Le jeûne catholique d'après la liturgie des premiers jours de carême

De Salve Regina

Vie spirituelle
Auteur : A. de Boissieu, O. P.
Source : In La Vie Spirituelle n°113
Date de publication originale : février 1929

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

Introduction

Ce n'est pas de la nécessité et des bienfaits du jeûne que je veux parler ici, mais de l'esprit dans lequel il faut jeûner pour que cette précieuse pratique d'ascétisme porte tout son fruit. Or la liturgie des premiers jours du Carême, des quatre jours qui précèdent le premier dimanche, con­tient, comme ramassés pour notre instruction, les conseils les plus propres à nous faire bien comprendre l'esprit du jeûne catholique et les dispositions dans lesquelles nous devons entrer dans le saint temps de Carême.

D'abord la raison de la nécessité du jeûne. Tout de suite elle nous est indiquée, par les paroles, tirées du chapitre XI de la Sagesse, qui forment l'introït de la messe du mer­credi : « Vous avez pitié de tous les hommes Seigneur et vous ne haïssez aucune de vos créatures : vous fermez les yeux sur leurs péchés pour les amenez à la pénitence, et vous leur pardonnez. » La raison de notre jeûne, c'est donc que nous sommes pécheurs, que nous devons faire pénitence, que Dieu nous y attend. C'est notre devoir, dont l'Église nous indique et l'époque et le mode.

Mais quelles sont les conditions qui donneront au jeûne sa valeur satisfactoire ? On peut les ramener à quatre.

La sincérité de la pénitence

L'épître du jour des Cendres pose en termes singulièrement forts, empruntés au prophète Joël (ch. II), les qualités d'une pénitence sin­cère : « Voici ce que dit le Seigneur : Revenez à moi de tout votre cœur, avec des jeûnes, avec des larmes et des lamentations. Déchirez vos cœurs, et non vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est miséricordieux et compatissant, lent à la colère et riche en bonté... »

Déchirez vos cœurs et non vos vêtements : c'est le mot qui résume tout. La première condition d'une pénitence sincère, c'est qu'elle soit intérieure, qu'elle mette au cœur une douleur vraie, avec une volonté d'amendement et d'expiation. C'est cette douleur que le graduel et le trait invitent à manifester, les prêtres par leurs larmes, les fidèles de tous les âges par leurs réunions pieuses et l'abs­tention des plaisirs même légitimes, tout en implorant la miséricorde divine : « Seigneur, ne nous traitez pas comme nos péchés nous ont mérité de l'être. »

Pénitence intérieure, mais dont les manifestations publiques elles-mêmes ne doivent pas révéler ce qu'elle a d'afflictif pour le corps : pénitence modeste et sans osten­tation, suivant la recommandation (le l'évangile du même jour : « Lorsque vous jeûnez ne faites pas comme les hypocrites, qui prennent une mine défaite, pour faire voir aux hommes qu'ils jeûnent... Vous, lorsque vous jeûnez, parfumez-vous la tête. Lavez-vous le visage, pour ne pas faire voir aux hommes que vous jeûnez, mais à votre Père qui voit ce qui est » Et l'évangile conclut que c'est au ciel qu'il faut amasser des trésors que rien ne pourra nous enlever (Matth., VI). Or notre trésor est là où nous mettons notre cour : si nous nous attachons à la vanité, au désir de paraître, à la louange des hommes, nous nous faisons une richesse périssable; si nous tournons vers Dieu toutes nos intentions, nous amassons un trésor incorrup­tible. Et quel plus beau trésor que celui venant d'une pénitence cachée aux hommes, visible à Dieu seul?

La prière

Le jeûne a la prière comme compagne habituelle. Le Sauveur nous avertit que le démon ne peut être chassé que par la prière et le jeûne. Les Actes des Apôtres nous montrent les disciples « priant et jeû­nant » dans toutes les circonstances importantes, et l'Évan­gile (Luc, II) parle de la prophétesse Anne comme ne ces­sant jour et nuit, à quatre-vingts ans, de servir au temple en jeûnant et en priant. La messe du jeudi associe les deux actes, en particulier dans la collecte : « O Dieu que le péché offense et que la pénitence apaise, écoutez dans votre bonté les prières et les supplications de votre peu­ple, et daignez détourner de nous les fléaux de votre colère mérités par nos péchés. » Mais surtout, l'épître et l'évangile nous citent deux admirables traits de prière exaucée par Dieu : l'un de l'Ancien Testament (Isaïe, XXXVIII) : la supplication du roi Ezéchias mourant, qui obtient quinze ans de plus à vivre ; l'autre tiré de saint Matthieu (VIII), qui raconte la demande du centurion et la guérison de son serviteur. Pourquoi la liturgie de ce jour cesse-t-elle de parler du jeûne, pour mettre en avant, avec une sorte d'insistance, le devoir de la prière? Seigneur, exaucez ma supplication, ne la dédaignez pas : regardez­-moi, exaucez-moi (introït) - Seigneur, j'ai élevé mon âme vers vous : mon Dieu, j'ai confiance en vous (offer­toire). C'est parce que ma prière est nécessaire pour garder au jeûne son intention surnaturelle : celui qui fait péni­tence sans y ajouter une humble prière, et très constante, risque de se complaire lui-même et de tomber dans l'orgueil; les exemples sait innombrables de grands péni­tents qui, faute de prier, n'ont pas su rester dans l'hu­milité.

Les bonnes œuvres

La prière, dit saint Augustin, a deux ailes qui la font voler tout droit au ciel : le jeûne et l'aumône. L'épître du vendredi nous révèle l'insuffi­sance du jeûne qui n'est pas accompagné de bonnes œuvres; elle est tirée du chapitre LVII d'Isaïe, et voici les paroles que le prophète met dans la bouche de Jéhovah répondant à son peuple qui se plaint de n'être pas exaucé malgré ses jeûnes : « Le jeûne que j'aime consiste à déta­cher les chaînes injustes, à délier les nœuds du joug, à renvoyer libres les opprimés ... à rompre ton pain à celui qui a faim, à recueillir chez toi les malheureux sans asile, à couvrir un homme que tu vois nu. » - Et l'évangile, confirmant ces conseils, rappelle que les vrais enfants du Père qui est aux cieux doivent surpasser en vertu et en bonnes oeuvres les publicains et les incroyants, et tendre à être parfaits comme le Père l'est lui-même, en aimant jusqu'à leurs ennemis, en leur rendant le bien pour le mal, en priant pour leurs persécuteurs (Matth., V). « Vou­lez-vous, dit saint Cyrille d'Alexandrie, présenter à Jésus-­Christ un jeûne véritable, un jeûne pur ? Regardez d'un oeil favorable ceux qui luttent contre la pauvreté. » L'au­mône doit être, elle aussi, une compagne très fidèle du jeûne. Jeûnez, priez, donnez, et vous aurez parfaitement employé votre Carême.

S'abstenir du péché

Lorsque le prophète nous conseille de déchirer nos cœurs, il veut dire que la péni­tence doit tendre à détruire ce qu'elle déteste, le péché, et par suite à nous faire un cœur nouveau : cor mundum crea in me, Deus. L'épître du samedi est la suite de celle de la veille, et elle ajoute au conseil de pratiquer les bonnes œuvres celui de cesser de mal faire. « Si tu t'abs­tiens de faire peser ton joug, et du geste menaçant, et des discours injurieux,... et de fouler aux pieds le sabbat en t'occupant de tes affaires en mon saint jour... et de ne suivre que tes voies et ta volonté..., alors tu trouveras tes délices dans le Seigneur. » La destruction de nos vices, l'amendement de notre vie, c'est là la grande affaire du Carême : le jeûne corporel n'est qu'un moyen, commandé, donc obligatoire ; mais il faut d'abord jeûner du péché, faire abstinence de ses fautes habituelles, redresser sa volonté mauvaise, engager, avec l'aide de Dieu, une lutte acharnée contre l'esclavage du mal, contre la paresse, contre l'indifférence spirituelle, contre la sensualité, cou­tre tout ce qui nous entraîne à offenser Dieu, contre nous-mêmes. Suivant les termes de la Préface : que le jeûne corporel réprime nos vices, élève notre âme, accroisse notre vertu.

J'ajoute un mot à ces considérations. Le jeûne, au dire de tous les médecins, est excellent pour la santé. La col­lecte de ce samedi le remarque : « Seigneur, écoutez nos supplications, et accordez-nous de célébrer avec une dévotion sincère ce jeûne solennel, si sagement institué pour la guérison des Âmes et des corps. » Et l'évangile nous dit la multitude des guérisons qu'opérait Notre ­Seigneur sur quiconque l'approchait ou touchait seule­ment la frange de sa tunique. Jeûnez donc, priez, multi­pliez les bonnes œuvres, cesser de pécher, et au jour de vos Pâques, vous vous approcherez de Jésus-Christ, et vous serez guéris. Amen

Juvisy.

A. de Boissieu, O. P.

Outils personnels
Récemment sur Salve Regina