La Pureté

De Salve Regina

Questions de morale sur le mariage
Auteur : Apostolus.
Source : In La Vie Spirituelle n°221

Difficulté de lecture : ♦ Facile


Vertu de pureté

Elle est bien grossière, la conception des bonnes gens sur le sujet qui nous occupe. Il y aurait donc des êtres voués à une vie de séparation et de sacrifice, et pour les autres la nature garderait tous ses droits. Comme si la pureté n'était réservée qu'à un petit nombre ! Comme si l'éloignement la créait à lui seul ! Comme si l'état de mariage résolvait tous les problèmes posés par l'usage des corps ! Mais il importe de bien souligner ce qu'est la vertu suprême dont nous parlons, et dont la maxime s'étend bien au‑delà du canton où on la limite, puisque, à notre idée, elle concerne le bon usage de tous les biens sensibles que Dieu a voulu nous faire traverser pour mieux l'atteindre.

Voici une fleur au parfum suave et doux. Il est une manière impure de la contempler et de l'adorer : c'est celle par laquelle nous nous dissolvons pour ainsi dire en elle au lieu de l'assumer en nous. Il y aurait aussi une manière impure de nous priver à jamais de son parfum : c'est celle qui consisterait à regretter cette jouissance morosement et à la prendre par compensation tout en professant qu'on y renonce : Asmodée nous l'enseigne. Il est une manière pure d'y renoncer qui est celle des ascètes : elle consiste à se priver de sentir, non certes que le parfum soit condamnable, mais parce que notre nature, affectée par le péché, n'est pas capable de le spiritualiser et de le faire monter tout droit vers Dieu comme la fumée du sacrifice d'Abel. Et il est une manière pure de respirer la fleur, celle de saint Jean de la Croix après la nuit, celle de saint François d'Assise après le dépouillement total : alors, les sens servent de canal à l'esprit ; ils ne le gênent pas pour consacrer la créature, peut‑être même l'y aideraient‑ils en lui permettant d'être plus vibrant et plus accordé à la joie de l'univers.

Si cela est vrai, la vertu de pureté est une vertu d'usage : elle est la vertu même de l'usage : c'est‑à‑dire qu'on se borne, pour l'exprimer, à décrire ses aspects négatifs et nécessaires. Elle a donc sa place et son règne dans ces états d'usage et non de renoncement qui sont ceux de la plupart des hommes. Que dis‑je ? Y a‑t‑il un lieu, où elle n'ait pas son office ? Elle a sa place dans les regards dont elle écarte tout ce qui est trop vif pour n'y laisser que la lumière venue de l'intérieur, que la caresse qui s ignore.

Elle a sa place dans tout ce qui relève des sens, et là encore elle amortit, elle retranche, elle filtre, elle transforme l'ébranlement en lumière, et du toucher. Elle fait un tact. Elle a sa place dans l'intention, comme le dit si bien le langage « mes intentions étaient pures », et plus encore elle s'installe à la racine de l'acte et elle répudie ce qui procède de l'amour‑propre.

Elle a sa place dans les pensées qu'on entretient sur soi, elle veille à ce que nous évitions les retours de la vanité et de l'inquiétude.

Elle a sa place dans chaque partie du temps qu'elle  « rachète » en le joignant à l'éternel. Enfin, partout, elle loge dans les choses mélangées, et elle ne retient que ce qui est nourrissant pour l'être intime. Elle poursuit , dans le domaine de l'esprit, cette fonction de discernement et d'assimilation qui est celle du vivant. Évidemment, elle ne réussit pas toujours, on pourrait même dire qu'elle ne réussit jamais selon son vœu, et c'est pourquoi la pureté doute d'elle‑même chez la plus part, c'est pourquoi l'esprit de pureté s'accompagne de l'esprit de pénitence.

Sous tous ces rapports, j'aperçois dans ce que j'appelle pureté la vertu essentielle de la créature, celle qui prépare l'assomption finale de la nature dans la gloire, car la vertu de pureté, c'est, au fond, la vertu de la transmutation, de la sublimation, de la transfiguration. La nature partout est dans l'enfantement; elle gémit ; elle voudrait se revêtir d'éternité et de nouveauté. Elle aspire à un équilibre supérieur que Marie seule a connu parmi les générations.

Adam a été semé « psychique » et mortel. Le Christ, ce second Adam, est « pneumatique », et il a vaincu la mort. Nous portons l'image du premier Adam ; nous porterons l'image du second Adam. La pureté ne nous y prépare‑t‑elle pas ? Par l'usage que nous faisons du sensible, et surtout de ce sensible sacré auquel la vie en ce monde est liée, nous hâtons le retour des choses au Père et la transfiguration du monde. Coventry Patmore avait sur le mariage chrétien un mot bien profond dans son mystère : il disait, ou plutôt il chantait dans son Vestal Fire que les vies mariées fidèles à leur serment d'amour étaient des fontaines de virginité.

De nos jours, on voit se répandre dans le public chrétien beaucoup d'études et de livres sur la vertu dont nous parlons et que nos mères, par une pudeur suprême, n'osaient même pas trop nommer. Plusieurs regrettent l'époque où ces questions éternelles se résolvaient dans la conscience et par le conseil, sans qu'on les portât sur le forum ou même dans la chaire chrétienne. Mais c'est l'étalage du mal qui veut cela, et nos adversaires nous obligent à parler plus clairement de tout. Il en résulte un approfondissement, une vue plus juste du bien et du mal, un développement plus plénier des consciences. Pourtant je voudrais souligner un point que les anciens avaient bien aperçu et qui risque d'échapper à notre âge. C'est que, dans les choses de la vie et de l'amour, l'intelligence ne peut pas pénétrer jusqu'au fond, et, par conséquent, la parole, qui en est servante. On y est introduit et on s'y aventure par je ne sais quel sens intime, quel instinct silencieux et inexprimable : on risque toujours, si l'on veut en parler, de dire trop ou trop peu. L'ancienne réserve avait aussi du bon. Voyez cette jeune épouse qui veille sur le berceau et sur l'époux, sur la faiblesse et sur la force (ces deux infirmités), et qui les manie, qui les dispose, qui les achève et les guérit chaque jour l'une et l'autre. Elle n'a rien appris par les livres, et cependant elle sait. Quand nous parlons de ces choses, il faudrait, comme le souhaitait Léonard de Vinci pour l'œuvre d'art, laisser fuser un peu de mystère et comme un peu de vapeur autour des contours.

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