Commentaire de l'article 6

De Salve Regina

Loi et principes
Auteur : P. Réginald Héret, O.P.
Source : Extrait du livre La Loi scoute
Date de publication originale : 1922

Difficulté de lecture : ♦ Facile

Le Scout voit l'œuvre de Dieu dans la nature, il aime les plantes et les animaux

L'ADMIRATION

La religion, c'est le sens de la majesté divine; elle consiste dans la reconnaissance de la supériorité et de l'excellence de Dieu.

La prière, l'assistance à la messe ne sont rien si elles ne sont pas animées par l'adoration, l'amour et l'obéissance que nous devons à Dieu et dont nous avons parlé au deuxième article.

Rien n'est plus capable de susciter et d'entretenir les sentiments que la contemplation des grandes oeuvres de Dieu au milieu desquelles s'exerce notre vie scoute. Ouvrons nos yeux et nos oreilles, sachons comprendre tout ce qui existe et qui vit autour de nous.

Toutes les créatures nous invitent à penser à Celui qui les a faites ; elles nous conduisent à admirer sa Puissance, sa Bonté, son Intelligence, son Amour. Le Scout doit vivre dans cette impression habituelle de Dieu notre Père, dans cette disposition habituelle de lui rendre l'hommage qui lui est dû.

Comprend-on que cela se fait plus par des sentiments que par des paroles, et pas seulement à l'église, mais toujours et partout ?

Comprend-on aussi que cette conscience de la divine présence est ce qu'il y a de plus nécessaire dans la vie puisque le seul but de la vie est de marcher vers Dieu en accomplissant sa Volonté ?

Cet article de la loi est évidemment fort important. Nous ne sommes, hélas ! que trop accoutumés à ce que la Revue des jeunes (25 juillet 1921) appelait si judicieusement la double vie. "Beaucoup n'ont avec Dieu que des rapports diplomatiques et mondains. On se visite, on se rend hommage au nouvel an spirituel et à l'anniversaire mystique ; on reconnaît ses liens, mais au long des journées il n'est pas plus question d'un souci spirituel que du vieil onde au cours d'une randonnée tapageuse. " Nous menons une double vie : notre vie d'homme de famille, de profession, d'affaires et puis, par surcroît et dans la mesure où nous le jugeons opportun, une vie religieuse, celle-ci étant, d'ailleurs, très réduite, très sèche, et disons-le, très ennuyeuse. La prière matin et soir, la messe le dimanche, le sermon, la communion de temps en temps en arrivent à être autant de corvées. On s'y soumet parce que "cela se fait", mais chaque fois qu'on peut y échapper on pousse un soupir de soulagement.

Double vie... Est-ce une seconde vie qu'une religion pareille ? "Comme le Christ est ressuscité des morts, dit Saint Paul, ainsi devons-nous marcher dans une vie nouvelle." Comprenons-nous rien de cela ? Comprenons-nous seulement ce qu'il veut nous dire lorsqu'il nous fait part de son enthousiasme à la pensée des richesses merveilleuses que le Christ nous a apportées. Bien loin "d'en faire leur nourriture, de les convertir en chair et en sang", la plupart sont comme des inconscients devant les trésors que l'Église nous propose. Ne le prouvent-ils pas dans leurs épreuves et leurs souffrances ? Pour combien la religion est-elle un principe efficace de résignation, de lumière, d'énergie ? Beaucoup de baptisés ne sont que des fantômes, ils n'ont que l'apparence de vivants : "je connais tes œuvres, dit l'Apocalypse, tu as la réputation d'être un vivant, mais tu es mort."

Ce ralentissement de vie religieuse, M. Georges Goyau nous en indique l'origine dans la préface du livre du R. P. Sevin : c'est le laïcisme. Il consiste à dresser des cloisons dans l'âme et à faire croire que les affaires humaines n'ont rien à voir avec la religion ; qu'une fois remplies ce qu'on appelle vos obligations confessionnelles, vos prêtres n'ont qu'à se tenir pour apaisés ; à en appeler à la liberté de conscience pour mesurer parcimonieusement l'intervention d'une règle religieuse intempestive et gênante, affectant d'ailleurs un infini respect pour des croyances séculaires, aussi vulnérables qu'elles sont puériles.

Prenons bien garde que nous-mêmes catholiques nous donnions trop souvent dans un tel esprit. Quelle part faire, dans une journée de camp, aux offices religieux ? La messe, le sermon ne seront-ils pas trop longs au détriment des exercices scouts ? Quelle part faire à l'aumônier et quelle part au scoutmestre dans le gouvernement de la troupe ? L'autre ne va-t-il pas accaparer l'autorité et l'influence ?Question mal posée. Il s'agit bien de faire un tel départage ! Pense-t‑on que les contemporains de Saint Thomas s'embarrassaient de pareilles chicanes ?

Cet article de la Loi nous ramène à leur belle unité intérieure. "Le Scout voit Dieu dans la nature", partout. Il est donc religieux partout. Il ne l'est pas seulement à l'église et à de certains moments, mais il l'est toujours. Pourquoi ? Parce qu'il est plus clairvoyant que les autres hommes. Il a une vue profonde et plus juste des choses.

Il sait, à n'en pas douter, que rien de ce qu'il voit, ne s'est fait tout seul. Et parce qu'il voit près de lui un de ses petits frères scouts, il pense qu'il a un père, une mère ; il ne les connaît peut être pas, il ne les a jamais vus, mais il est certain qu'ils existent quelque part. Ainsi, lorsqu'il regarde la nature, pense-t-il qu'elle a un Auteur et que sans lui la mer, ni les arbres, ni les pierres, ni les hommes, rien n'existerait ni ne durerait.

Oui, Dieu existe : Dieu est là. "Comme l'âme contient le corps, ainsi Dieu est-il dans les êtres." Il est le tout-puissant et rien ne peut se soustraire à son emprise, rien échapper à ses regards, rien éviter sa présence. "Un homme peut‑il se cacher dans une cachette sans que je le voie ? dit Yahvé. Est‑ce que je ne rem plis pas, moi, le ciel et la terre ?" (Jérémie, c. 23)

Le sens de la majesté divine, voilà ce qu'il devrait y avoir dans nos âmes de plus profond et comme d'inébranlable. C'est, en effet, à Dieu que nous devons nous tenir unis avant qui que ce soit comme à notre principe immuable ; à qui doit aller assidûment notre préférence, puisqu'il est notre Terme ; celui aussi que nous trouvons moyen de perdre quand nous péchons, mais que nous devons recouvrer en croyant et en attestant notre foi.

Toute la piété de Saint Thomas est dominée par de telles pensées. Lisons, par exemple, ce texte entre mille :

"Nous pouvons nous faire une idée de la béatitude infinie de Dieu si nous pensons qu'il possède tous nos bonheurs à la perfection. Pour joie de l'intelligence, il a la considération très parfaite et perpétuelle de Lui‑même et de ses créatures; pour joie de l'action, ce n'est pas d'un individu, ou d'une maison, ou d'une cité, ou d'un royaume qu'il a le gouvernement, mais de l'univers tout entier. Notre vaine félicité terrestre n'est qu'une ombre misérable de sa félicité à Lui. Boèce nous dit que le bonheur consiste en cinq choses : du plaisir, des richesses, du pouvoir, des honneurs et de la gloire. En fait de plaisir, Dieu jouit de son excellence et de tous les biens sans aucune déception ; de richesses, il a en Lui sa suffisance ; son pouvoir est infini, pour dignité il a le primat et le gouvernement universel; pour gloire, l'admiration de toute intelligence qui le connaît.

"A Lui donc qui goûte un bonheur unique soient l'honneur et la gloire dans les siècles et les siècles. Amen."

Un sentiment profond de ce qu'est Dieu, l'admiration de sa grandeur incomparable, la disposition habituelle à lui rendre "l'adoration qui lui est due à cause de son excellence supérieure, puisqu'il dépasse souverainement et de toutes manières toute créature, quelle qu'elle soit", voilà la religion.

C'est donc un état d'âme habituel; c'est un point de vue, une manière de voir; on ressemble à un enfant qui porte partout, quoiqu'il ne l'exprime pas toujours, l'amour et l'admiration qu'il a pour son père. Ce n'est pas du tout, on le voit, ce que pensent les "laïques", ni non plus ce que nous faisons suffisamment. Ce n'est que dans la mesure où ils seront pénétrés de cette adoration soumise et de cet amour filial que nos actes de culte auront de la valeur : assister à la messe, nous confesser, communier même, à quoi bon sinon pour nourrir, préciser, rectifier, donner un aliment à ce sentiment essentiel ?

Si cela était mieux compris, on verrait moins de disant chrétiens mauvais fils, époux déloyaux, patrons injustes, négociants voleurs. Ou l'amour que nous avons pour Dieu est un amour souverain qui exerce comme une mainmise vigoureuse sur toutes nos démarches, ou nous n'avons jamais compris ce qu'est Dieu, ni ce que nous sommes. Notre vie religieuse doit faire l'unité en nous. Toutes nos pensées, nos tendances, nos actions doivent subir l'attraction dominatrice de cet intérêt central, qui est, comprenons-le, notre intérêt vital, puisqu'il est celui de nos rapports avec l'unique auteur de la vie. Bien loin de restreindre notre vie religieuse à quelques rites sans âme, en effet, et sans joie, c'est tout notre être, toute notre vie qu'elle doit régler et inspirer. N'en doutons pas, la vigueur de notre vie religieuse sera la mesure de notre fécondité, et son élévation, celle de notre noblesse.

Il s'agit maintenant d'apprendre cela à nos enfants. C'est une entreprise aussi difficile qu'urgente. La méthode que propose ce sixième article est certainement la bonne :

"Voir Dieu dans la nature". Mais il faut bien l'entendre. S'agit-il de faire de nos Scouts autant de poètes qui, l'imagination et la sensibilité délicieusement remuées par un beau coucher de soleil ou un beau paysage, vont s'écrier : "Voici, Seigneur, la trace de vos pas !" Non, c'est à leur intelligence qu'on s'adresse.

"je médite sur toutes tes œuvres, dit le Psaume, je réfléchi sur l'ouvrage de tes mains." Pour bien connaître un être, voyons ses oeuvres. De l'espèce et de la qualité de ses actions, nous jugerons la mesure et la valeur de sa puissance. La puissance d'un être montre sa nature, car chacun est bâti pour agir selon la nature qu'il a reçue en partage."

Or, de quoi s'agit‑il ? Que cherchons‑nous ? Nous cherchons à connaître Dieu. Nous ne pouvons pas le connaître en lui-même. C'est certain. Il est pur esprit et nous, si nous sommes des esprits, aussi, nous n'atteignons directement que ce qui est sensible. "Les réalités qu'atteignent nos sens ne peuvent pas amener notre intelligence à voir Dieu en lui‑même, parce que les créatures sensibles, si elles sont bien son œuvre, n'épuisent pourtant pas toute la puissance de Dieu. Ne nous attendons pas à connaître par ce que nous voyons et touchons la puissance complète de Dieu, ni par conséquent son essence. Mais parce que ce sont quand même des effets qui dépendent de leur auteur, les réalités sensibles peuvent nous conduire à savoir de Dieu qu'il existe, puis à savoir de lui ce qui lui convient nécessairement comme cause première de toutes choses, qui doit être supérieure à tout ce dont il est cause."

Voir Dieu dans la nature se ramène donc à ceci : Voici un être de la nature. Il existe. Qui l'a fait ? Par‑delà ses auteurs immédiats c'est Dieu, l'Etre Premier de qui tout est parti. Et puisque nous lui trouvons des qualités, c'est donc que Dieu, son auteur, les avait aussi, mais à sa manière, comme peut le posséder un Esprit infini et parfait.

"Toute la création est comme un miroir à notre usage, parce que de l'ordre, de la bonté, de la grandeur que nous constatons dans ces êtres que Dieu a faits, nous en venons à nous faire une idée de sa sagesse, de sa bonté, de son éminence à Lui."

Est‑il impossible de faire comprendre cela aux Scouts ? Et ne pourrait‑on pas, en les amenant judicieusement et fréquemment à une réflexion, en somme, aussi simple, leur rendre ce sens religieux de la nature et de la vie que nous avons si malheureusement perdu ? Qu'on relise là-dessus les premiers chapitres du deuxième livre du Contra Gentes. On ne regrettera pas sa peine. On y verra, notamment, comment la considération de la nature est utile à l'éducation de notre foi. Et pour quelles raisons ? " C'est que la réflexion sur ce que Dieu a fait nous amène à la notion d'abord, puis à l'admiration de sa sagesse. Ensuite, considérant combien il est grand, plus grand que ses oeuvres, nous en arriverons à concevoir pour lui un infini respect ; enfin il est des créatures si bonnes, si belles, si douces, qu'elles ravissent nos cœurs d'hommes. Comment, dans ces conditions, et à penser qu'elles ne sont que de petits ruisseaux, tandis que Dieu est leur source inépuisable, comment nos âmes humaines ne s'élanceraient‑elles point tout enflammées vers Lui ?" "Aimer les plantes et les animaux" nous sera, après cela, très facile. Oui, ils sont nos frères et nos sœurs. Cela n'est souvent, hélas ! que trop évident.

Ils le sont en ce sens qu'ils ont été créés comme nous et avec nous pour jouer leur rôle dans le grand univers. Leur rôle est de nous servir. L'homme est destiné à un but supérieur: partager la vie divine. Il s'ensuit que chaque créature de l'univers est destinée à son service. Il doit les utiliser et s'en nourrir. Mais ce serait évidemment bien mal comprendre son devoir providentiel de roi de la création que de faire souffrir inutilement les animaux : tuer les petits oiseaux parce que ça l'amuse.

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