La petite vertu de bonne humeur

De Salve Regina

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Les vertus
Auteur : Mgr Chevrot
Source : Les petites vertus du foyer
Date de publication originale : 1949

Difficulté de lecture : ♦ Facile

Quand il vous arrive de jeûner, disait Jésus, ne prenez pas des airs tristes, sombres, renfrognés. Certes, Notre-Seigneur connaissait par expérience les duretés de la vie ; il n’ignorait pas que le cœur des hommes est parfois broyé par l’épreuve ; devant le tombeau de son ami Lazare, il partage tellement le chagrin des sueurs du défunt qu’il ne peut retenir ses larmes. Mais il y a assez de douleurs inévitables pour ne pas se rendre malheureux comme à plaisir. Aussi, lorsque nous n’avons pas un motif sérieux de tristesse, Jésus nous défend-il de prendre des airs accablés : Ne vous faites pas tristes.

Avez-vous remarqué que le vocabulaire des défauts est bien plus étendu et varié que celui des vertus ? Ainsi on entend parler de gens moroses, maussades, taciturnes, ou bien bourrus, bougons, grognons, revêches ; ceux-ci sont capricieux, lunatiques, acrimonieux ; ceux-là ont l’air rébarbatif, un pli d’amertume au coin des lèvres et à la bouche des paroles aigres : ce sont des trouble-fête, des rabat-joie. En revanche, le dictionnaire ne nous fournit qu’un très petit nombre de vertus à opposer à tant de mauvaises dispositions. Cependant, les tristes compagnons que je viens de signaler ont un commun dénominateur : on dit d’eux qu’ils sont de mauvaise humeur, quand ils ne sont pas d’une humeur massacrante. Voilà qui me permettra de vous proposer, pour maintenir au foyer la joie et l’espérance que je vous souhaitais, la vertu de bonne humeur.

Mais quelque esprit chagrin voudra me prendre en défaut à mon tour : « Notre humeur, bonne ou méchante, m’objectera-t-il, ne dépend pas de nous. Ne dit-on d’une personne désagréable qu’elle s’est levée sur le pied gauche, ce qui dénote l’absence de tout calcul ? Par une matinée de soleil, on est naturellement joyeux, au lieu qu’un temps de brouillard nous assombrit. Tel est gai parce qu’il possède un estomac complaisant, tel autre qui a des digestions pénibles trouve à redire à tout. »

Il est vrai que des influences extérieures modifient l’aspect de notre caractère. Je retiendrai même de cette constatation qu’en présence de quelqu’un qui est de mauvaise humeur, il est charitable de lui accorder le bénéfice de ces circonstances atténuantes. Ne lui tenez pas rigueur de ses brusqueries, en effet il est peut-être malade ou seulement fatigué, ou bien ses affaires marchent mal, ou hélas ! il souffre d’une blessure morale qu’il serait cruel d’aggraver de vos reproches !

Quant à nous, lorsque nous ne nous sentons pas dans notre assiette, efforçons-nous de reconquérir notre sérénité, car il est rarement impossible de réagir contre des causes extérieures de mécontentement. On peut chanter quand il pleut, on peut dominer sa lassitude (ou s’accorder quelque repos), on peut dissimuler ses soucis afin de ne pas contrister les autres ; mais, ne nous y trompons pas, on ne parvient à reprendre et à conserver son équilibre moral qu’au prix d’un effort énergique, et c’est justement parce qu’elle est une conquête de la volonté que l’égalité d’humeur mérite d’être appelée une vertu.

Notre humeur n’est pas seulement le reflet du ciel clair ou nuageux ; elle est aussi le reflet de notre âme qui a ses hauts et ses bas, ses élans et ses dépressions, mais que nous pouvons contenir ou corriger. « Le temps et mon humeur ont peu de liaison, notait Pascal : j’ai mes brouillards et mon beau temps au-dedans de moi. » Oui, nos dispositions personnelles sont comme des verres teintés derrière lesquels nous voyons la vie en rose ou en gris. Un jour nous manifestons une gaieté exubérante qui nous rend sourds aux peines d’autrui, ou un optimisme irréfléchi qui nous cache les obstacles contre lesquels nous irons buter ; le lendemain, au contraire, l’emballement a fait place au déballement, on n’a plus de goût pour rien, on se grossit les difficultés, on est à charge aux autres, impatient, susceptible, insupportable.

Ah ! quittons ces lunettes qui nous égarent. La vie est tour à tour grise ou rose, prenons-la telle qu’elle est. Regardons-la avec nos yeux, nos yeux de chrétiens. Faisons un acte de foi en Dieu qui nous aime et qui ne permet pas que nous soyons éprouvés au-dessus de nos forces, mais aussi un acte de foi en nous-mêmes. Croyons à l’utilité de nos actions, à notre capacité de bien remplir notre tâche, et surtout à notre mission de dévouement à nos semblables. Alors, cette fois, nous tenons la bonne humeur, qui dépend bel et bien de notre volonté.

La bonne humeur jaillit d’une conscience pure et d’un cœur généreux. Il reste à la développer à l’aide d’un double exercice. Habituons-nous à voir le bon côté des choses et les beaux côtés des gens.

« Vous pouvez à votre choix voir dans une flaque d’eau ou la boue gisant au fond, ou l’image du ciel qui est au-dessus. » Cette parole est de Ruskin, elle est d’une vérité frappante et d’une application universelle.

Le mal et le bien sont mêlés partout. Il ne s’agit pas d’être naïfs et en méconnaissant le mal de se salir dans la boue ; mais commençons par considérer le bien, le soleil qui se joue dans l’eau dangereuse et nous contournerons la flaque d’eau. Ne nous hypnotisons pas devant les difficultés, mais cherchons bien et nous trouverons sûrement le moyen de les surmonter. Un événement nous contrarie : y changerons-nous quelque chose en malmenant notre entourage comme s’il devait être puni de notre déception ? Ce qui nous arrive est fâcheux ? Cela aurait pu être pire. Quelle leçon d’endurance nous recevons parfois de personnes durement éprouvées que nous plaignons de tout notre cœur et qui nous font cette réponse si touchante : « Il y a plus malheureux que moi ! » D’instinct nous prenons nos contrariétés au tragique et celles d’autrui à la légère. Le chrétien doit faire exactement le contraire, compatir sincèrement aux afflictions des autres et supporter vaillamment ses propres déconvenues. Nos projets se trouvent déjoués : faisons contre mauvaise fortune bon cœur. Qui sait si cet insuccès ne tournera pas à notre avantage plus sûrement que nos prévisions ? Toutes choses ont leurs inconvénients et leurs bons côtés : regardons d’abord les bons côtés et nous viendrons plus aisément à bout des inconvénients.

Adoptons la même tactique à l’égard de nos semblables. Abordons-les par leurs beaux côtés. Ils ont tous leurs défauts (comme nous d’ailleurs), mais tous ont leurs qualités. Les aurez-vous corrigés de leurs travers en leur parlant sur un ton cassant ? Mettez plutôt à profit leurs qualités et supportez leurs défauts en y pensant le moins possible. Lorsque vous êtes obligés d’adresser une observation à quelqu’un, ne vous bornez pas à relever ses torts ou ses erreurs, complimentez-le en même temps de ce qu’il a fait de bien, et terminez en l’encourageant. Bien des remarques peuvent être faites avec bonhomie, voire sur un ton enjoué : ce sont celles qui portent le mieux.

Au demeurant, la bonne humeur ne doit pas être confondue avec la manie de plaisanter à tout propos. Plus que dans des éclats de rire souvent forcés, elle se reconnaît au sourire. Elle reste toujours gracieuse et c’est ce qui la rend agréable et bienfaisante.

La bonne humeur, c’est le chant sur la route qui fait oublier la fatigue, rompt la monotonie et réveille l’entrain. Sur la route, et à la maison aussi. « Le serviteur de Dieu, disait saint Philippe Néri, doit être toujours de bonne humeur. » Et il ajoutait : « Hors de ma maison la tristesse et la mélancolie. »

- Quelqu’un m’arrête : c’est bien facile à dire quand on n’a pas de soucis.

- Je réponds : c’est nécessaire à dire pour éloigner vos soucis.

Il y a des vertus qui ne paient qu’à longue échéance et il y en a d’autres dont on est récompensé tout de suite : c’est le cas de la vertu de bonne humeur.

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