Le coeur eucharistique de Jésus et le don parfait de lui-même

De Salve Regina

Christologie
Auteur : P. Réginald Garrigou-Lagrange, O.P.
Source : Revue La Vie Spirituelle, n° 147, T.XXIX, n°3
Date de publication originale : 1er décembre 1931

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

Le Cœur eucharistique de Jésus et le don parfait de lui-même

Le Cœur sacré de Jésus est le symbole de son amour, et la plus grande manifestation de l’amour est le don par­fait de soi-même. La bonté est essentiellement commu­nicative, le bien est naturellement diffusif de soi. Saint Thomas dit même : « Non seulement le bien est naturelle­ment diffusif de soi, mais plus il est parfait, plus il se com­munique avec abondance et intimement, et plus aussi ce qui procède de lui, lui reste étroitement uni[1] </sup>. »

C’est ainsi que le soleil répand autour de lui la lumière et une bienfaisante chaleur, que la plante et l’animal adultes donnent la vie à une autre plante et à un autre animal, que le grand artiste conçoit et produit ses chefs­-d’œuvre, que le savant communique ses intuitions, ses découvertes, qu’il donne à ses disciples son esprit ; c’est ainsi encore que l’homme vertueux porte à la vertu et que l’apôtre, qui a la sainte passion du bien, donne aux âmes le meilleur de lui-même pour les porter vers Dieu. La bonté est essentiellement communicative, et plus un être est parfait, plus il se donne intimement et abondam­ment.

Celui qui est le Souverain Bien, plénitude de l’être, se communique aussi pleinement et intimement que possi­ble par la génération éternelle du Verbe, et la spiration de l’Esprit d’amour, comme la Révélation nous l’apprend. Le Père, en engendrant le Fils, lui communique, non pas seulement une participation de sa nature, de son intelli­gence et de son amour, mais toute sa nature indivisible, sans la multiplier aucunement, il lui donne d’être « Dieu de Dieu, Lumière de Lumière, vrai Dieu de vrai Dieu », et le Père et le Fils communiquent à l’Esprit d’amour, qui procède d’eux, cette même nature divine indivisible et ses perfections infinies. Le bien est naturellement diffusif de soi, et plus il est parfait, plus il se donne pleinement et intimement.

En vertu du même principe, il convenait, dit saint Tho­mas, que Dieu ne se contentât pas de nous créer, de nous donner l’existence, la vie, l’intelligence, la grâce sancti­fiante, participation de sa nature, mais qu’il se donnât lui-même à nous en personne par l’Incarnation du Verbe[2] </sup>.


Même après la chute du premier homme, Dieu aurait pu vouloir nous relever autrement[3], en nous envoyant par exemple un prophète qui nous aurait fait connaître les conditions du pardon. Mais il a fait infiniment plus, il a voulu nous donner son propre Fils en personne, comme Rédempteur. « Sic Deus dilexit mundum ut Filium suum unigenitum daret » (Jean, III, 16)

Jésus, prêtre pour l’éternité et sauveur de l’humanité, a voulu, lui aussi, se donner parfaitement lui-même à nous, dans tout le cours de sa vie terrestre, surtout à la Cène, au Calvaire, et il ne cesse de le faire tous les jours par la sainte messe et la sainte communion. Rien ne peut mieux nous montrer, que ce don si parfait de soi, les richesses du Cœur sacerdotal et eucharistique de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et rien ne peut mieux motiver l’action de grâces spéciale due à Notre-Seigneur pour l’institution de l’Eucharistie et celle du sacerdoce.


LE CŒUR SACERDOTAL DE JÉSUS ET LE DON DE SOI AU CALVAIRE

Lui-même a dit : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » (Jean, xv, I3). Et saint Paul écrit aux Hébreux, x, 6 : « Le Christ dit en entrant dans le monde : « Vous n’avez voulu ni sacrifice, ni oblation, mais vous m’avez formé un corps ; vous n’avez agréé ni holocaustes ni sacrifices pour le péché. Alors j’ai dit : Me voici je viens, ô mon Dieu, pour faire vôtre volonté. »

Dans le sacrifice parfait que le Sauveur, prêtre pour l’éternité, devait offrir, la victime ne pouvait être que lui-­même. Ce qu’il offre, c’est lui-même, son corps crucifié, son précieux sang répandu jusqu’à la dernière goutte, tout son cœur meurtri et finalement ouvert par la lance.

Comme le montrent après saint Augustin[4] le Bx Albert le Grand[5] et saint Thomas[6], le sacerdoce et le sacrifice sont d’autant plus parfaits, 1° que le prêtre, média­teur entre Dieu et les hommes, est plus uni à Dieu et aussi plus uni au peuple dont il doit offrir les adorations, les supplications, les réparations et les actions de grâces, 2° que la victime est plus pure, plus précieuse et plus consu­mée, 3° que le prêtre et la victime sont plus unis, puisque l’oblation et l’immolation extérieure de la victime ne sont que le signe de l’oblation et de l’immolation intérieure du cœur du prêtre, qui doivent être réelles, vives et profon­des, comme il convient au plus grand acte de la vertu de religion, inspiré par l’amour de Dieu.

Or, Notre-Seigneur, prêtre pour l’éternité, et médiateur universel, est la Sainteté même ; son humanité est sancti­fiée d’une façon substantielle et innée, par l’union personnelle au Verbe, et les actions sacerdotales de sa sainte âme ont une valeur théandrique, sans limite, qu’el­les puisent dans la personnalité du Verbe ; ici-bas elles avaient une valeur méritoire et satisfactoire intrinsèque­ment et strictement infinie. Son cœur sacerdotal ne sau­rait être plus uni à Dieu, ni d’autre part plus uni aux hommes, car Jésus est la tête du corps mystique dont nous sommes les membres : « Le Christ est le chef de l’Eglise, son corps, dont il est le Sauveur » (Ephés., v, 23).

De plus, le cœur sacerdotal de Jésus s’est donné lui-­même au Calvaire de la façon la plus parfaite et la plus intime, comme il l’avait annoncé : « C’est pour cela que mon Père m’aime : parce que je donne ma vie pour la reprendre. Personne ne me la ravit, mais je la donne de moi-même : j’ai le pouvoir de la donner et de la reprendre, tel est l’ordre que j’ai reçu de mon Père » (Jean, x, 18).

La victime très pure, offerte sur la Croix par Jésus, c’est lui-même, c’est son corps crucifié, son sang répandu, son corps déchiré dans toutes ses fibres ; Jésus est victime jusque dans son âme qu’il veut livrer pleinement à la douleur, jusque dans son âme toute plongée dans l’uni­versel abandon : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez­-vous abandonné ? »

C’est la complète immolation de « l’Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde » ; l’union du Prêtre et de la Victime ne pouvaient pas être plus intime, ni le lien du sacrifice intérieur et du sacrifice extérieur plus étroit. Si saint Paul a dit : « Je me dépenserai moi-même tout entier pour vos âmes, dussé-je, en vous aimant davantage être moins aimé de vous o (II Cor., XII, 15), que ne faut-­il pas dire de Notre-Seigneur, qui a répandu pour nous tout son sang à Gethsémani, à la flagellation, au couronnement d’épines et sur la croix, comme le rappellent les Matines de l’admirable office du Précieux Sang ?

Le cœur sacerdotal du Christ a généreusement donné ce sang adorable pour notre salut. Comme l’écrit saint Paul aux Hébreux, IX, 12 : « Ce n’est pas avec le sang des boucs et des taureaux, mais avec son propre sang, que le Christ Jésus est entré une fois pour toutes dans le Saint des Saints, après nous avoir acquis une éternelle rédemption. »

Comme le dit admirablement la liturgie, qui nous dis­pose si parfaitement à la contemplation de ce mystère : « En ce sang, quiconque baigne sa robe, en lave les taches. Il y prend un éclat empourpré, qui le rend soudain sem­blable aux anges et agréable au Roi…

  • Vous nous avez rachetés, Seigneur, par votre sang.
  • Et vous avez fait de nous un royaume pour notre Dieu[7]. »

LE CŒUR EUCHARISTIQUE DE JÉSUS ET LE DON DE SOI DANS L’INSTITUTION DE L’EUCHARISTIE

Comme Dieu le Père donne toute sa nature dans la génération éternelle du Verbe et la spiration de l’Esprit-­Saint, comme Dieu a voulu se donner en personne dans l’incarnation du Verbe, ainsi Jésus a voulu se donner en personne dans l’Eucharistie. Et son cœur sacerdotal est appelé eucharistique en tant précisément qu’il nous a donné l’Eucharistie, comme l’air pur est dit sain en tant qu’il donne la santé.

Notre-Seigneur aurait pu se contenter d’instituer un sacrement signe de la grâce, comme le baptême et la con­firmation ; il a voulu nous donner un sacrement qui con­tienne non seulement la grâce, mais l’Auteur de la grâce.

L’Eucharistie étant ainsi le plus parfait des sacrements[8], supérieur même à celui de l’Ordre, l’expression Cœur Eucharistique est supérieure aussi à celle de Cœur sacerdotal. Cette dernière est renfermée dans la précédente, car Jésus, en nous donnant l’Eucharistie, a institué le sacerdoce. De plus, on peut appeler cœur sacerdotal le cœur même du ministre du Christ, nous parlons du cœur sacerdotal du Curé d’Ars, tandis que l’expression Cœur eucharistique ne saurait s’appliquer qu’au Cœur qui nous a donné l’Eucharistie.

Au moment de nous priver de sa présence sensible, Notre-Seigneur a voulu se laisser lui-même en personne parmi nous sous les voiles eucharistiques. Il ne pouvait pas, dans son amour, s’incliner davantage vers nous, vers les plus petits, les plus pauvres, les plus délaissés, s’unir davantage et se donner davantage à nous et à chacun de nous.

Son Cœur eucharistique nous a donné la présence réelle de son corps, de son sang, de son âme et de sa Divinité. Partout, sur la terre, où il y a une hostie consacrée dans un tabernacle, jusque dans les missions les plus lointai­nes, il reste avec nous comme « le doux compagnon de notre exil ». Il est dans chaque tabernacle « patient à nous attendre, pressé de nous exaucer, désirant qu’on le prie ».

Le Cœur eucharistique de Jésus nous a donné l’Eucha­ristie comme sacrifice, pour perpétuer en substance le sacrifice de la Croix sur nos autels jusqu’à la fin du monde et pour nous en appliquer les fruits. Et à la sainte Messe, Notre-Seigneur, qui est le Prêtre principal, continue de s’offrir lui-même pour nous.

« Le Christ toujours vivant ne cesse d’intercéder pour nous », dit saint Paul (Hébr. VII, 25). Il le fait surtout à la sainte Messe, où, selon le Concile de Trente, c’est le même prêtre qui continue de s’offrir par ses ministres de façon non sanglante après s’être offert de façon sanglante sur la Croix.

Cette oblation intérieure, toujours vivante au Cœur du Christ, est comme l’âme du saint sacrifice de la messe et lui donne sa valeur infinie. Le Christ Jésus continue aussi d’offrir à son Père nos adorations, nos supplications, nos réparations et nos actions de grâces. Mais surtout c’est toujours la même victime très pure qui est offerte, le corps même du Sauveur qui a été crucifié, et son précieux sang est sacramentellement répandu sur l’autel, pour con­tinuer à effacer les péchés du monde.

Le Cœur eucharistique de Jésus, en nous donnant l’Eu­charistie-sacrifice, nous a donné aussi le sacerdoce. Après avoir dit à ses Apôtres : « Venez à ma suite, je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes » (Marc, 1, 16), et : « ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis et qui vous ai établis, pour que vous alliez et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure » (Jean, xv, 16), il leur a donné à la Cène le pouvoir d’offrir le sacrifice eucharistique en disant : « Ceci est mon corps, qui est donné pour vous ; faites ceci en mémoire de moi » (Luc, XXII, 19). Il leur a donné le pouvoir de la consécra­tion sainte qui renouvelle sans cesse le sacrement d’a­mour[9]. L’Eucharistie, sacrement et sacrifice, ne peut en effet être perpétuée sans le sacerdoce, et c’est pourquoi la grâce du Sauveur fait germer et s’épanouir dans la suite des générations depuis près de deux mille ans des voca­tions sacerdotales. Il en sera ainsi jusqu’à la fin du monde.


Enfin le Cœur eucharistique de Jésus se donne à nous dans la sainte Communion


Le Sauveur se donne â nous en nourriture, non pas pour que nous nous l’assimilions, mais pour que nous soyons rendus de plus en plus semblables à Lui, de plus en plus vivifiés, sanctifiés par Lui, incorporés à Lui. Il dit un jour à sainte Catherine de Sienne : « Je te prends ton cœur, je te donne le mien », c’était le symbole sensible de ce qui se passe spirituellement dans une fervente com­munion, où notre cœur meurt à son étroitesse, à son égoïsme, à son amour-propre, pour se dilater et devenir semblable au Cœur du Christ, par la pureté, la force, la générosité. Une autre fois, le Sauveur accorda à la même sainte la grâce de boire à longs traits â la plaie de son Cœur : autre symbole d’une communion fervente, où l’âme boit pour ainsi dire spirituellement au Cœur de Jésus, « foyer de nouvelles grâces », « doux refuge de la vie cachée », « maître des secrets de l’union divine », « cœur de celui qui dort mais qui veille toujours ».

Saint Paul avait dit (I Cor., x, 16) : « Le calice de béné­dictions que nous bénissons, n’est-il pas une communion au sang du Christ ? Et le pain que nous rompons, n’est-il pas une communion au corps du Christ ? » Et, comme le remarque saint Thomas, le prêtre à la sainte messe en communiant au précieux sang, y communie pour lui et pour les fidèles[10].


LE CŒUR EUCHARISTIQUE DE JÉSUS ET LE DON QUOTIDIEN ET INCESSANT DE LUI-MÉME

Enfin Jésus nous redonne tous les jours l’Eucharistie comme sacrement et comme sacrifice. C’est même inces­samment, à chaque minute du jour, que la messe et de nombreuses messes sont célébrées à la surface de la terre, partout où le soleil se lève. C’est l’incessante manifesta­tion de l’Amour miséricordieux du Christ répondant aux besoins spirituels de chaque époque et de chaque âme. « Le Christ, dit saint Paul aux Éphésiens, v, 26, a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sancti­fier, après l’avoir purifiée dans l’eau baptismale, avec la parole, pour la,faire paraître devant lui, cette Église, glo­rieuse, sans tache, sans rides, ni rien de semblable, mais sainte et immaculée. »

C’est ainsi qu’il lui accorde, surtout par la sainte Messe et la communion, les grâces dont elle a besoin aux divers moments de son histoire. La messe a été un foyer de grâ­ces toujours nouvelles dans les catacombes, plus tard pendant les grandes invasions des barbares, aux diverses époques du moyen-âge, et elle l’est toujours aujourd’hui pour nous donner la force de résister aux grands périls qui nous menacent, aux ligues athées que le bolchevisme propage dans le monde, pour détruire toute religion. Malgré les tristesses de l’heure présente, la vie intérieure de l’Eglise de notre temps, en ce qu’elle a de plus élevé, est certainement très belle vue d’en haut, comme la voient Dieu et les anges.

Toutes ces grâces nous viennent du Cœur eucharistique de Jésus, qui nous a donné la sainte messe et la commu­nion, qui nous donne toujours son sang sacramentelle­ment répandu sur l’autel.

C’est ce qu’avait compris le P. Charles de Foucauld, en priant pour la conversion de l’Islam ou des pays musul­mans. C’est ce que comprennent les âmes qui prient aujourd’hui de tout cœur et font célébrer des messes pour la conversion de la Russie[11].

Une seule goutte du Pré­cieux Sang du Sauveur peut régénérer tous ces malheu­reux infidèles qui s’égarent de plus en plus et pervertissent les autres[12].

On n’y pense certes pas assez. Le culte du Précieux Sang du Sauveur et la souffrance profonde de le voir couler en vain sur les âmes rebelles peuvent contribuer beaucoup à incliner le Cœur eucharistique de Jésus vers ses pauvres pécheurs ; oui, vers ses pauvres pécheurs. Ce sont les siens, et des apôtres comme saint Paul, saint François, saint Dominique, sainte Catherine de Sienne et tant d’autres, aimaient assez le Sauveur pour débattre avec Lui le salut de ces âmes.

Quand on pense à l’amour du Christ pour nous, on devrait agoniser de voir des âmes se détourner de son Cœur, de la source de son précieux sang. Il l’a versé pour elles, pour toutes, si éloignées soient-elles, pour le bol­cheviste qui blasphème et veut partout effacer son nom. Daigne le Seigneur, qui ne veut pas la mort du pécheur, accorder par la sainte Messe comme une nouvelle effu­sion du sang de son Cœur et de toutes ses saintes plaies.

Il suit de là, pratiquement, que le Cœur Eucharistique de Jésus, loin d’être l’objet d’une dévotion mièvre, est l’exemplaire éminent du don parfait de soi-même, don qui en notre vie devrait être chaque jour plus généreux. A la messe, pour le prêtre, chaque consécration devrait mar­quer un progrès dans l’esprit de foi, de confiance, d’amour de Dieu et des âmes. Et pour les fidèles, chaque commu­nion devrait être substantiellement plus fervente que la précédente, puisque chacune doit augmenter en nous la charité, rendre notre cœur plus semblable à celui de Notre-Seigneur, et nous disposer par suite à mieux le rece­voir le lendemain.

Le Cœur eucharistique de Jésus est le cœur souvent « humilié, délaissé, oublié, méprisé, outragé », et pour­tant c’est « le Cœur qui aime nos cœurs, le Cœur silen­cieux voulant parler aux âmes » pour leur enseigner le prix de la vie cachée et le prix du don de soi chaque jour plus généreux.

Le Verbe fait chair est venu parmi les siens, et « les siens ne l’ont pas reçu » (Jean, I, 11). Bienheureux ceux qui reçoivent tout ce que son Amour miséricordieux veut leur donner et qui n’arrêtent pas par leur résistance les grâces qui, par eux, devraient rayonner sur d’autres moins favo­risés. Bienheureux ceux qui, après avoir reçu, à l’exem­ple de Notre-Seigneur, se donnent toujours plus généreu­sement, par Lui, avec Lui, et en Lui.

S’il y a, au milieu même des infidèles les plus éloignés de la foi, une seule âme en état de grâce, vraiment fervente et renoncée, comme le fut celle du père Charles de Fou­cauld, une âme qui reçoive tout ce que le Cœur Eucharis­tique du Christ veut lui donner, il est impossible que, tôt ou tard, le rayonnement de cette âme ; ne transmette pas aux égarés quelque chose de ce qu’elle a reçu. Il est impossible que le Précieux Sang ne déborde pas, en quel­que sorte, du calice à la sainte messe, pour purifier, un jour ou l’autre, au moins au moment de la mort, ceux de ces égarés qui ne résistent pas aux prévenances divines, aux grâces actuelles prévenantes qui les portent à se con­vertir. Pensons quelquefois à la mort du musulman, à la mort du bouddhiste, ou près de nous à la mort de l’anar­chiste qui a été peut-être baptisé dans son enfance ; ils ont tous une âme immortelle, pour laquelle le Cœur de Notre­-Seigneur a donné tout son sang.


Rome, Angelico.


Fr. Rég. Garrigou-Lagrange, O.P.


  1. « Pertinet ad rationem boni, ut se aliis comrnunicet. Unde ad ratio­nem summi boni pertinet, quod summo modo se creaturae communicet » (IIIa, q.1, a.1). « Secundum diversitatem naturarum, diversus ema­nationis modus invenitur in rebus, et quanto aliqua natura est altior, tanto id quod ex ea emanat magis est intimum » (C. Gentes, 1. IV, ch. xr, initio).
  2. IIIa, q. 1, a. 1 : Utrum conveniens fuerit Deum incarnari (c'est la question de la possibilité et de la convenance de l'Incarnation, mais encore celle de son motif, dont il est parlé aux articles 2 et 3). - Saint Thomas répond : « Unicuique rei conveniens est illud, quod competit sibi secundum rationem propriae naturae, sicut homini conveniens est ratiocinari... Ipsa autem natura Dei est essentia bonitatis... Pertinet autem ad rationem boni ut se aliiscommunicet... Unde ad rationem summi boni pertinet quod summo modo se creaturae communicet, quod quidem maxime fit per hoc, quod naturam creatam sic sibi conjugit, ut una persona fiat ex tribus, Verbo, anima et carne, sicut dicit Augustinus in 1. XIII de Trinitate, c. 17. Unde manifestum est, quod conveniens fuit Deum incarnari. »
  3. Cf. Saint Thomas, IIIa, q. 1, a, 2 : « Deus per suam omnipotentem virtutem, poterat humanam naturam multis aliis modis reparare. »
  4. De Trinitate, 1. IV, c.XIV.
  5. De Eucharistia, dist. V, c. 3 (Opera omnia, ed. Borgnet, 1899, t. XXXVIII, p. 347)
  6. IIIa, q. 48, a. 3.
  7. Hymne des premières vêpres de la fête du Précieux Sang, 1er juillet. - On lit aussi dans l'Office propre du Coeur Eucharisti­que au 3° nocturne, leçon neuvième, ces belles paroles de saint Jean Chrysostome (hom. 46 in Joann.) : « Sanguis Christi regium nobis imprimit characterem, incredibilem parit pulchritudinem, animae nobilitatem conservat, virtutem magnam infundit. Digne receptus doemones procul pellit, angelos vero advocat... Hic sanguis salus animarum nostrarum est : eo abluitur anima, ornatur, incenditur; mens redditur igne splendidior et ad caelum etevatur. » Quelle plé­nitude et quelle richesse dans ces paroles qui coulent de l'abondance du cœur !
  8. Cf'. Saint Thomas, IIIa, q. 65, a.3 : « Sacramentum Eucharistiae est, potissimum omnium aliorum. » Le sacrement de l'Eucharistie est le plus parfait de tous parce qu'il contient non seulement la grâce mais l’Auteur même de la grâce. Et le sacrement de l'ordre doit sa grandeur à ce qu'il est ordonné à la consécration de l’Eucharistie- Cf. ibidem ad 3um.
  9. L'office du Cœur eucharistique indique bien ces différentes manifestations de l'amour du Christ pour nous, qui sont intime­ment liées ensemble.
  10. Cf. S. Thomas, IIIa, q. 8o, a. 12, ad 3 : « Potest a populo corpus sine sanguine sumi. Nec exinde sequitur aliquod detrimentum : quia sacerdos in persona omnium sanguinem offert et sumit, et sub utraque specie totus Christus continetur. »
  11. Les personnes qui voudraient faire célébrer des messes pour la conversion de l'Islam et celle de la Russie peuvent s'adresser pour cela soit au R. P. Joyeux, administrateur délégué de l'assistance morale aux Indigènes du Nord africain, 23, rue des Consuls, Alger, soit au presbytère du Plan d'Aups, par Saint-Zacharie, Var.
  12. C'est ce que dit saint Thomas dans l'Adoro te : « Me immundum munda tuo sanguine, Cujus una stilla salvum facere Totum mundum quit ab omni scelere. » « Purifiez mes souillures par votre sang, dont une seule goutte suffit pour effacer tous les péchés du monde. »
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