et les autres sciences aux clercs de ces églises et aux autres écoliers pauvres. A l'égard des églises métropolitaines, elles auront, outre ce maître de grammaire, un théologal ou théologien, pour enseigner aux prêtres et aux autres ecclésiastiques l'Écriture sainte et ce qui regarde le soin des âmes. Ce théologal ne sera pas néanmoins chanoine, non plus que le maître de grammaire ; mais on leur donnera à l'un et à l'autre le revenu d'un bénéfice.
12. Les abbés et les prieurs tiendront leurs chapitres généraux tous les trois ans, pour y traiter de la réforme et de l'observance régulière, sans préjudice du droit des évêques.
13. Défense à qui que ce soit d'inventer de nouveaux ordres religieux. Ceux qui voudront entrer en religion embrasseront un des ordres approuvés. Une même personne n'aura pas des places de moine en plusieurs monastères, ni plusieurs abbayes en même temps.
14, 15 et 16. Un clerc convaincu d'incontinence sera puni suivant la rigueur des canons, et plus grièvement encore celui qui demeure dans un pays où il est de coutume que les clercs se marient. Ils vivront aussi selon les règles de la tempérance ; et celui qui sera sujet à l'ivrognerie, s'il ne se corrige étant averti par son évêque, sera suspens de son bénéfice ou de son office. Ils n'iront point à la chasse et n'auront point d'oiseaux pour ce sujet, ils s'abstiendront des trafics séculiers, des spectacles, des jeux de hasard, et n'entreront pas dans les cabarets, si ce n'est en voyage. Ils porteront une tonsure ou une couronne convenables à leur état ; auront des habits fermés qui ne soient ni trop longs ni trop courts, et sans parures ; porteront à l'église des chapes sans manches, sans agrafes, et sans rubans d'or ni d'argent. Ils ne porteront point de bagues, à l'exception de ceux à qui leur dignité donne droit d'en porter. Les évêques porteront, dans l'église et au dehors, des surplis de toile ; leurs manteaux seront attachés, ou sur la poitrine avec des agrafes, ou derrière le cou.
17. On menace de suspense les clercs qui passeraient une partie de la nuit dans des festins ou des entretiens profanes, dormiraient jusqu'au jour et réciteraient les matines avec précipitation, entendraient rarement la messe et la célébreraient plus rarement encore. On les exhorte à célébrer assidûment et avec dévotion l'office du jour et de la nuit.
18. Défense aux clercs de dicter ou de prononcer une sentence de mort, ni de rien faire qui ait rapport au dernier supplice ; d'exercer aucune partie de la chirurgie où il faille employer le fer ou le feu ; de donner la bénédiction pour l'épreuve de l'eau chaude ou froide, ou du fer chaud.
19. On défend de porter des meubles dans les églises hors le cas de nécessité, comme dans les incursions des ennemis ; et l'on ordonne de tenir propres les vases sacrés, les ornements et les linges destinés au saint ministère.
20. Le saint chrême et l'eucharistie seront enfermés sous la clef dans toutes les églises ; et ceux qui auront manqué de diligence à cet égard seront suspens pendant trois mois de leur office.
21. Tous les fidèles parvenus à l'âge de discrétion confesseront tous leurs péchés au moins une fois l'an à leur propre prêtre ; ils accompliront la pénitence qui leur sera imposée et recevront le sacrement de l'eucharistie avec respect au moins à Pâques, si ce n'est qu'ils croient s'en devoir abstenir pour une cause raisonnable, et de l'avis de leur propre prêtre, pendant quelque temps. Ceux qui ne s'acquitteront pas de ce devoir seront condamnés à être privés, de leur vivant, de l'entrée de l'église, et de la sépulture ecclésiastique après leur mort ; et ce statut sera publié souvent dans l'église, afin que personne n'en prétende cause d'ignorance. Le canon ajoute que si quelqu'un veut, pour une juste cause, confesser ses péchés à un prêtre étranger, c'est-à-dire ou à un curé voisin, ou à tout autre prêtre approuvé, il en demandera et en obtiendra la permission de son propre prêtre, parce qu'autrement cet étranger ne pourrait le lier ni le délier ; qu'au reste le prêtre à qui ils confessent leurs péchés doit être discret et prudent ; panser, comme un bon médecin, les blessures des malades, y mettre de l'huile et du vin, en s'informant exactement du pécheur et des circonstances du péché, pour savoir quel conseil il doit lui donner et de quels remèdes il doit se servir pour le guérir. Le confesseur doit aussi prendre garde de ne pas découvrir, par quelque parole ou par quelque signe, les péchés de ceux qui se confessent ; et celui qui se trouvera coupable en ce point sera déposé et enfermé dans un monastère, pour y faire pénitence le reste de ses jours.
On peut remarquer quatre choses sur ce canon : la première, qu'il fut fait à l'occasion des albigeois et des vaudois, qui méprisaient la pénitence et prétendaient recevoir la rémission de leurs péchés sans confession ni satisfaction, par la seule imposition des mains de l'un de ceux qu'ils appelaient prévôts, évêques ou diacres ; la seconde, que le concile ne détermine que le temps de la communion, qu'il fixe à Pâques, et non celui de la confession, parce qu'alors on devait la faire au commencement du carême ; la troisième, que par le propre prêtre auquel on doit faire la confession annuelle il faut entendre le curé de la paroisse où l'on demeure, sauf les droits de l'évêque et du souverain pontife ; la quatrième enfin, que, quoique par le propre prêtre on doive entendre le curé, ou peut néanmoins satisfaire à ce canon en se confessant à tout autre prêtre approuvé par l'évêque diocésain, lorsque telle est son intention. Voici donc quel est l'usage de la France touchant le ministre de la confession annuelle. Il y a des Églises où les évêques entendent que tous les confesseurs approuvés indéfiniment pourront confesser, même pour la confession qui est de précepte, sans la permission des curés ; et dans ces Églises, la confession annuelle faite à tout prêtre approuvé est bonne. Il y en a d'autres où, le dimanche des Rameaux, le curé, publiant au prône le canon Omnis utriusque sexus, donne la permission générale à tous ses paroissiens de se confesser à tout prêtre approuvé ; et cette permission générale suffit pour que chacun puisse se confesser licitement à tout prêtre approuvé. Enfin il y a des Églises où la pratique constante est de demander et d'obtenir la permission des curés ; et dans ces Églises les confessions faites à d'autres prêtres qu'aux propres curés, dans cette formalité, peuvent être illicites ; mais elles sont toujours valides si les prêtres étrangers à qui l'on s'adresse sont approuvés par l'évêque diocésain : ainsi l'a décidé, en 1655, l'assemblée du clergé de France, avec l'assentiment de tous les évêques du royaume.
22. Lorsqu'un malade fera venir les médecins, ils l'avertiront, avant de lui rien ordonner pour le rétablissement de sa santé, de pourvoir au salut de son âme ; et les médecins qui y auront manqué seront privés de l'entrée de l'église jusqu'à une satisfaction convenable. S'ils lui conseillent, pour la santé de son corps, des choses qui puissent nuire au salut de son âme, ils seront excommuniés.
23. On ne laissera point vaquer plus de trois mois un évêché ou une abbaye ; autrement ceux qui avaient droit d'élire en seront privés pour cette fois, et il sera dévolu au supérieur auquel il appartient de pourvoir à la vacance, lequel sera tenu de la remplir dans les trois mois, en prenant, pour cet effet, le conseil de son chapitre et des personnes prudentes.
24. L'élection doit se faire en présence de tous ceux qui doivent et peuvent commodément y assister. Elle peut se faire en trois manières : par scrutin, par compromis, ou par inspiration. En la première, les votants choisissent trois d'entre eux pour recueillir secrètement les suffrages de chacun en particulier, les rédiger par écrit, et les comparer ensemble, afin que celui qui a pour lui les suffrages du plus grand nombre des votants, soit élu. La seconde manière consiste à donner le pouvoir d'élire, au nom de tous, à quelques personnes capables ; la troisième, à s'accorder tous ensemble, comme par inspiration divine, pour nommer un même sujet. Toute autre forme d'élection est déclarée nulle. Personne ne peut donner son suffrage par procureur, à moins qu'il ne soit absent pour empêchement légitime, et aussitôt que l'élection est faite, on la doit publier solennellement.
25. Si l'élection se fait par l'autorité de la puissance séculière, elle sera nulle de plein droit : l'élu qui y aura consenti n'en tirera aucun avantage et deviendra incapable d'être élu : les élus seront suspendus pendant trois ans de tout office et bénéfice, et privés pour cette fois du pouvoir d'élire.
26. Celui à qui il appartient de confirmer l'élection doit auparavant en examiner soigneusement la forme, ainsi que les qualités de l'élu, ses mœurs, sa science et son âge. S'il confirme l'élection d'un sujet qui n'a pas les qualités requises ou dont l'élection n'est pas dans les règles, il perd le droit de confirmer le premier successeur, et il sera privé de la jouissance de son bénéfice. Les prélats soumis immédiatement au saint-siège se présenteront au pape en personne pour faire confirmer leur élection.
27. Les évêques ne conféreront les dignités ecclésiastiques ou les ordres sacrés qu'à des personnes capables, et auront soin d'instruire, soit par eux-mêmes, soit par d'autres, ceux qu'ils voudront ordonner prêtres, tant sur les divins offices, que sur l'administration des sacrements, puisqu'il vaut mieux que l'Église ait peu de bons ministres, surtout des prêtres, que plusieurs mauvais.
28. Celui qui aura demandé et obtenu la permission de quitter son bénéfice sera tenu et même contraint de le quitter, attendu qu'il n'a pris cette résolution que pour l'utilité de son église ou pour ses intérêts propres.
29. Une même personne ne pourra posséder deux bénéfices à charge d'âmes, et celui qui en recevra un second de même nature sera privé du premier ; que s'il veut le retenir, il sera aussi dépouillé du second. Le collateur du premier bénéfice le conférera aussitôt qu'un clerc en aura un second. Si le collateur diffère trois mois de donner le premier, il sera dévolu au supérieur. La même chose s'observera à l'égard des personnats et des dignités en une même église, quoiqu'elles n'aient pas charge d'âmes. Le saint-siège pourra néanmoins dispenser de cette règle les personnes distinguées par leur grande naissance ou par leur science.
30. Ceux qui conféreront des bénéfices à des personnes incapables de les posséder, après une première et seconde monition, seront suspens du droit de conférer, et ne pourront être relevés de cette suspense que par le pape ou le patriarche. On s'informera soigneusement dans le concile provincial annuel des fautes commises à cet égard, et l'on y aura soin de substituer des personnes sages et discrètes, pour suppléer au défaut de celui que le concile aura suspendu de son droit de collation.
31. Les enfants des chanoines, surtout les bâtards, ne pourront posséder des canonicats dans les mêmes églises où ces chanoines sont établis.
32. On assignera au curé une portion congrue. Il desservira sa paroisse par lui-même, et non par un vicaire, à moins que sa cure ne soit annexée à une prébende ou à une dignité qui l'oblige à servir dans une plus grande église ; en ce cas, il aura un vicaire perpétuel qui recevra une portion congrue sur les revenus de la cure.
Ce canon fut fait contre les collateurs qui s'attribuaient presque tout le revenu des cures, et en laissaient si peu aux titulaires, qu'elles n'étaient desservies que par des ignorants.
33 et 34. Il est défendu aux évêques, à leurs archidiacres et à leurs légats, de rien prendre pour frais de visite que quand ils la font en personne, et de chercher dans leur visite plutôt leur profit que ce qui regarde Jésus-Christ et la réformation des mœurs, qui en doit être le principal objet.
35. Défense d'appeler avant la sentence. La cause d'appel doit être proposée au juge, et être telle, qu'étant prouvée, elle soit réputée légitime. Si le juge supérieur ne trouve pas l'appel raisonnable, il doit renvoyer l'appelant au juge inférieur, et le condamner aux dépens ; le tout sans préjudice des constitutions qui ordonnent que les causes majeures seront portées au saint-siège.
36. Si le juge révoque une sentence comminatoire ou interlocutoire prononcée par lui, cette révocation ne lui ôte pas le pouvoir de continuer l'instruction du procès, quand même on aurait appelé de cette sentence, pourvu qu'il n'y ait point de causes légitimes de la suspecter.
37. On défend de se pourvoir en cour de Rome pour obtenir des lettres, afin d'appeler une partie en jugement à deux journées au-delà de son diocèse, de peur que le défendeur fatigué n'abandonne son droit.
38. Les juges auront un officier public qui écrira tous les actes du procès, dont on donnera copie aux parties, et dont le juge retiendra les minutes ou originaux ; afin que, s'il arrive quelque difficulté sur la procédure du juge, elle puisse être levée par le vu des pièces.
39. Le possesseur d'un bien qu'il a acquis de celui qu'il sait l'avoir usurpé doit le restituer au possesseur légitime.
40. La possession d'un an sera comptée du jour qu'elle est adjugée par sentence, quoique celui au profit duquel elle est rendue, n'ait pu, par la malice de son adversaire, se mettre en possession de la chose, ou qu'il en ait été dépossédé par lui.
41. La prescription doit être de bonne foi, autrement elle ne doit pas avoir lieu ; et il est nécessaire que celui qui se sert de prescription n'ait su en aucun temps que ce qu'il retient ne lui appartient pas.
42. Les ecclésiastiques ne pouvant souffrir que les laïques étendent leur juridiction sur eux, ils ne doivent pas non plus étendre la leur sur les laïques.
43. Défense aux laïques d'exiger des serments de fidélité des ecclésiastiques qui ne possèdent aucun bien temporel qui relève des laïques.
44. Défense d'observer les constitutions des puissances laïques faites au préjudice des droits de l'Église, soit pour l'aliénation des fiefs, soit pour l'usurpation de la juridiction ecclésiastique, soit pour tout autre bien annexé au spirituel, si ce n'est que ces constitutions aient été portées du consentement de l'autorité ecclésiastique.
45. Si les patrons ou vidames avoués des églises négligent d'y pourvoir quand elles sont vacantes, ou disposent du revenu des bénéfices, ou attentent à la vie des prélats, ils seront privés de leur droit de patronage et d'advocation, même leurs héritiers jusqu'à la quatrième génération, et ne pourront être admis dans aucun collège de clercs, ni dans des maisons religieuses.
46. Les officiers des villes ne pourront exiger des tailles ni d'autres taxes des ecclésiastiques, sous peine d'excommunication ; mais les évêques sont autorisés à engager les ecclésiastiques à donner des secours dans le besoin, après en avoir pris conseil du pape.
47. On ne prononcera la sentence d'excommunication contre personne, qu'après la monition convenable faite en présence de témoins : quiconque fera le contraire sera privé de l'entrée de l'église pendant un mois. L'excommunication doit être fondée sur une cause publique et raisonnable. Celui qui se prétendra excommunié injustement portera sa plainte au juge supérieur, qui le renverra au premier juge pour être absous, ou lui donnera lui-même l'absolution, après avoir pris ses sûretés. Mais si l'excommunié ne se trouve pas bien fondé dans sa plainte, il sera condamné aux dommages et intérêts envers le premier juge, et à telle autre peine que le juge supérieur estimera.
48. On peut récuser un juge suspect, en alléguant les raisons de suspicion par devant des arbitres convenus. S'il les trouve raisonnables, le juge récusé enverra le procès à un autre juge, ou au juge supérieur.
49. On défend d'excommunier on d'absoudre par intérêt. Si l'injustice de l'excommunication est prouvée, le juge sera condamné à restituer au double l'amende pécuniaire qu'il aura perçue.
50. Le concile révoque la défense de contracter mariage dans le second et le troisième genre d'affinité, et restreint les degrés dans lesquels il est défendu de contracter mariage au quatrième degré de consanguinité et d'affinité inclusivement.
Pour bien entendre ce canon, il faut faire les observations suivantes :
1° La consanguinité ou parenté naturelle est la liaison que la nature a mise entre deux personnes qui descendent l'une de l'autre, comme entre le père et ses enfants, qui descendent de lui ; ou d'une souche commune, comme entre les frères et les sœurs, qui descendent d'une souche qui leur est commune, savoir de leur commun père.
2° L'affinité proprement dite est le rapport qu'il y a entre l'un des conjoints par mariage, et les parents de l'autre conjoint. Ainsi tous les parents du mari sont les affins de la femme, et tous les parents de la femme sont les affins du mari.
3° Avant le quatrième concile de Latran, on distinguait trois genres d'affinité : le premier était l'affinité qui est entre l'un des conjoints par mariage, et les parents de l'autre conjoint, laquelle affinité est l'affinité proprement dite, la seule qui fût connue par les lois romaines et dans les premiers siècles de l'Église.
Le second genre d'affinité était l'affinité que les canonistes avaient imaginée entre l'un des conjoints par mariage, et les affins de l'autre conjoint.
Le troisième genre d'affinité était celui que ces mêmes canonistes avaient imaginé entre l'un des conjoints par mariage, et les affins du second genre de l'autre conjoint. Par exemple, la femme de mon frère tient, par affinité, lieu de sœur aux autres frères et sœurs de mon frère et à moi : cette affinité est l'affinité du premier genre, l'affinité proprement dite. Si cette belle-sœur, après la mort de mon frère, vient à se remarier, il se contracte une affinité entre son second mari et moi et mes frères et sœurs, par laquelle il nous tient lieu de beau-frère : cette affinité n'est pas celle du premier genre, parce que nous ne sommes pas les parents de la femme de notre frère qui est mort ; nous sommes seulement ses affins, ses beaux-frères et ses belles-sœurs. Si ensuite, après la mort de notre belle-sœur, son second mari vient à se remarier, il se contractera un troisième genre d'affinité, par laquelle sa seconde femme nous tiendra lieu de belle-sœur, parce que nous sommes affins du second genre d'affinité avec son mari.
Ces affinités du second et du troisième genre formaient, avant le concile de Latran, un empêchement dirimant de mariage, de même et dans les mêmes degrés que l'affinité du premier genre.
4° Avant ce même concile de Latran, la défense de contracter mariage s'étendait jusqu'au septième degré de parenté et d'affinité. Il y eut même des conciles, tels que celui d'Agde en 506, et celui de Tolède en 531, qui défendirent les mariages d'une manière absolue et illimitée entre parents et affins.
Ces divers genres d'affinité, et ces degrés de parenté et d'affinité, si multipliés et si étendus, qui formaient un empêchement dirimant au mariage, mettant souvent en péril le salut des contractants, le quatrième concile de Latran, pour obvier à ces inconvénients, retrancha le second et le troisième genre d'affinité, et restreignit au quatrième degré de parent et d'affinité proprement dite la défense de contracter mariage entre parents et affins.
51. Le concile condamne les mariages clandestins, et ordonne, à cet effet, que les mariages, avant d'être contractés, seront annoncés publiquement par les prêtres dans les églises, avec un terme suffisant, dans lequel on puisse proposer les empêchements légitimes ; que ceux qui auront contracté un mariage clandestin, même en un degré permis, seront mis en pénitence, et que le prêtre qui y aura assisté sera suspens pour trois ans.
52. Le concile abolit l'ancien usage de prouver la parenté, relativement à l'empêchement de mariage, par des témoins qui ne déposent que ce qu'ils ont ouï dire, et veut qu'on ne reçoive plus en cette matière que des témoins oculaires.
53. Défense d'affermer ses terres aux cultivateurs qui ne payent point de dîmes.
Il y avait en certaines provinces un mélange de peuples, dont les uns, suivant leurs coutumes, ne payaient point de dîmes, tandis que les autres en payaient. Il arrivait de là que ceux qui payaient les dîmes affermaient leurs terres à ceux qui ne les payaient pas, afin de tirer davantage de leurs fermiers, à raison du non-payement de la dîme. C'est cet abus que le concile défend sous peine des censures ecclésiastiques.
54 et 55. On déclare que la dîme est due de droit divin à l'Église (Sur la question du droit divin de la dîme ecclés., voy. Suarez, de Legibus, l. IX, c. 11, n. 1. De hac re satis dictum est Tr. II de Relig, l. 1, c. 10, ubi ostendimus, illud præceptum legis veteris, qua parte positivum erat, scilicet, quoad quotam decimarum, cessasse quoad obligationem suam, relictum vero esse quasi exemplar, ad cujus instar Ecclesia potuit similem legem statuere ; hoc enim prohibitum non est, ubi nullum periculum scandali aut falsæ significationis imminet) ; qu'elle doit se prendre sur toute la récolte, avant qu'on en ait rien levé pour les cens et les tributs ; que les terres acquises aux moines de Cîteaux, ou à d'autres, depuis la tenue de ce concile, doivent payer la dîme, soit qu'ils cultivent ces terres par eux-mêmes ou par des étrangers.
56. Défense aux clercs séculiers et réguliers de louer leurs héritages, ou de les donner à titre de fief, à condition que la dîme leur en sera payée, et que ceux à qui ils les donnent se feront enterrer chez eux.
57. Le privilège accordé aux confrères de quelques ordres d'être toujours inhumés en terre sainte, pourvu qu'ils ne fussent pas nommément excommuniés ou interdits, est restreint aux confrères oblats et qui avaient pris l'habit de l'ordre, ou à ceux qui avaient donné tous leurs biens aux monastères, en se réservant l'usufruit.
58. On restreint aussi à une seule église du lieu le privilège que les réguliers avaient obtenu pour ceux de leurs confrères qu'ils envoyaient quêter, de faire ouvrir les portes de l'église, et d'y célébrer les offices divins, mais en refusant l'entrée de cette église aux excommuniés. Les évêques auront de même le pouvoir de célébrer les offices divins à voix basse, les portes fermées et sans son de cloches, dans les églises même interdites par un interdit général, à moins que ceux de ces églises n'aient donné occasion à l'interdit, et à condition que les interdits et les excommuniés n'y assisteront pas.
59 et 60. Il est défendu à un religieux de se rendre caution pour quelqu'un, et d'emprunter une somme d'argent sans la permission de son abbé et de la plus grande partie du chapitre, et aux abbés d'entreprendre sur les droits des évêques, en prenant connaissance des causes de mariages, en imposant des pénitences publiques, en accordant des indulgences ou en faisant d'autres fonctions épiscopales, à moins qu'ils n'en aient obtenu un privilège, ou qu'ils ne soient fondés sur quelque autre raison légitime.
61. Défense aux réguliers de recevoir des églises ou des dîmes des mains des laïques, sans le consentement de l'évêque. Ils présenteront aux évêques des prêtres pour desservir les églises qui ne dépendent pas d'eux de plein droit, et ils ne pourront retirer de ces églises les prêtres institués par l'évêque, sans sa permission.
62. Défense de montrer hors de leurs châsses les anciennes reliques, et de rendre à celles que l'on trouve de nouveau aucune vénération publique, sans l'approbation du pape. On ne recevra point les quêteurs, à moins qu'ils ne soient munis des lettres du pape, ou de l'évêque diocésain. Les évêques ne pourront accorder qu'un an d'indulgence dans la dédicace d'une église, et seulement quarante jours pour l'anniversaire.
Ce canon condamne deux abus fort communs autrefois. Le premier était de tirer les reliques des saints hors de leurs châsses pour les montrer à tout le monde et les exposer en vente. Le second abus consistait dans l'indiscrétion de plusieurs prélats qui accordaient trop facilement des indulgences ; ce qui tournait au mépris des clefs de l'Église, et à l'affaiblissement de la discipline dans l'administration du sacrement de pénitence.
63. Défense de rien prendre pour le sacre des évêques, la bénédiction des abbés et l'ordination des clercs.
64. On ordonne de chasser dorénavant des monastères les religieux et religieuses qui donneront ou qui exigeront quelque chose pour l'entrée en religion, et de les renfermer dans d'autres monastères plus réguliers, pour y faire pénitence toute leur vie. A l'égard de ceux ou de celles qui auront été reçus pour de l'argent avant ce décret, on les transférera dans un autre couvent du même ordre, ou bien on les recevra de nouveau dans le même couvent, où ils n'auront d'autre rang que celui de leur seconde réception.
65. Défense aux prélats d'interdire une église après la mort du curé pour se faire payer une somme d'argent, et d'exiger des présents d'un militaire ou d'un clerc, pour leur permettre l'entrée en religion, et de choisir leur sépulture dans une maison religieuse.
Il y avait des évêques qui, à la mort des curés, mettaient leurs églises en interdit, et ne permettaient pas qu'on leur donnât des successeurs, jusqu'à ce qu'on leur eût payé une certaine somme. Ce sont ces exactions et les autres qu'on vient de rapporter, que le concile condamne sous peine de restitution du double.
66. On défend aux curés d'exiger de l'argent pour les sépultures, les mariages et les autres fonctions de leur ministère ; mais on maintient les louables coutumes de donner aux églises, et l'on ordonne aux évêques de s'opposer aux maximes répandues par les vaudois et les albigeois, qui détournaient les fidèles de donner aux églises et au clergé.
67. On défend aux juifs les usures excessives envers les chrétiens, et on leur ordonne de payer la dîme et les autres oblations pour les maisons ou les héritages qu'ils ont achetés des chrétiens.
68. Les juifs des deux sexes porteront quelque marque sur leurs habits qui les distinguera des chrétiens.
69. Défense de donner des charges publiques aux juifs et aux païens.
70. Les juifs convertis à la foi chrétienne, et baptisés volontairement, renonceront absolument aux rites anciens des juifs, afin de ne pas faire un mélange du christianisme avec le judaïsme, qui ne serait propre qu'à ternir la beauté de la religion chrétienne.
" Mais le but essentiel de la convocation du concile, dit M. Hurter, était les dispositions à prendre pour une croisade générale. Innocent, brûlant du désir d'arracher la terre sainte des mains des impies, ordonna, avec l'assentiment du concile, et d'après le conseil d'hommes pleins d'expérience et sachant apprécier les circonstances, le temps et le lieu, que les croisés qui voulaient s'embarquer, se trouvassent le 1er juin de l'année suivante à Brindes et à Messine, lieux de rassemblement. Il voulait se rendre dans l'une de ces villes, et avec l'aide de Dieu, avancer par ses conseils et ses actes l'organisation de l'armée, et accorder aux pèlerins la bénédiction apostolique. Ceux qui préféraient faire la route par terre partiraient à la même époque ; un légat devait les accompagner. Il prescrivit à tous les prélats, aux prêtres et aux autres clercs qui suivraient l'armée, de persévérer dans la prière et dans l'instruction par la prédication et par l'exemple, afin que tous marchent dans la crainte et pour l'honneur de Dieu, et qu'aucun n'offense ni par actions ni par paroles la majesté de l'Éternel. Quiconque péchera devra se relever en faisant une pénitence sincère. C'est avec l'humilité des cœurs, la modestie dans les vêtements, la modération dans le boire et dans le manger ; c'est en évitant toute querelle et toute rancune, qu'ils doivent employer les armes spirituelles et corporelles contre les ennemis de la foi, et avec d'autant plus de hardiesse qu'ils ont moins de confiance dans leurs propres forces et espèrent davantage dans la grâce du Seigneur.
" Afin de ne rien négliger dans cette œuvre de Jésus-Christ, nous ordonnons à tous les patriarches, archevêques, évêques, abbés et pasteurs des âmes, de prêcher sérieusement la parole de la croix à ceux qui sont confiés à leurs soins, et de conjurer au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, seul et unique Dieu vrai et éternel, les rois, les ducs, les princes, les margraves, les comtes, les barons et autres nobles, les bourgeoisies des villes, bourgs et villages, afin que ceux qui ne peuvent pas partir eux-mêmes équipent un nombre convenable de guerriers et leur fournissent tout ce qui leur est nécessaire pendant trois ans ; le tout pour le pardon de leurs péchés. Tous ceux qui donneront des vaisseaux, ou qui en feront construire dans ce but, participeront à ce pardon. S'il y en avait quelques-uns qui, par ingratitude envers le Seigneur notre Dieu, voulussent se refuser à toute contribution, on doit leur annoncer, au nom du siège apostolique, qu'ils auront à en rendre compte un jour devant le tribunal du Juge sévère ; cet avertissement leur servira à réfléchir d'avance avec quelle conscience, avec quelle confiance ils pourront se soutenir devant Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, entre les mains duquel le Père a remis tout pouvoir, s'ils se refusent au service du Crucifié, par la grâce duquel ils vivent, par les bienfaits duquel ils sont conservés, par le sang duquel ils sont rachetés. Dans toutes les églises, les fidèles doivent du moins s'élever, en unissant leurs prières, vers le Seigneur des armées, pour la prospérité des combattants, pour le succès de la grande œuvre. "
" Afin qu'on ne dise pas : Il parle bien mais il ne fait rien, Innocent promit d'exécuter autant d'économies qu'il lui serait possible, en restreignant ses besoins ; de donner pour le commencement trente mille livres, un vaisseau pour les croisés de la ville de Rome et de sa banlieue, trois mille marcs d'argent comme reliquat des contributions antérieures perçues dans ce but. Tout le clergé devait mettre à la disposition des percepteurs nommés ad hoc le vingtième de leurs revenus pendant trois années, et les cardinaux le dixième ; le tout sous peine d'excommunication contre ceux qui ne procéderaient pas fidèlement.
" On assura à ceux qui partaient l'affranchissement des taxes, des charges et des impôts, et la protection de saint Pierre, de tous les prélats et de l'Église, pour leurs personnes et leurs biens ; on nomma des tuteurs pour prendre soin de leurs biens jusqu'à leur retour ou jusqu'à la nouvelle certaine de leur mort. Les créanciers devaient leur faire remise des intérêts de leurs créances, et en même temps les décharger du serment qu'ils auraient prêté à ce sujet ; si les créanciers étaient parvenus à se faire payer les intérêts par des moyens de coaction, ils auraient à les restituer ; les Juifs devaient être forcés par le pouvoir temporel. Les tuteurs avaient à veiller aussi à ce que les absents ne fussent pas accablés par l'usure, à cause des dettes non payées, et que les Juifs rendissent compte du montant des gages qu'ils avaient reçus. On menaça de peines sévères les prélats qui négligeraient d'aider de leurs conseils et par leurs actions les croisés ou leurs familles.
" L'excommunication fut prononcée contre ceux qui prêtaient assistance aux pirates, qui empêchaient les arrivages à la terre sainte ou qui pillaient les allants et venants ; on défendit d'acheter ou de vendre à de pareilles gens, et on imposa comme devoir aux autorités des villes de leur enjoindre de cesser un trafic aussi honteux. La malédiction et la damnation furent renouvelées contre tous ceux qui amèneraient des provisions d'un genre quelconque aux Sarrasins, qui entreraient à leur solde comme pilotes, prendraient du service militaire chez eux, ou leur donneraient assistance d'une manière quelconque, au détriment de la terre sainte ; tous devaient perdre leurs biens et devenir les esclaves de quiconque parviendrait à s'en emparer. Cette ordonnance devait être lue les dimanches et jours de fêtes dans toutes les villes maritimes, et l'entrée de l'église refusée à tous ceux qui y contreviendraient, à moins qu'ils n'employassent tout le gain acquis de cette manière pour le bien de la terre sainte. On interdit à tous les chrétiens, pendant quatre ans, tout commerce avec les Sarrasins d'Orient. Et quoique déjà quelques conciles antérieurs eussent défendu les tournois, on renouvela l'ordre que tous les tournois, eussent à cesser complètement pendant trois années, sous peine d'excommunication, comme étant principalement nuisibles à cette grande affaire. Enfin, on ordonna la paix entre tous les princes et les peuples chrétiens pour la durée de quatre années, et les prélats furent chargés de réconcilier ceux qui étaient en guerre ; l'excommunication et l'interdit, et au besoin l'emploi des forces du pouvoir temporel seraient mis en usage contre ceux qui ne voudraient pas s'y prêter.
" En terminant, Innocent promet encore une fois, par la miséricorde de Dieu tout-puissant, et en vertu de la plénitude des pouvoirs des bienheureux apôtres Pierre et Paul, et du pouvoir de lier et de délier, à lui confié par Dieu, à tous ceux qui partiront ou qui enverront des soldats, ou qui contribueront par les préparatifs, le pardon de leurs péchés après les avoir confessés et avoir fait pénitence ; et en outre la joie et la félicité éternelle. Le 14 décembre, la bulle concernant la croisade fut publiée au palais de Latran.
" Le concile traita encore plusieurs affaires tant ecclésiastiques que temporelles. Ce qui avait déjà été demandé par le concile de Chalcédoine, savoir, que le patriarche de Constantinople prit rang après le pape et avant les autres patriarches, fut érigé ici en loi de l'Église. Mais l'évêque d'Héraclée et le curé de Saint-Paul de Constantinople se disputaient toujours la dignité de patriarche de cette dernière ville ; chacun d'eux avait obtenu une élection. Le pape déclara les deux élections non valables, et d'après le conseil des cardinaux présents au concile, il éleva au siège patriarcal de Constantinople un prêtre toscan, nommé Gervasius ; ceci fut regardé comme une preuve pleine et entière de la soumission de l'Église d'Orient. Mais il faut observer que tous les élus étaient des occidentaux, et que l'Église grecque ne voulut pas reconnaître ce patriarche comme légitime. Ce fut probablement pour tâcher de se concilier plus facilement cette Église, que le concile ordonna aux prélats dans les diocèses desquels se trouvaient quelques fidèles de diverses langues, que la doctrine fût prêchée dans ces langues, mais le service divin célébré en latin.
" L'archevêque de Tolède porta plainte avec une grande liberté contre les archevêques d'Espagne qui ne voulaient pas reconnaître sa primatie ; et quoiqu'il n'ait rien été décidé à cet égard, il acquit néanmoins beaucoup de droits pour son Église.
" Les chanoines de Cologne furent chargés d'élire un autre chef à la place de l'archevêque qui n'avait jamais pu obtenir la confirmation pontificale.
" Comme les villes de plusieurs sièges épiscopaux de l'île de Chypre étaient en ruine, ces sièges furent réduits à quatre de quatorze qu'ils étaient ; mais on recommanda en même temps l'institution d'évêques latins au lieu des évêques grecs.
" L'évêché de Chiemsée, fondé par le zélé archevêque de Saltzbourg, fut confirmé. L'appel interjeté par quelques chanoines de Bâle contre la validité de l'élection de leur évêque Walderich, fut décidé par la déposition de celui-ci (1).
(1) M. Hurter,. Hist. du pape Innocent III.
" L'ordre de porte-croix fut établi et doté de plusieurs concessions de grâces. En outre, des différends furent arrangés, des réclamations de propriétés entre des ordres religieux examinées et accommodées, des questions soumises au concile résolues. Une proposition tendant à ce que toutes les églises de la terre payassent un impôt à la cour romaine ne fut pas même appuyée par le siège apostolique.
" Le clergé français accusa énergiquement le cardinal légat Robert Courçon. Cet Anglais, lié avec Innocent depuis leur séjour à l'université de Paris, se distingua par sa science, par sa foi solide et orthodoxe, par sa grande activité et par son aptitude pour toutes les affaires ; personne ne pouvait rien blâmer dans sa conduite, mais une fierté impérieuse et sa cupidité lui aliénèrent ceux qui, en leur qualité de subordonnés, avaient des rapports avec lui. Robert avait été élevé au cardinalat une année avant qu'Innocent l'eût nommé son légat en France, principalement pour agir en faveur des croisades, rétablir la paix dans le midi de ce pays, ordonner et corriger dans l'Église ce qui avait besoin de l'être. Il dirigea avant tout son attention sur ce dernier objet, en déterminant un concile tenu à Paris (Voy. PARIS, l'an 1212) à porter des lois sévères contre les usuriers ; ce qui se liait en même temps au but le plus essentiel de sa mission, parce que le fardeau des grands intérêts qui pesait sur plusieurs barons, rendait inexécutable la résolution qu'ils avaient prise de consacrer leurs armes à la terre sainte. Il paraît qu'il fut moins exempt de reproches dans la querelle intérieure qui divisait depuis plusieurs années les grandmontains, querelle qu'il compliqua loin de l'accommoder, et il reçut à cet égard de doux reproches de la part d'Innocent. Sa conduite au couvent de Saint-Martial peut encore moins se justifier ; d'abord il confirma dans ses fonctions, pour 60 livres tournois, l'abbé devenu incapable ; et peu de temps après il se servit des pouvoirs étendus qu'il possédait sur l'Église de France pour élever à la dignité d'abbé, malgré une vive opposition, un moine intrus de ce même couvent. L'autorité et l'activité avec lesquelles il parcourut la France en tous sens, la vivacité avec laquelle il sut faire comprendre à l'affluence de ses auditeurs leur devoir d'assister la terre sainte, obtenaient le succès le plus surprenant ; des hommes et de l'argent furent fournis en quantité ; mais le légat, dit-on, s'appropria une partie de l'argent. Ce ne fut pas seulement par cette cupidité, mais bien plus encore par ses manières impérieuses, par sa fierté, par ses ordres sévères, qu'il révolta tout le monde contre lui, au point même que lors de son voyage avec l'armée catholique dans le midi de la France, Cahors lui ferma ses portes. Il n'ignorait pas cette disposition des esprits, et craignait peut-être qu'on ne portât plainte non seulement auprès du pape, mais auprès du concile qui allait s'assembler. Afin de détourner ces accusations, il convoqua le clergé à Bourges, au mois de septembre. Malgré l'autorité dont Robert était revêtu, malgré le respect que les prélats français avaient pour le siège apostolique, cette assemblée, si réellement elle a eu lieu, n'eut d'autre résultat que de décider les évêques à interjeter appel contre lui à Rome. Au concile de Latran, ils produisirent une série de griefs contre Robert ; et l'amitié seule d'Innocent, qui engagea toute l'autorité du chef de l'Église auprès des prélats, afin de les déterminer à retirer leur plainte, arracha Robert à une aussi fausse position.
" Le mariage de Burkard d'Avesnes fut ensuite déclaré non valable. La bienveillance de Philippe l'aîné de Flandre avait envoyé Burkard à Paris, dans ses années d'adolescence, pour l'y faire instruire, et l'avait doté de quelques bénéfices, quoiqu'il n'eût aucune inclination pour la carrière de l'Église. Burkard, de retour en Flandre, cacha son état ecclésiastique, et se distingua dans tous les jeux et dans les fêtes chevaleresques, ce qui lui concilia la bienveillance particulière de Richard d'Angleterre qui l'arma chevalier. Il joignait à une belle taille un grand courage, un coup d'œil pénétrant pour les affaires, et des manières polies, de sorte que Baudoin, avant de partir pour la croisade, l'associa à son frère Philippe pour l'administration du pays et la surveillance sur ses filles.
" A peine Jeanne était elle mariée avec Ferdinand de Portugal, que beaucoup de prétendants se présentèrent aussi pour Marguerite ; et Mathilde, sa grand'mère, encouragea Burkard à se mettre sur les rangs. Cette union parut convenable à la noblesse du pays et à Philippe, oncle de Marguerite. Le mariage fut donc conclu, et consolidé par la naissance de deux fils. Bientôt on répandit le bruit que le mariage n'était pas valable, parce que Burkard était dans les ordres. La chose fut éclaircie, et le pape en fut instruit. Celui-ci qualifia ce mariage d'infâme abomination, et écrivit à l'évêque d'Arras : " Ce prétendu mariage est en soi nul et non valable ; établissez une enquête minutieuse, et réfléchissez que vous aurez un jour à rendre compte de la manière dont vous aurez veillé sur le troupeau qui vous a été confié. " Burkard prit la résolution d'aller à Rome pour voir s'il ne pourrait obtenir des dispenses en témoignant du repentir et en faisant pénitence. Innocent s'y refusa ; on lui promit seulement son pardon, s'il allait en pèlerinage à Jérusalem et au mont Sinaï, s'il y demeurait une année et rendait Marguerite à ses parents. Burkard remplit ces conditions et revint ensuite chez lui avec la ferme volonté de satisfaire à la dernière condition. Mais, à la vue de Marguerite et de ses enfants, le cœur lui manqua : " Et dût-on m'écorcher tout vif, et me couper les membres les uns après les autres, je ne pourrais pas me séparer de vous, " s'écria-t-il. Marguerite ne comprit pas ces paroles, car le motif de l'éloignement de Burkard lui était resté inconnu.
" La vieille Mathilde et Jeanne réclamèrent avec persévérance Marguerite, menacèrent, et comme elles ne purent obtenir aucun résultat, elles s'adressèrent au concile. Le concile déclara qu'il n'avait pu y avoir aucun mariage entre Burkard et Marguerite ; que Burkard devait être déclaré excommunié pour son crime, tous les dimanches et jours de fêtes, avec les cierges allumés, jusqu'à ce qu'il eût remis Marguerite à ses parents, et qu'il fût rentré avec humilité dans l'état qu'il avait abandonné avec un téméraire mépris de Dieu. Innocent chargea peu de temps après, l'archevêque de Reims de l'exécution de la sentence. Quatre ans plus tard, Burkard et ses frères soulevèrent contre Jeanne une lutte dans laquelle Burkard tomba au pouvoir de celle-ci, fut jeté en prison, et mourut sans doute en captivité.
En tête des affaires qui concernaient les relations temporelles, se trouvait celle de l'empire. Othon, à cette époque, n'était pas éloigné de se réconcilier avec l'Église ; le malheur l'avait rendu plus souple et plus accommodant. Un député de Milan parla au nom des Milanais en sa faveur, et le comte de Monferrat en faveur de Frédéric. Celui-ci déclara qu'on ne devait pas écouter les Milanais, parce qu'Othon avait violé son serment envers l'Église romaine, et n'avait pas rendu le pays pour l'occupation duquel il avait été excommunié ; dans ce moment même il soutenait un évêque excommunié et tenait un autre évêque en prison ; il avait donné au roi Frédéric le sobriquet de roi des prêtres, détruit un couvent de femmes et l'avait changé en forteresse ; d'ailleurs les Milanais, en qualité de ses partisans, et parce que leur ville était pleine de patarins, étaient sous le coup de l'excommunication. Les partis commençant à s'échauffer, à éclater en insultes, Innocent se leva de son trône et quitta lui-même l'église avec les autres ecclésiastiques. L'élection de Frédéric à la dignité de roi des Romains fut ensuite approuvée par le concile.
Les événements d'Angleterre occupèrent également le concile. Quelques mandataires prirent le parti des barons. Mais on leur répondit que ceux-ci étant excommuniés ne pouvaient être entendus. Innocent, prévenu par les rapports du roi et des légats qui inclinaient pour Jean, ne vit pas que les efforts des barons tendaient à rétablir les anciens droits et à limiter l'autorité royale ; il ne vit que le fait de la révolte, sans considérer que les barons avaient été insensiblement entraînés par les violences et les perfidies du roi. Innocent, en sa qualité de suzerain, se crut obligé de répondre du vassal opprimé ; et c'est ainsi que l'excommunication prononcée contre les barons fut confirmée, avec extension contre tous ceux qui leur porteraient secours, quoique plusieurs pères présents fussent d'un avis contraire. Louis de France fut aussi déclaré excommunié, à haute voix et nominativement, à cause des armements qu'il faisait contre Jean. L'archevêque de Cantorbéry vit bien qu'il ne jouissait plus auprès du pape de son ancienne faveur, et parla peu dans le concile. Il ne put échapper à la destitution qu'avec peine et uniquement en promettant de ne pas retourner en Angleterre avant la fin des troubles.
" Les comtes de Toulouse, père et fils, accompagnés des comtes de Foix et de Comminges, comparurent devant le concile. Lorsqu'ils entrèrent dans l'assemblée, ils se jetèrent aux genoux du pape. Innocent leur ayant dit avec bonté de se lever, ils formulèrent des plaintes graves contre Simon de Montfort qui, malgré leur soumission sans condition aux légats, les avait dépouillés de leurs principautés. Les comtes de Foix et de Comminges ajoutèrent les mêmes accusations. Elles durent faire une profonde impression sur le pape et le convaincre que les traités conclus avaient été violés. Un des cardinaux et l'abbé de Saint-Tiberi parlèrent avec chaleur en faveur des comtes ; l'évêque Foulques de Toulouse se prononça avec encore plus de violence, mais moins contre les deux Raymond que contre le comte de Foix. Le pape écouta toutes ces récriminations avec attention, ainsi que les plaintes de plusieurs barons contre Simon, principalement pour avoir abrégé la vie du vicomte de Béziers qui, disaient-ils, n'avait jamais été un protecteur des hérétiques, et avoir ravagé son pays ; ils ajoutaient que le légat et Simon n'avaient pas agi conformément à leur position, mais comme des brigands et des assassins.
Les prélats français cherchèrent à prouver qu'en réintégrant les comtes, l'Église courait les plus grands dangers. Innocent se fit présenter les pièces qui étaient dans les archives, et déclara : " Puisque les comtes et leurs compagnons avaient promis en tout temps soumission à l'Église, on ne peut pas les dépouiller sans injustice de leurs principautés. " Plusieurs prélats murmurèrent hautement en entendant cette déclaration ; la bonté et la droiture du pape ne plaisait nullement à leur haine. Alors se leva le chantre de la cathédrale de Lyon, ecclésiastique plein de mérite, et il dit : " Oui, Saint-Père, le comte Raymond a livré sans hésiter ses forteresses a votre légat ; il a été un des premiers à prendre la croix ; il a combattu lors du siège de Carcassonne pour l'Église contre son propre neveu le vicomte de Béziers. Avec tout cela, il a prouvé son obéissance envers vous. Si vous ne lui rendez pas ses principautés, la honte en retombera sur vous et sur toute l'Église. Personne ne croira plus à votre parole. Et vous, monsieur l'évêque de Toulouse, vous n'aimez ni le prince, ni votre peuple. Vous avez allumé dans Toulouse un incendie que personne ne peut éteindre. Déjà dix mille hommes ont été tués par votre faute ; doit-il encore en périr davantage ? Vous déconsidérez le siège apostolique ! Est-il juste, Saint Père, que tant d'hommes soient sacrifiés à la haine d'un seul ? "
De telles paroles fortifièrent le pape dans son opinion. Il protesta que le comte et ses alliés avaient toujours été obéissants, qu'il était innocent de tout ce qui s'était passé, qu'il n'avait commandé rien de semblable et qu'il n'en avait eu aucune connaissance. L'archevêque de Narbonne se prononça aussi, dit-on, en faveur des comtes, mais moins par bienveillance pour eux que par acharnement contre Simon de Montfort, à cause de ses différends avec lui au sujet du duché. C'est pourquoi il accusa les légats et l'évêque Foulques de cruelles violences. L'évêque d'Agde au contraire prit la parole en faveur de Simon : " Il a consacré tous ses services à l'Église, il s'est soumis à toutes les peines et fatigues, jour et nuit, pour elle. " Innocent déclara de nouveau : " Qu'il était obligé d'avouer qu'il avait souvent reçu diverses plaintes contre le comte et contre les légats. En supposant même que le comte de Toulouse fût coupable, son fils ne doit pas être puni pour cela. " La plupart des prélats du midi de la France cherchèrent à sauver l'œuvre de leurs passions, et déclarèrent : " Que si on voulait reprendre à Simon de Monfort le pays qu'il avait conquis, ils se ligueraient tous pour le lui conserver. " L'évêque espagnol d'Osma exposa le droit du jeune comte qui trouverait certainement un appui près des rois de France et d'Angleterre, et auprès de plusieurs barons. Le pape lui répondit : " N'ayez aucune inquiétude du jeune comte ; si le comte de Montfort garde la possession de son pays, je lui en donnerai un autre ; pourvu qu'il reste fidèle à Dieu et à l'Église, cela ne lui manquera pas. " Il paraît que l'opiniâtreté des évêques français entraîna la plus grande partie de l'assemblée. Elle déclara à peu près unanimement le vieux comte de Toulouse déchu de tout droit de souveraineté, et ne lui assigna que quatre cents marcs pour son entretien, tant qu'il ne montrerait aucune résistance. Sa femme pouvait librement jouir de son douaire ; mais elle devait gouverner ses principautés selon l'ordre de l'Église, pour le maintien de la paix et de la foi.
" Tout le pays conquis jusqu'alors devait échoir au comte de Montfort, à la réserve de ce que possédaient les églises, les hommes et les femmes reconnus catholiques. Ce qui n'était pas encore conquis devait être placé sous l'administration de personnages capables, afin de doter le jeune comte, lorsqu'il aurait atteint sa majorité, soit de la totalité de ces biens, soit d'une partie, selon son mérite. Le comte de Foix, au contraire, resta sous la protection des lois apostoliques, et le successeur d'Innocent lui rendit l'année suivante son château. On prit vraisemblablement les mêmes dispositions à l'égard du comte de Comminges.
Le concile se sépara le jour de la Saint-André, après avoir duré dix-neuf jours seulement. Le pape avait dressé lui-même les soixante-dix décrets qui y furent lus ; mais ils n'en sont pas moins des décrets de l'Église universelle. Aussi ont-ils servi de fondement à la discipline qui s'est observée depuis, c'est-à-dire depuis le commencement du treizième siècle, et sont fort célèbres chez les canonistes. Les deux premiers en particulier forment à eux seuls le titre 1er des Décrétales. Labb. XI ; Anal. des conc. ; Hist. univ. de l'Egl. cath.