Commentaire de l'article 3
De Salve Regina
Loi et principes | |
Auteur : | P. Réginald Héret, O.P. |
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Source : | Extrait du livre La Loi scoute |
Date de publication originale : | 1922 |
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Difficulté de lecture : | ♦ Facile |
Le Scout est fait pour servir et sauver son prochain
BIENFAISANCE
C'est son métier. A l'image du grand Sauveur de l'humanité, le Scout est un petit sauveur. Il irait, lui aussi, s'il le fallait, jusqu'à donner sa vie. Il y est du moins toujours prêt et c'est avec cette âme prête au suprême service qu'il rend les petits services que la vie ordinaire réclame de lui chaque jour.
Il faut aider tout le monde, mais d'abord ceux qui sont plus proches de nous, nos parents, notre patrouille, notre Troupe. Il faut le faire avec son cœur.
Il faut préparer des badges pour être capable de rendre de vrais services, des services de garçons qui s'y connaissent. Estimons davantage nos badges qui peuvent servir et sauver l'âme de nos frères (catéchistes, évangélistes, apologistes…).
Rendons-nous service mutuellement par la "correction fraternelle" en nous disant loyalement et franchement ce qui ne va pas. Nos petits frères qui n'agissaient pas en scouts au collège, à la maison et à la troupe, sont aussi des malades qu'il faut guérir et sauver.
C'est sa spécialité. C'est son état. Chacun dans la société a son "état de vie", sa destination particulière, un rôle permanent qu'il remplit, dans lequel il est plus compétent. "C'est le moyen que toutes choses soient faites rapidement et sans confusion." C'est aussi le moyen que soit sauvegardé ce bel ordre de l'Église qui veut que "les uns soient apôtres, les autres prophètes, d'autres pasteurs, d'autres docteurs" et qu'ainsi nous dépendions les uns des autres. Eh bien ! Le Scout est celui qu'on va chercher dans les moments difficiles; celui qui est toujours prêt pour le service commun.
S'il est acquis, comme nous le verrons à propos de l'article suivant, que Jésus-Christ est notre commune vie, tout catholique est un homme de sympathie et de compassion. Puisque notre baptême nous agrège à la société des âmes dont le Christ est le chef, on ne peut après cela se réduire à un égoïsme desséchant. Nous sommes les membres les uns des autres, dit Saint Paul. L'œil va-t-il refuser aux membres du corps le bienfait de la lumière, l'oreille l'avantage des sons, la bouche l'expression des pensées et des sentiments ?
Tout catholique travaille donc pour ses frères. Or, le Scout veut être un catholique parfait. Il aime celui à qui il a fait sa Promesse d'un amour souverain. Et que constate-t-il à se laisser inspirer par l'amour de Dieu ? Que l'amour de Dieu est un amour créateur, un amour rédempteur, un amour sauveur.
Le Christ est le Sauveur. Il Lui a donné sa foi, notre jeune chevalier sera donc aussi un sauveur un petit sauveur à l'image du grand Sauveur de l'Humanité. Le Christ est mort pour notre salut, montrant par là la force de son amour. "Nous donc, nous devons aussi aimer notre prochain énergiquement, de telle sorte que nous montrions notre amour par des actes ; et la meilleure des marques que nous en puissions donner, c'est certainement de mourir pour nos amis.
S'il le faut, nous irons jusque-là, mais comme l'occasion en est fort rarement donnée, on s'y tiendra toujours prêt, dans cette disposition d'âme permanente, souple et fervente, sans quoi Saint Thomas estimait qu'il n'y a pas de vertu. Pour l'ordinaire on sera simplement fidèle à prouver son amour du prochain par des actes appropriés aux évènements qu'amène chaque jour.
C'est sans doute le lieu de faire remarquer que notre devise "Etre prêt" est fondamentale pour toute la vie morale. Le Scout, disions-nous, sera l'homme intègre, l'homme de toutes les vertus. Mais qu'est-ce à dire ? "Un pauvre, par exemple, a bien de quoi être tempérant, mais il n'a pas de quoi faire des magnificences; un homme marié peut avoir toutes les vertus sans pouvoir posséder celle de virginité. Sa situation est donc inférieure ? Non, car il possède l'esprit de la virginité en ce qu'il doit avoir l'âme prête à la pratiquer dans le cas où ce serait convenable ; le pauvre doit avoir l'âme prête à faire de grandes dépenses pour une grande cause, si elles lui étaient possibles, et ainsi des autres." Et Saint Thomas ajoute : "Sans une âme ainsi prête, un homme ne peut être vertueux."
On voit ce qu'il veut dire. Il faut être prêt à accomplir tout bien qui se présentera. S'il y a une seule vertu qu'on ne soit pas disposé à pratiquer, on montrera par là qu'on peut sans doute faire des actes vertueux, mais qu'on ne les fait pas vertueusement puisque ce n'était pas par amour du Bien qu'on agissait.
Le Scout sera prêt à obliger son prochain, c'est-à-dire tout le monde. "Car il n'y a personne qui ne puisse se trouver dans la nécessité d'un secours ; la charité veut donc que, si l'on paraît négliger certains, on ait pourtant l'âme prête à rendre service à qui que ce soit quand l'occasion sera offerte. Aussi bien y a-t-il tels services que nous pouvons rendre à tous, au moins en général, comme lorsque nous prions pour tous les hommes, fidèles et infidèles."
La règle de ces services, c'est à la fois le besoin et la proximité. Il faut aider d'abord ceux qui sont proches, "comme le feu qui chauffe à proportion de la distance. Seulement la distance, entre nous, comme le besoin, sont relatifs. Quelqu'un est proche sous un rapport, qui est distant sous un autre. Mon père est proche de moi selon la nature, mon concitoyen pour la vie civile, mon coreligionnaire pour la vie religieuse. Selon ces diverses conjonctions, diverses lois de la bienfaisance s'établissent."
Le devoir du Scout commence à la maison. C'est là qu'il devra surtout se montrer serviable: "Nous n'avons pas de plus grands bienfaiteurs que nos parents ; c'est donc eux qu'il faut faire passer avant tous les autres, hors le cas de l'utilité commune, par exemple l'intérêt de l'Église ou de la Patrie. Dans les autres cas, il faut voir ce que réclament les relations et la reconnaissance; on ne peut pas déterminer une règle commune. On est obligé de s'en rapporter au jugement de l'homme prudent qui sait juger du besoin et des occurrences. Dans ces sortes de choses, dit Aristote, on ne peut établir une loi générale, les cas particuliers sont trop divers."
En tout cas, dans chacun de leurs services, que les Scouts mettent tout leur cœur. Il ne faut pas oublier que la bienfaisance est un acte de charité. Un service rendu sèchement, dépouillé du rayonnement de notre pensée, de la délicatesse, de l'ardeur de notre cœur, du rayon de notre gaieté scoute, c'est comme un corps sans âme.
Naturellement, n'attendons pas retour. La fontaine ne demande pas de salaire, le Scout pas de récompense. La reconnaissance est le devoir de notre obligé, le nôtre est de le servir, de le sauver. S'il est ingrat, que nous importe ? Le Christ a-t-il attendu que nous soyons reconnaissants, nous, pour nous racheter ?
C'est dans cet esprit que nous ferons préparer les badges. Les Scouts de France ne sont pas une école d'apprentissage : s'ils veulent des badges, c'est dans une haute intention de charité. Sans doute, elles rendront le Scout plus apte à se débrouiller, plus capable de pourvoir aux éventualités de sa vie, mais surtout elles le rendront mieux prêt à servir le prochain Quand il aura à intervenir, on pourra se fier à lui, on saura que le Scout est compétent, qu'il s'y connaît et qu'avec sa bonne volonté il apporte, pour nous tirer d'embarras, une consciencieuse préparation.
Des gens charitables, mais incompétents qui n'a éprouvé l'importunité ? Ils veulent vous aider et ils achèvent de tout gâter : avec tout leur empressement, on les enverrait au diable !
Nos Scouts, par leurs badges, sauront rendre des services utiles. Ces services peuvent être innombrables et le sujet est ici inépuisable. Qu'on veuille bien se reporter dans la Somme à la question de l'aumône et l'on trouvera des suggestions précieuses pour apprendre aux Scouts à ne faire que des B. A. intelligentes.
Je voudrais seulement attirer l'attention sur l'œuvre de charité par excellence, celle qui ne répare pas seulement un moteur cassé, ou même un membre brisé, mais qui donne de la lumière et de la force chrétienne.
Il n'est peut-être pas, en effet, inutile de rappeler que c'est aussi sauver son prochain que de l'amener à la foi s'il ne l'a pas ou de l'y ramener s'il la délaissée. Il est très scout d'aller au-devant des brebis qui ne sont pas à la bergerie et que le Christ appelle pour qu'il n'y ait plus qu'un seul troupeau et qu'un seul pasteur. Nous avons des badges de catéchiste, d'évangéliste, de conférencier, d'apologiste. N'allons pas les délaisser. Comprenons-en l'importance. Qu'on ne s'en tienne pas à celles de cuisinier et de gabier.
Ces badges cependant ne suffiront pas pour que nos Scouts soient autant d'apôtres. Nos pères n'ont converti le monde que par la sainteté. Il n'y a pas d'autre méthode. Si nous sommes la pointe d'avant-garde de l'armée chrétienne, il faut donc aussi que nous soyons, c'est toujours là que nous revenons, des exemples de vertu. Rien ne conquiert que la vie. Nulle parole, nul service ne vaut l'influence de l'exemple. Une belle conscience de Scout fait plus par son rayonnement, soyons en convaincus, que toutes les discussions.
Les vraies vies chrétiennes sont si rares de nos jours ! Dans notre société païenne, un jeune homme qui pratiquerait sincèrement toutes les vertus requises par sa Loi scoute pourrait certes sembler un prodige. Qui le verrait, qui contemplerait sa sainte vie et y comparerait sincèrement sa propre faiblesse serait touché, serait ému, serait sauvé".
Aidons-nous donc à devenir de tels exemplaires de vie chrétienne en nous rendant un autre service sur lequel Saint Thomas insiste : la correction fraternelle. Nous ne sauvons pas seulement le prochain lorsque nous l'arrachons de dessous une automobile, nous le sauvons encore lorsque nous l'arrachons du péché.
Savons-nous que nous nous devons mutuellement la correction de nos défauts ? Les fautes d'autrui nous blessent souvent et nous ne manquons pas de nous en plaindre. Mais vaudrait tenter de guérir ce malade. Car le pécheur se fait du mal à lui-même et il est de notre charité, "d'une charité meilleure que de soigner ses infirmités corporelles, de soulager son indigence", d'écarter de lui le péril qui le menace peut-être sans qu'il s'en doute. Ce peut être même un acte de justice "si sa faute tourne au détriment des autres et principalement au détriment du bien général".
Disons-nous donc, en face, ce que nous pensons. Cela vaudra mieux que de le répéter dans les coins. Toutefois, disons-le avec ménagement. Le but est de corriger, il n'est pas de blesser. Ménageons la réputation et la juste susceptibilité de notre frère. N'allons pas tout de suite dénoncer publiquement une faute et même une tendance secrète, agissons avec bonté, prenons le moyen que nous estimerons le meilleur pour être compris et accepté.
Nous oublions beaucoup trop que nous n'avons pas le droit de nous désintéresser de cette "correction fraternelle". "Si tu négliges de corriger ton frère, dit Saint Augustin, tu deviens pire que lui, qui a péché." Les chefs sont surtout obligés d'y pourvoir, à cause du bien commun qui leur est confié, et quand il y a lieu de punir. Mais tous ceux "qui ont du bon sens et de la charité doivent à leurs frères des avertissements et des conseils". Ils en doivent même, le cas échéant, à leurs chefs, en y mettant la manière, selon cette parole de Saint Paul : "Vis-à-vis d'un ancien, n'use pas de réprimande, parle-lui comme à un père. C'est qu'en effet personne ici-bas n'est sans défauts. Et ce n'est pas parce qu'on avertit charitablement son chef qu'on se met pour cela au-dessus de lui. On apporte seulement son aide à celui qui, placé au sommet, n'en est que plus exposé à tomber."