Polémique et Charité

De Salve Regina

Les vertus
Auteur : abbé Berto
Source : Extrait de la Pensée Catholique n°45-46
Date de publication originale : Juin 1956

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

Réponse à quelques critiques

Un de nos lecteurs occasionnels nous a fait parvenir, à propos de nos articles sur « le latin dans la liturgie », des observations du reste fort courtoises, que nous aurions volontiers transcrites, avec ou sans sa signature. Il nous a refusé, courtoisement aussi, l'autorisation nécessaire. Nous reproduisons néanmoins notre réponse parce que nous y touchons quelques points importants, et non sans nous excuser de son tour « personnel ». Nous n'avons pas eu le loisir de la récrire en forme d'article.


Trouver bon, mon cher ami, que je vous remercie de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire au sujet d'un article que j'ai récemment publié dans la Pensée Catholique. Je trouve très bon, de mon côté, et très utile, que mes lecteurs me fassent connaître leur opinion, surtout les lecteurs occasionnels, qui ne sont pas immunisés par l'habitude. Écrivant à tout le monde, je dois souffrir et même agréer que tout le monde m'écrive. Nul titre n'est nécessaire.

Il est hors de doute que la préférence que vous exprimez pour « une proclamation directe en langue vulgaire, par le prêtre, des textes bibliques de la messe » n'est aucunement, je continue à reprendre vos termes, « incompatible avec l'esprit de soumission totale à l'Église », du moins quand on est déterminé comme vous à ne pas devancer le Saint-Siège en une matière où il s'est expressément réservé l'initiative et non seulement le contrôle. Je ne crois pas avoir énoncé la thèse contraire ; ce serait une autre manière de devancer l'autorité souveraine, en paraissant déclarer fâcheuses et regrettables des concessions qu'elle fera peut-être demain. Mais dans la mesure où j'aurais donné à entendre autre chose que ce que vous dites, je me rétracte purement et simplement. Mes préférences privées sont pour l'usage exclusif du latin ; il va de soi que j'écris, comme publiciste, pour les faire partager, mais à titre de préférences, nullement comme seules compatibles avec l'esprit de soumission totale à l’Église, et en me tenant prêt à accepter et à promouvoir d'éventuelles références contraires du Saint-Siège.

Des concessions comme celles que vous souhaitez ne sont pas comparables à l'abandon du latin, que réclament des écrivains selon moi téméraires et qui, pour le coup, vont certainement contre les intentions expressément déclarées du Siège Apostolique. L'un des arguments que j'apporte pour montrer le bien-fondé de ces intentions est tiré du relâchement d'unité qu'entraînerait l'abandon du latin, et j'ai écrit à ce sujet un « infailliblement » qui vous « paraît fort ». Le français n'est pas ma langue maternelle, j'ai l'honneur d'avoir été élevé en breton, et j'ai pu me tromper sur la valeur d'un adverbe. J'ai mis « infailliblement » au lieu de « nécessairement », qui m'était venu d'abord parce qu'en effet il n'y a pas de lien essentiel, d'où l'on puisse tirer une démonstration a-priori, entre la suppression du latin et le desserrement de l'unité. Mais j'ai voulu marquer qu'il y a un lien existentiel, une connexion de fait, qui dans l'hypothèse jouerait, disons « incoerciblement », puisque « infailliblement » vous déplaît. Non, l'emploi du latin n'est pas seulement « un moyen humain qui n'a pas toujours existé » ; il n'est pas seulement un facteur d'unité, il est déjà un mode d'être de l'unité, un « fait acquis » d'unité, une situation d'unité, une expression d'unité, un comportement d'unité. Considéré comme moyen, ce n'est pas seulement un moyen « humain », il doit bien provenir en quelque mesure de l'Esprit-Saint, Dominum et vivificantem ; qu'il n'ait pas « toujours existé », ce n'est pas si sûr, il existait bien en puissance puisque la spontanéité vitale de l’Église romaine a exercé sa poussée dans le sens de l'unité de langue liturgique. Et enfin, quand ce ne serait qu'un moyen qui n'aurait pas « toujours existé » et non pas même en puissance, il suivrait seulement que ce moyen n'est pas nécessaire en droit, ce que j'ai reconnu plus haut, ce que j'avais admis en propres termes dans mon premier article, que probablement vous n'avez pas lu (voilà ce que c'est que de n'être pas un lecteur assidu). Mais il ne suivrait aucunement que ce moyen ne soit pas devenu irremplaçable de facto. Avoir des écoles n'est pas non plus de nécessité essentielle pour l’Église, c'est un attribut qui entre dans le prédicable du contingent et c'est aussi, historiquement, un moyen « qui n'a pas toujours existé ». C'est pourtant dans l'existentiel un moyen irremplaçable, et on peut certainement affirmer que la suppression de l'enseignement chrétien entraînerait « infailliblement » un progrès effrayant de la déchristianisation.

Vous alléguez l’Église orientale unie. Je ne crois pourtant pas que vous souhaitiez que notre unité avec le Saint-Siège devienne semblable à celle des Orientaux unis, plutôt crue et professée que vécue. Le Saint-Siège ne veut pas que l'on touche aux liturgies vénérables de l'Orient ; néanmoins, même dans les temps paisibles, cette diversité liturgique ne facilite pas l'exercice de cette plénitude de puissance, ordinaria, immediala, vere episcopalis, qui lui est reconnue certes par tous les catholiques, autrement ils ne seraient pas catholiques, mais qui doit tolérer en Orient bien des mitigations pour éviter de plus grands maux. Et que dire des temps troublés ! Voyez ce qui se passe sous nos yeux : ce n'est pas une conjecture, c'est un fait, que les persécuteurs se sont servi de la diversité des rites pour entraîner d'un seul coup dans le schisme un million et demi de Ruthènes uniates ; c'est un fait que la même manœuvre infernale a été rendue impossible en Pologne, parce que la Pologne est latine. Dans l'essentiel, l'unité était la même ; quelle différence dans l'existentiel ! Et trouvez-vous encore que mon « infailliblement » soit trop fort ? Si des désastres comme celui que je viens de rappeler ne vous font pas redouter les dangers qui résulteraient en Occident de la substitution des langues nationales au latin, j'admire votre sérénité, mais je ne la partage pas, et d'autant moins que l'entreprise anti-latine en Occident est conduite dans l'esprit le plus anti-romain. C'est pourquoi jusqu'à mon dernier souffle je combattrai pour la latinité liturgique, garantie solide, élément de facto irremplaçable (toujours en Occident) de la romanité.

Je viens à ce qui vous a surtout déplu dans mon article, la rudesse du ton, selon vous peu charitable. Sur ce point, je ne vous concède rien. Si la charité est ce que vous dites, il faut déchirer des pages entières de l’Évangile, depuis l'a paille et la poutre des « hypocrites » jusqu'à la clef de la science que les duces caeci et stulti gardent dans leur poche, pour finir par serpentes, genimina viperarum. Ou bien avez-vous deux poids et deux mesures ? Était-ce charité à saint Jérôme de traiter saint Augustin de « citrouillard, cucurbitarius », et Rufin d'« âne à deux pattes, asinus bipes » tandis que ce serait manque de charité à moi d'égayer mes lecteurs en évoquant le « bipède sans plumes » de Platon, expression qu'il faut bien que je m'applique comme à mes adversaires, puisque je suis homme comme eux, au lieu que saint Jérôme ne s'appliquait sûrement pas l'asinus bipes qu'il décochait à Rufin. A moins que vous ne préfériez dire que saint Jérôme aussi manquait de charité, mais vous le diriez contre toute l’Église et contre l'évidence, car et l’Église et l'évidence proclament que ce volcan d'invectives flambait de charité.

Lui, et non pas moi ? Hélas, c'est trop vrai, mais pour le dire il faut scruter mes intentions, ce qui n'est pas évangélique non plus, et aller au delà de mon comportement littéraire, puisque mes expressions ne sont pas plus fortes que « sépulcres blanchis » qui est dans l’Évangile, et que « défécateurs en chambre » qui est dans la lettre à Eustochium.

Vous vous scandalisez de rencontrer de l'invective dans une publication qui s'intitule catholique, C'est tout simplement que l'invective est catholique, à preuve l’Évangile, à preuve non seulement les onze volumes de saint Jérôme dans Migne, mais cent autres tomes de la Patrologie. Elle n'est donc pas d'elle-même et dans tous les cas contraire à la charité. La charité transcende et l'invective et la douceur des paroles, elle « impère » l'une ou l'autre suivant les circonstances. Vraiment « l’Évangile ne parle que de charité » ? A merveille, et j'en demeure d'accord ; pourtant il contient des invectives, donc les invectives ne sont pas de soi contraires à la charité de l’Évangile. Et quant à une charité qui ne serait pas celle de l’Évangile, je me moque bien d'en manquer.

Je maintiens donc absolument mon droit à l'invective ; je repousse absolument le reproche de manquer de charité, fondé sur le seul usage de l'invective ; je dis que ce reproche procède d'une erreur sur la nature même de la charité. On peut certes manquer de charité dans l'invective, et j'ai pu avoir ce malheur ; mais on peut aussi manquer de charité dans la douceur, et condamner l'invective au nom de la charité n'est pas selon la charité telle que l’Évangile du très doux et du très terrible Seigneur Jésus nous en livre la notion et nous en montre la pratique.

Veuillot est plein d'invectives, et l'on peut dire que saint Pie X a canonisé non sa personne, mais sa manière. Le Bref de 1913 est ma charte et je m'y tiens.

Mais Veuillot était un laïc ! Oui, et après ? Interdire au prêtre, parce qu'il est prêtre, l'invective, c'est accepter une image conventionnelle et artificielle du prêtre, qui a son origine ailleurs que dans l’Évangile et dans l’Église, étant l'image mondaine du prêtre ou plutôt sa caricature, bénisseuse, onctueuse, efféminée. Je ne veux pas ressembler à cette caricature dégradante; je veux garder à portée de ma main le fouet dont s'est servi le Souverain Prêtre, seul vrai modèle des prêtres ministériels. J'ai pu user peu charitablement de ce fouet charitable, peu évangéliquement de ce fouet évangélique, peu sacerdotalement de ce fouet sacerdotal : mais il est charitable, mais il est évangélique, il est sacerdotal, et j'ai deux fois comme prêtre le devoir d'en conserver l'usage, parce que j'ai deux fois comme prêtre le devoir de porter la ressemblance de Jésus.

Il est vrai, ce sont des prêtres, des religieux que je rencontre parfois sur mon chemin. Mais s'ils font une œuvre néfaste, la charité me commande-t-elle de la leur laisser accomplir, parce qu'ils sont prêtres et religieux ? Elle me commande au contraire d'empêcher que leur caractère ne protège leurs entreprises. Elle me commande en même temps, certes, de respecter en eux ce qui demeure respectable, leur vie privée, dont je ne m'occupe jamais, leurs intentions, que je ne présume jamais perverses, la pureté de leur foi, que je ne m'arroge jamais le droit de contester. Pour le reste, la charité qui m'oblige à les aimer comme mon prochain me fait un devoir de les haïr perfecto odio comme publicistes, si leur théologie est inexacte, si leur pastorale est funeste, si leur style est ridicule, si leur jugement est faux, si leur goût est sophistiqué, s'ils ratiocinent contre le bon sens, s'ils embrouillent l'univoque et l'analogue, la géométrie et la finesse, l'essentiel et l'existentiel, surtout enfin s'ils. ont gagné une audience assez large pour semer le désarroi dans beaucoup d'esprits, pour déranger un grand nombre de têtes faibles. Il est regrettable, il est douloureux que des prêtres et des religieux qui se mêlent d'écrire donnent le spectacle de l'une ou l'autre de ces difformités ou de plusieurs ; mais s'ils le donnent, la charité commande une indignation d'autant plus vive que l'indécence est plus grande de leur part, et d'autant plus salubre qu'il est plus urgent de leur ôter crédit. Le P. Teilhard doit être blâmé deux fois, parce qu'il est jésuite, pour avoir qualifié Dieu de « point W », car qu'est-ce que cette affectation de phénoménologie sous la plume d'un fils de saint Ignace ? Parce qu'il est dominicain, le P. Chenu est deux fois reprochable d'avoir imprimé que l’Église doit céder à l’État devenu majeur (naturellement) § ce qu'elle conserve encore de fonctions temporelles, parmi lesquelles, frottez-vous les yeux, le soin des malades et l'enseignement ; ce frère en religion de saint Thomas abjurera-t-il impunément ce que dit le saint Docteur des œuvres de miséricorde corporelle qui sont l'honneur de l’Église, et des œuvres de miséricorde spirituelle - parmi lesquelles l'instruction des ignorants - qui non seulement manifestent la charité surabondante de l’Église, mais conditionnent concrètement la transmission efficace du message évangélique ? Parce qu'il est prêtre, l'abbé Oraison doit être deux fois flagellé de verges, pour avoir empoisonné les séminaires, et jusqu'aux cloîtres de la virginité sacrée, des infâmes remugles de son pansexualisme larvé. Vous vous exclamez sur mes véhémences : « Et c'est un prêtre qui écrit ! » Permettez-moi de vous dire que vous vous trompez d'adresse. C'est à ceux que je combats qu'il faudrait marquer votre indignation : Et c'est un jésuite qui écrit ! Et c'est un dominicain qui écrit ! Et c'est un prêtre qui écrit ! Les torts des uns n'excusent pas ceux des autres, ma mère a appris cela dès l'enfance à ses fils, avec force calottes équitables à l'appui de son dire ; mais il faut quelque justice, quand on tient tant à ce qu'on nomme charité ; et il n'est pas juste que vous trouviez légitime de blâmer davantage mon langage parce que je suis prêtre, et que vous ne trouviez pas au moins aussi légitime que je blâme davantage le P. Teilhard de Chardin de son immanentisme parce qu'il est jésuite, le P. Chenu de sa « theologia laicalis » parce qu'il est dominicain, M. Oraison de son déterminisme sexuel pseudo-médical parce qu'il est prêtre. Avez-vous protesté auprès des éditeurs du Phénomène humain ? Vous êtes-vous plaint à Économie et humanisme quand le P. Chenu y a développé les sophismes rapportés ci-dessus ? Avez-vous reproché à M. Oraison d'avoir publié dans le Supplément de la Vie spirituelle un article sur le complexe sado-anal dont la seule pensée qu'il a été lu dans des communautés religieuses fait bondir le cœur de dégoût ? Vous n'avez pas le loisir de lire tout ce qui paraît ? Sans doute, mais pardonnez à ceux qui par devoir s'astreignent à lire le plus qu'ils peuvent de croire que la charité leur prescrit l'invective contre des auteurs, fussent-ils prêtres ou religieux, dont l’œuvre est à ce point malfaisante, dont la pensée est à ce point déréglée, dont l'influence est à ce point pernicieuse. Pour moi, je ne cesserai pas d'exprimer non seulement mon désaveu, mais ma colère, et plût à Dieu que ses vibrations fussent perçues non seulement des cinq mille abonnés de la Pensée Catholique, mais du pitoyable troupeau de cinq cent mille lecteurs que la Vie Catholique Illustrée abrutit hebdomadairement, et présentera dûment décérébrés à l'abattoir communiste. C'est pour bientôt, mon cher ami ; vous qui élevez des enfants, au lieu de déplorer ma violence, faites des violents. Les violents peuvent devenir des martyrs ; les faux charitables, jamais ; on les tue sans qu'ils témoignent, et l'on en voit de si débordants de charité pour le bourreau qu'ils lui rendent le service de lui amener le bétail, d'une seule main, l'autre étant sur leur conscience.

Sommes-nous loin de la question du latin dans la liturgie ? Moins qu'il ne semble. Il est vrai que c'est l'ensemble des articles que j'ai publiés depuis dix ans dans la Pensée Catholique que je cherche à justifier. Mais d'un autre côté, s'il n'y a pas de conjuration entre les hommes, ce que j'ignore, il y a certainement un lien entre les erreurs. On le voit au long de l'histoire ; on l'a vu au début de ce siècle, lorsque les publications modernistes favorisaient les idées sillonistes, si l'on peut appeler idées ce magma inconceptualisable, et que réciproquement les publications sillonistes, à leur insu bien plus qu'à leur escient, certes, mais par une connexion objective plus forte que les intentions, laissaient serpenter dans leurs colonnes l'hérésie moderniste. Semblablement aujourd'hui, si ce n'est pas de propos délibéré, c'est encore moins par hasard que les mauvais docteurs qui ont fourvoyé nos malheureux confrères les « prêtres-ouvriers » en les lançant sur un océan dont ils n'avaient pas balisé un seul récif, qui ont failli ruiner la « Mission de France », qui ont gauchi et faussé plusieurs Mouvements d'Action catholique, ce n'est pas un hasard, dis-je, si ces personnages sont tout proches de ceux qui ont fait du « Centre de Pastorale liturgique » une entreprise anti-grégorienne, et qu'il y ait des uns au profit des autres, de ceux-ci au profit des premiers, un continuel et mutuel échange de bons offices.

Il est temps que je mette fin à cette réponse que j'aurais dû savoir abréger. Mais pour que vous ne puissiez vous plaindre que je me sois dérobé à aucun de vos griefs, je dois répondre à une question que je suis d'ailleurs surpris que vous ayez posée ; vous avez dû écrire ab irato ; nous sommes tous mortels !

« Le français auquel convient pareille musique (celle dont j'ai dit, sans tenir autrement à cette métaphore, qu'elle sort des étables la nuit) est une traduction littérale du nouveau psautier et de l'hébreu. A ce latin-là, est-ce la même musique qui convient ? Ou pourquoi non ? »

Pourquoi non ? Parce que la traduction, même littérale, d'un original euphonique peut être cacophonique. Quand nos grands élèves traduisent le chant XXII de l'Iliade, ils peuvent bien ne perpétrer ni contre-sens ni faux sens ; cela suffit-il pour que leur traduction « attrape » l'harmonie du Grec ?

Je répète que je vous abandonne mes métaphores ; elles ne sont sûrement pas toutes du dernier goût. Mais la charité veut que le « psautier Gélineau » soit tourné en ridicule, pour que d'une part les incroyants cultivés ne s'imaginent pas que l’Église est devenue tout de bon « obscurantiste » en musique, et pour que d'autre part le peuple fidèle soit maintenu en possession des richesses liturgiques que l’Église a accumulées pour lui, maintenu dans l'usage familier, c'est le Pape qui l'ordonne, relisez Musicae Sacrae, du répertoire grégorien. L'un n'exclut pas l'autre ? Dans « l'essentiel », non ; dans « l'existentiel », bel et bien. Du vrai cantique populaire, extra et infra-liturgique, je pense ce que pense l'Encyclique, il a sa place dans les assemblées elles aussi extra et infra-liturgiques, et il n'est pas dangereux pour la familiarité du peuple chrétien avec les mélodies grégoriennes. Tout autres sont les prétentions des recueils du type « psautier Gélineau », dont et l'auteur, et peut-être surtout les éditeurs, répètent à satiété qu'ils sont « pour l'usage liturgique » ; cette mention est à chaque page, et en effet non seulement sa présence, mais tout dans ce recueil et ses congénères, le style, la langue, la mélodie, les indications proposées au maître de chœur, tout manifeste un propos, non de se juxtaposer et de se subalterner au grégorien, mais de le remplacer.

J'ai à peine écrit ces lignes que le courrier m'apporte la livraison de mars-juin 1956 de la Revue grégorienne. Solesmes est une forteresse, locus irreprehensibilis, et je combats dans la plaine ; mais hormis cette différence, dont il est charitable de tenir compte, vous trouverez que sur l'existence et la portée d'une campagne anti-latine, sur les témérités qu'elle se permet, sur la nécessité et l'urgence de la combattre, il y a, entre l'illustre Revue grégorienne et la Pensée catholique, une communauté de vues dont vous comprendrez que je ne me fasse pas peu d'honneur.

J'ai cinquante-cinq ans, j'ai derrière moi trente années d'un ministère que Dieu a voulu sinon fécond, je n'en sais rien, du moins presque entièrement employé au service des plus pauvres parmi le peuple; ce sont eux que je ne veux pas voir spoliés du patrimoine de beauté de l’Église, leur seule richesse ici-bas, leur unique mais légitime et glorieux héritage. Je défends: leur droit baptismal à l'or pur, contre les colporteurs, bien intentionnés ou non, qui leur refilent de la pacotille. Est-il donc bien charitable de supposer si vite que je manque de charité ? Est-il si assuré que mes articles en administrent la preuve ? J'ai trop de respect pour les vrais théologiens pour oser jamais m'arroger un titre si glorieux et si vénérable dans l’Église ; je suis tout de même un vieil étudiant en théologie, un inlassable et insatiable étudiant.

Vous deviez présumer qu'avant d'écrire j'ai médité sur la nature et les lois de la charité, et qu'en écrivant je ne cesse de les avoir présentes à l'esprit. Vous pourriez d'ailleurs lire - mais je ne vous infligerai pas ce pensum - la collection entière de mes articles ; vous n'y trouverez contre nul prêtre, nul religieux, nul chrétien, l'accusation terrible de manquer de charité, qu'on lance si volontiers contre moi. En sorte que, dans l'ardeur des contestations d'aujourd'hui, ceux qui reprochent le plus aisément à autrui d'offenser la charité telle qu'ils l'entendent, sont peut-être ceux qui la pratiquent le moins telle qu'elle est.

Je crois, mon cher ami, vous avoir répondu plutôt que d'auteur à lecteur, de prêtre à chrétien, je dirais aussi bien d'honnête homme à honnête homme, avec le souci de ne pas louvoyer, de ne pas biaiser, de ne rien laisser d'obscur ni d'ambigu. Je me suis expliqué trop longuement, du moins me suis-je expliqué droitement : cela aussi est charité.

Veuillez, etc...

Manécanterie saint Pie X


V.-A. BERTO.
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