Le mouvement liturgique

De Salve Regina

La réforme de 1969
Auteur : Abbé Didier Bonneterre
Date de publication originale : 1980

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen
Remarque particulière : Cet article est composé des quatre premiers chapitres (sur sept) d’un livre publié en 1980 aux éditions Fideliter. Quelques expressions ont été revues, ainsi que quelques passages inutiles à la compréhension. Il importe de signaler que certains jugements et perspectives datent d’un contexte qui a légèrement évolué. Le lecteur appréciera.

Le mouvement liturgique

I. Des origines jusqu’à 1920

Nous définirons le « Mouvement liturgique » comme « le renouveau de ferveur du clergé et des fidèles pour la liturgie »[1]. Ce renouveau a pour principal auteur un moine bénédictin justement célèbre : Dom Guéranger.


Au XVIIIème siècle, la liturgie avait cessé d’être une force vitale du catholicisme. La liturgie, si admirablement restaurée par saint Pie V[2], avait subi les assauts répétés du jansénisme et du quiétisme. Les disciples de Jansénius avaient détaché les fidèles de la pratique des sacrements. Le quiétisme, qui prétendait atteindre Dieu directement, avait détourné les âmes de la liturgie, intermédiaire voulu par l’Eglise entre Dieu et nous. C’est l’époque où le gallicanisme triomphant composait ses liturgies diocésaines dont le seul point de ralliement était le caractère anti-romain. En Allemagne, Febronius, auxiliaire de Trèves, répandait ces idées ; en Italie, c’était le travail de Ricci, évêque de Pistoie, condamné avec son synode par Pie VI dans la bulle « Auctorem Fidei » du 28 août 1794[3].


L’Europe entière sombrait donc dans « l’hérésie anti-liturgique », quand éclata la révolution en France. Le culte catholique fut interdit, et remplacé par celui de la déesse Raison. Le concordat de 1801 rendit l’espoir… mais que d’épreuves pour la liturgie ! Le peuple en avait perdu le goût ; le clergé lui-même n’aimait pas ces cérémonies qu’il ne comprenait plus vraiment… d’autant plus que la restauration du culte avait ramené la multiplicité des liturgies gallicanes.


Mais l’espoir d’une vraie restauration demeurait possible. Déjà Chateaubriand, avec ses ouvrages : « Le génie du Christianisme » et « Les Martyrs », avait révélé aux Français d’alors les merveilles de la liturgie du Moyen Age. Une nouvelle jeunesse était invitée à se pencher sur les manuscrits de l’Antiquité, pour y découvrir des cérémonies dont la liturgie si fragmentée de l’époque ne pouvait donner une idée exacte. Parmi ces jeunes têtes studieuses, il en est une qui émerge, c’est celle de Prosper-Louis-Pascal Guéranger (1805-1875)[4]. Ce n’est pas le lieu de retracer ici la vie du fondateur de la Congrégation Bénédictine de France ; nous nous attacherons seulement à dégager les grandes lignes de son immense activité liturgique, laissant volontairement de côté son œuvre théologique et sa restauration du chant grégorien.


Dans ses « Considérations sur la liturgie catholique », publiées dans le « Mémorial » de 1830, le futur fondateur de Solesmes précisait la double orientation de son travail liturgique.

Tout d’abord, ramener le clergé à la connaissance et à l’amour de la liturgie romaine. A cette fin, il publiera, à partir de 1840, « Les Institutions liturgiques »[5], qui contiennent une attaque serrée contre les liturgies néo-gallicanes et une merveilleuse manifestation de l’ancienneté et des beautés de la liturgie romaine.

D’autre part, Dom Guéranger s’attachera à associer les fidèles à la hiérarchie pendant qu’elle célèbre le Sacrifice, administre les sacrements et célèbre l’Office. Pour cela, il publiera, à partir de 1841, une traduction commentée des textes liturgiques répartis au cours de l’année liturgique c’est sa célèbre « Année liturgique ». « L’année liturgique de Dom Guéranger, écrit Dom Festugière, est tout simplement une merveille pour révéler à tous les genres d’âmes, quel que soit le degré de leur instruction, les richesses spirituelles que contient la liturgie. Cette faculté d’adaptation d’un même ouvrage constitue un fait très remarquable. L’Imitation de Jésus-Christ est loin de la posséder au même degré. L’explication ? Mais c’est le tempérament de la liturgie elle-même, que l’Abbé de Solesmes avait complètement pénétré. L’Année liturgique participe à quelque chose qui n’est pas sorti de la main des hommes »[6].


Entre-temps, Dom Guéranger avait fondé Solesmes et sa Congrégation qui pourraient continuer son œuvre. Œuvre couronnée de succès, puisque, avant de mourir en 1875, il eut la consolation de constater que tous les diocèses français étaient revenus au rite romain, et que, déjà, la piété liturgique refleurissait parmi le clergé et les fidèles.


Pour Dom Guéranger, la liturgie est, avant tout, Confession, Prière et Louange, bien plus qu’enseignement[7]. « Dom Guéranger, écrit Dom Froger, redécouvrit donc la liturgie. Il discerna sans hésitation ce qui en est l’essence : culte public par lequel l’Eglise, sous la motion du Saint-Esprit qui l’anime et prie en elle « avec des gémissements inénarrables », chanta à Dieu sa foi, son espérance et sa charité.

« Sans méconnaître le moins du monde la valeur formatrice et éducatrice de cette prière pour les fidèles qui l’exercent, Dom Guéranger considérait très justement que la liturgie, étant sacrifice spirituel, a pour fin suprême la louange, et qu’elle chante la gloire de Dieu de façon désintéressée et dans l’oubli de soi. Avant tout, expression de sentiments de foi, de confiance, d’amour, de joie, d’espoir, etc., la liturgie ne peut que recourir au chant, à la musique, à la poésie, comme au seul langage qui soit capable de traduire ses transports et « sa sobre ivresse ». Ainsi la liturgie est-elle lyrique bien plus que didactique »[8]. La liturgie, pour l’Abbé de Solesmes, est essentiellement théocentrique. Dom Delatte pouvait écrire : « Encore l’œuvre de sanctification et d’éducation surnaturelle qu’elle accomplit au cours du temps dans les âmes qui se confient à ses mains, se rapporte-t-elle comme à son terme à l’œuvre de glorification et d’adoration qu’elle remplit envers Dieu. Les âmes se sanctifient afin d’entrer plus profondément dans les conditions de cet esprit et de cette vérité où elles doivent adorer Dieu ; les âmes s’élèvent pour que le culte qu’elles rendent à Dieu soit moins indigne de lui ; leur éducation surnaturelle se poursuit dans le temps pour qu’elles puissent sans fin glorifier et louer Dieu durant l’éternité. C’est à Dieu comme terme et à sa gloire, qu’aboutit finalement tout l’ordre des choses »[9].


A la même époque, au Mesnil-Saint-Loup, le Père Emmanuel travaillait à restaurer la vie liturgique dans sa paroisse. « Là, dans ce cadre exigu où toute sa vie s’est écoulée, – écrit Dom Bernard Maréchaux, – il a si bien fondu ensemble l’enseignement de la foi et celui de la liturgie, que les gens du pays ne croiraient pas être de vrais chrétiens, s’ils ne cherchaient à comprendre les textes liturgiques pour mieux prier et pour honorer Dieu d’une louange plus parfaite… Ce phénomène de vie chrétienne et liturgique dure depuis plus de cinquante ans, sans faiblir. Ce n’est pas un feu de paille. Il démontre ces deux points de très haute importance : que les simples fidèles, par la grâce de leur baptême, sont aptes à goûter la prière liturgique ; et que les affectionner en esprit de foi à cette prière, est le plus efficace moyen, sinon le seul moyen, d’empêcher la désertion des églises. Le Père Emmanuel, qui a mis en lumière ces vérités, qui a résolu pratiquement un problème d’intérêt si palpitant, ne mérite-t-il pas que son nom figure à côté de celui de Dom Guéranger ? »[10].


Pour notre part, nous n’hésitons pas à donner une place à l’humble moine non loin du célèbre Abbé. Le Père Emmanuel a été, en effet, le premier à mettre en pratique les principes de Dom Guéranger ; et ils méritent bien tous les deux d’être regardés comme les deux « co-principes » du « Mouvement liturgique », c’est-à-dire, du renouveau de ferveur du clergé et des fidèles pour la liturgie.


Né de pères bénédictins, le « Mouvement liturgique » verra pour longtemps son histoire liée à celle de l’Ordre de saint Benoît. Le « Mouvement » né avec la Congrégation de France allait se développer avec elle, et rapidement s’étendre au delà des frontières françaises.


Tandis que Dom Mocquereau (+ 1930), Dom Pothier (+ 1923) et Dom Cagin (+ 1923) continuaient dans la maison-mère l’œuvre du fondateur, Solesmes lançait ses premières fondations. Ce fut d’abord Beuron en 1863, qui fonda ensuite lui-même Maredsous en 1872, puis le Mont-César en 1899, pendant que Dom Guépin partait en Espagne restaurer Silos en 1880.

En France, l’expulsion des religieux allait, pour un temps, déplacer le centre de gravité du « Mouvement liturgique ». Le Centre n’en serait plus la France, mais la Belgique. Déjà en 1882 Dom Gérard van Caloen, moine de Maredsous, et futur évêque de Phocée, publie « Le Missel des fidèles » en latin et français, suivi plus tard du « Petit Missel des fidèles », qui obtiennent un beau succès. En 1884, il fonde le « Messager des fidèles », qui se transforme en 1890 en la savante « Revue bénédictine ». En 1889, au Congrès eucharistique de Liège, il présente une thèse osée pour l’époque : la communion des fidèles durant la messe. En 1898, une seconde revue est fondée dans la même abbaye de Maredsous, « Le Messager de saint Benoît », qui, en 1911, s’occupe plus spécialement de liturgie sous le titre de « Revue liturgique et monastique ».


Mais avant de continuer notre étude du « Mouvement liturgique » belge, il nous faut nous tourner vers Rome, où, en 1903, vient de monter sur le siège de Pierre celui qui devait donner au « Mouvement » une impulsion définitive, saint Pie X. Doué d’une expérience pastorale immense, ce saint pape a terriblement souffert de la décadence de la vie liturgique. Mais il sait qu’un courant de renouveau est en train de se développer, et il est décidé à tout faire pour qu’il porte des fruits. C’est pourquoi, dès le 22 novembre 1903, il écrit son célèbre motu proprio « Tra le sollecitudini », par lequel il restaure le chant liturgique. Dans ce document, il insère la phrase capitale qui va maintenant jouer un rôle déterminant dans l’évolution du « Mouvement liturgique ». « Notre plus vif désir étant que le véritable esprit chrétien refleurisse de toute façon et se maintienne chez tous les fidèles, il est nécessaire de pourvoir, avant tout, à la sainteté, à la dignité du temple où les fidèles se réunissent précisément pour y trouver cet esprit à sa source première et indispensable, à savoir : la participation active aux Mystères sacrosaints et à la prière publique et solennelle de l’Eglise. »


Saint Pie X n’est pas un velléitaire, et il réalise énergiquement son programme de renouveau liturgique. Citons pour mémoire : L’invitation à la communion fréquente et à la communion des enfants, par les décrets « Sacra Tridentina » du 20 décembre 1905, et « Quam singulari » du 8 août 1910 ; Lettre du 14 juin 1905 au Card. Respighi, dans laquelle il demande que le catéchisme soit complété par une introduction sur les fêtes liturgiques ; la bulle « Divino afflatu » du 11, novembre 1911, par laquelle ce pape de génie réforme le bréviaire, « solution qui restaure l’office du temps, - écrit Mgr Batiffol, - sans diminuer en rien l’office des saints solution osée, élégante et, avec l’aide de Dieu, définitive »[11]. Saint Pie X, en désignant « la participation active aux mystères sacro-saints » comme « la source première et indispensable du véritable esprit chrétien », a donné une nouvelle impulsion au renouveau de ferveur liturgique. Saint Pie X a même constitué une Commission de réforme du missel en 1912, mais devant les tendances destructrices déjà manifestées par quelques experts il dissout cette commission. Pour saint Pie X comme pour Dom Guéranger, la liturgie est essentiellement théocentrique, elle est culte avant d’être enseignement des fidèles ; cependant ce grand pasteur a souligné un aspect important de la liturgie : elle est éducatrice du véritable esprit chrétien. Mais, redisons-le, cette fonction de la liturgie n’est que seconde.


C’est à Dom Lambert Beauduin (1873-1960), que revient le mérite d’avoir compris tout le parti qu’il y avait à tirer de l’enseignement de saint Pie X. Hélas, ce moine n’a pas su garder toute sa vie cette hiérarchie des fins de la liturgie.

Dom Lambert Beauduin, d’abord prêtre du diocèse de Liège, « missionnaire du travail » sous Léon XIII, entra en 1906, à l’âge de 33 ans, à l’abbaye du Mont-César que les moines de Maredsous avaient fondée à Louvain peu d’années auparavant (1899). Son esprit, orienté vers les problèmes de l’apostolat et de la pastorale par son activité antérieure dans le clergé séculier, envisagea la liturgie sous l’angle des préoccupations qui lui étaient habituelles, et très vite il « découvrit » dans la liturgie, à la suite de saint Pie X, un merveilleux moyen de former les fidèles à la vie chrétienne. Dès 1909, il inaugura au Mont-César un « Mouvement liturgique » qui connut tout de suite un immense succès.


Voyons-en rapidement les étapes. C’est tout d’abord le Congrès catholique de Malines en 1909 : le Card. Mercier y soutient de toute son autorité le programme de Dom Beauduin. Quatre objectifs sont fixés : 1) Traduire le missel romain, faire de ce livre le premier livre de dévotion des fidèles. Populariser au moins la messe et les vêpres du dimanche. 2) Effort pour rendre la piété plus liturgique, communion dans la messe. 3) Développement du chant grégorien, conformément au désir du pape. 4) Encourager les membres des chorales à faire des retraites dans un centre de vie liturgique Abbayes bénédictines.

Une fois ces objectifs précisés, et fortement encouragé par l’épiscopat belge, Dom Beauduin va travailler à gagner à sa cause les prêtres, et plus particulièrement les curés de paroisse. A cette fin, il lance deux revues qui connaissent un immense succès (70.000 abonnés en quelques mois), « Questions liturgiques et paroissiales » et « Semaines liturgiques ». Enfin, pour bien expliquer sa conception du « Mouvement liturgique », il publie en 1914 un fascicule demeuré célèbre : « La piété liturgique ; principes et faits ».

Mais laissons la parole à Dom Froger, dans son magistral article : « L’action de Dom Lambert Beauduin n’eut pas seulement pour effet de donner une impulsion nouvelle au mouvement suscité par Dom Guéranger ; elle aboutit aussi à faire apparaître la liturgie sous un nouveau jour. Le point de vue de Dom L. Beauduin n’est plus tout à fait, comme celui de Dom Guéranger, celui de la prière contemplative, d’un lyrisme désintéressé qui chante son amour sans autre souci que la louange ; cet aspect de la liturgie, Dom L. Beauduin ne le méconnaît pas, mais il préfère mettre l’accent sur son aspect didactique ; il considère plutôt la liturgie dans son action sur les âmes que dans son rôle de sanctification. » Et Dom Froger tire plus loin la conclusion de son analyse : « Il ne s’agit donc plus tout à fait de liturgie, mais plutôt de pastorale liturgique. »


Ainsi donc, avec Dom Lambert Beauduin, le « Mouvement liturgique » tend à devenir un « Mouvement de Pastorale liturgique ». Saint Pie X, c’est vrai, avait souligné la valeur éducatrice de la liturgie ; Dom L. Beauduin « tend » à trop insister sur cet aspect. Notons au passage que Dom Festugière est resté fidèle au point de vue tout « théocentrique » de Dom Guéranger. Cependant, soulignons bien qu’à cette époque il ne s’agit chez Dom Beauduin que d’une « tendance » à trop insister sur un aspect vrai de la liturgie. Nous sommes encore infiniment loin de l’inversion des fins de la liturgie que nous rencontrerons dans la suite de l’histoire du « Mouvement liturgique ». Ajoutons avec le R.P. L. Bouyer : « Tel est le trait le plus important du Mouvement liturgique belge : c’est qu’il n’est jamais allé se perdre dans l’archéologisme, et qu’il n’a jamais subi la tentation de s’égarer dans des innovations douteuses »[12]. D’ailleurs, soyons juste avec le « Mouvement belge » et reconnaissons que, si Dom L. Beauduin « tend » à trop souligner l’aspect pastoral de la liturgie, il n’est pas seul en lice : nous avons déjà mentionné Dom Festugière, mais n’oublions pas Dom Gaspar Lefebvre de Saint-André-de-Lophem, Dom Marmion, Dom Flicotteaux, Dom Vandeur, ni Dom Cabrol, de Farnborough, en Angleterre.

Tous ces moines de génie se mettent à l’eeuvre, et les livres de propagande abondent. En premier lieu, on doit citer « La liturgie catholique », long article publié dans la « Revue de philosophie » (France), et dû à la plume du grand philosophe et penseur Dom Festugière, bénédictin de Maredsous. Cet article de 1913 provoque une immense polémique. Dom Festugière développait dans son article la pensée de saint Pie X sur la liturgie, source première et indispensable de la vie spirituelle. Les Jésuites se sentirent – à tort – visés dans cet exposé serein. Le 20 novembre 1913, la revue « Les Etudes » riposta violemment par un article du R.P. Navatel intitulé « L’apostolat liturgique et la piété personnelle ». Le jésuite soutenait pratiquement que la piété pouvait fort bien se passer de la liturgie, et tendait par là à contredire saint Pie X. La réponse du bénédictin fut géniale[13] : « il allait combattre un effort de propagande qui paraissait préjudiciable à la vérité, au bien des âmes et aux intentions du Siège apostolique. (…) à peine le P. Navatel a-t-il, dans son exorde, formé des vœux pour la restauration du sens liturgique parmi les fidèles, adressé des éloges, presque trop copieux, aux fils de saint Benoît qui s’y dévouent, et protesté de son zèle à embrasser des intérêts que la papauté recommande, – que, oubliant ses bonnes dispositions et faisant volte-face, il se met à attaquer, sur presque tous les points, la cause de la prière publique et des rites – , notions fondamentales, histoire, bases sociologiques, valeur comme méthode d’apostolat, aptitude à procurer la sanctification des âmes, – et s’applique, en somme, de son mieux à discréditer ce qu’il appelle l’œuvre des "néo-liturges" ». Dom Festugière s’appuyait donc sur l’autorité de saint Pie X, et il sut, avec talent, montrer la valeur éducatrice et apostolique de la liturgie, en respectant bien sûr le « théocentrisme » du culte liturgique. La guerre mit fin à la controverse, et, une fois les esprits calmés, le P. Peeters, S.J. sut montrer qu’il n’y avait aucun antagonisme entre la spiritualité ignatienne et la liturgie[14]. Cette querelle eut le mérite de faire connaître de tout le monde le « Mouvement liturgique » et de répandre à travers le monde entier ce « renouveau de ferveur pour la liturgie ».


En FRANCE : Curés et séminaristes vont prendre part dans les monastères bénédictins belges aux Semaines et aux Retraites liturgiques et reviennent animés du désir de restaurer la liturgie dans leurs églises. Cette restauration s’effectue surtout durant les tristes heures de la guerre et, chose étonnante, dans la partie envahie de la France. Dom Lefebvre et Mgr Charost multiplient les manifestations à Lille, Roubaix et Tourcoing. Le vicaire général Leconte, le Ch. Dehove, Dom Lefebvre, l’abbé Bayard publient une revue, « La voix de l’Eglise », qui devient « La revue pratique de liturgie et de musique sacrée ». Plus loin du front de bataille, les associations liturgiques se multiplient : « Les amis des cathédrales », « Les amis du grégorien », etc. Mgr Batiffol donne à l’Institut catholique de Paris des conférences sur la messe[15]. L’abbé Harscouët, futur évêque de Chartres, publie d’intéressantes études sur « Les Messes du Carême », les « Messes des QuatreTemps », puis sur les « Messes du Temps Pascal »[16]. Dom Gréa (+ 1917) écrit « La Sainte Liturgie »[17], puis il présente par une Préface « Le Bréviaire Romain » traduit en français par le carmel de Bruges. Dom Besse (+ 1920), apôtre ardent et passionné de la liturgie, mène le bon combat avec la revue « La vie et les Arts liturgiques », qui disparut peu après lui.


La paix revenue, le « Mouvement liturgique » prit un développement plus grand encore. Qu’il nous suffise de citer la Semaine liturgique de Rouen, les Journées liturgiques et grégoriennes de Tournus, les Journées grégoriennes de Lourdes (1920) activement dirigées par Dom Lucien David, et surtout le Congrès général de musique sacrée de Tourcoing (1919), vrai triomphe de la liturgie, consacré par la présence du Card. Dubois et de plusieurs évêques et abbés mitrés. Puis eut lieu le Congrès de Strasbourg où se forma l’« Association française de sainte Cécile », présidé par le Nonce de Paris ; ce congrès émet entre autres veeux les suivants : enseignement de la liturgie et du chant grégorien, communion des fidèles au moment du Sacrifice, association des fidèles à la messe par la lecture du texte, etc. En décembre 1922, on tient à Paris un Congrès de chant grégorien et de musique religieuse, ceuvre du Card. Dubois et des moines de Solesmes revenus dans leur pays natal après de longues années d’exil. En 1924, le Card. Dubois fonde à Paris un Institut Grégorien ; dans une lettre du 11 avril, Pie XI lui manifeste « sa vive satisfaction ». Quel immense renouveau produit en moins de vingt ans !


A cette époque, la HOLLANDE est un des pays les mieux organisés au point de vue liturgique. Chaque diocèse a sa société liturgique, commission d’ecclésiastiques chargés officiellement par l’évêque de promouvoir le « Mouvement liturgique » dans le diocèse. Ces sociétés bien organisées se réunissent en une Fédération nationale douée de statuts approuvés par l’épiscopat dès 1915, dotée d’une revue, « Maandschrift voor Liturgie », qui a plus de 5.000 abonnés. De 1914 à 1919, cette fédération a distribué 209.070 imprimés de propagande liturgique. Là aussi, quel zèle !


En ALLEMAGNE, le centre du « Mouvement liturgique » est le monastère bénédictin de Maria-Laach. Là se font périodiquement des Semaines liturgiques organisées d’une façon pratique pour les différentes classes de la société. Les moines Multiplient les conférences à travers toute l’Allemagne. Une collection d’ouvrages : « Ecclesia orans » vient compléter l’enseignement oral. Reck publie le « Missel médité » ; Dom Schott publie en 1921 un missel en langue vulgaire. D’autres abbayes bénédictines, comme Saint-Joseph en Westphalie, Ettel en Bavière, Beuron dans le Hohenzollern sont aussi des centres très actifs du « Mouvement liturgique ». Déjà, à cette époque, nous rencontrons des noms que nous retrouverons plus tard, Dom Odon Casel, Dom Pius Parsch, augustin de Klosterneuburg, Romano Guardini, séculier. Bien sûr, vers 1920, les écrits de ces auteurs demeurent modérés, mais cela ne durera pas longtemps… C’est en Allemagne que le « Mouvement liturgique » va connaître ses premières et peut-être ses plus graves déviations.


En ITALIE, l’expansion du « renouveau » date de 1913. Cette année, deux retraites liturgiques sont prêchées pour le clergé dans le diocèse d’Aoste par Dom Beauduin et Dom Besse. Leurs instructions sont complétées par une lettre pastorale de Mgr Tasco qui exhorte tous les fidèles à prendre une part active à la célébration de la liturgie. En 1921, le Card. Lafontaine, Patriarche de Venise, organise dans sa ville les Stations quadragésimales à l’imitation des anciennes stations à Rome. En septembre 1920, on organise dans l’abbaye bénédictine de Cava un Cours de Liturgie sacrée ; Sa Sainteté Benoit XV envoie un télégramme pour encourager et bénir les prêtres qui fréquentent ce cours. En même temps se tient à Turin le XIIe Congrès national de l’Association italienne de Musique sacrée. Le Card. Gasparri écrit aux congressistes que l’Auguste Pontife « fait des vœux ardents pour que les fidèles participent plus largement et plus activement à la liturgie ». Pour la première fois, Sa Sainteté Pie XI dialogue avec la foule à la messe de minuit à Saint-Pierre, au Congrès eucharistique de Rome de 1922. La messe dialoguée était en effet le cheval de bataille du « Mouvement liturgique » d’alors. Nous verrons bientôt ce qu’il faut en penser. Le « Mouvement » italien a comme organes de propagande la « Rivista liturgica » des bénédictins de Padoue et de Gênes, le « Bollettino liturgico » du Rme Dom Caronti de Parme, « l’Ambrosius » de Milan. N’oublions pas les célèbres missels de Dom Caronti et de Dom Battisti. En 1919, le Card. Schuster écrit son célèbre « Liber Sacramentorum », profonde étude de l’année liturgique[18]. Le « renouveau de ferveur pour la liturgie » en Italie, béni par les papes et par d’éminents cardinaux, connaît donc un immense succès, et ce n’est que tardivement qu’il déviera de ses premières orientations.


En ESPAGNE, les foyers du « Renouveau » sont les deux abbayes de Montserrat et de Silos. Montserrat publie la « Revista Montserratina », et organise en 1915 un immense Congrès au succès retentissant. Béni par Benoit XV, encouragé par l’adhésion du Nonce apostolique et des Cardinaux Serafini O.S.B., Billot S.J., Gasquet O.S.B. et de nombreux évêques, spécialement rehaussé par la présence de 2.000 congressistes dont 300 prêtres, ce Congrès émet comme vceux : d’associer intimement les fidèles à la liturgie sacrée, de vulgariser les livres liturgiques, etc. Dom Prado, Dom Gubianas publient des missels, pendant que le missel quotidien de Dom Lefebvre est traduit en espagnol. Le « Mouvement liturgique » espagnol était donc plein de promesses, mais, comme nous le verrons, il fut « sabré » par la révolution, et lorsqu’il se relèvera ce sera pour subir les contrecoups des déviations allemandes et françaises.


Aux ETATS-UNIS, le « Mouvement liturgique » s’attache surtout à la formation des enfants. En juin 1920, c’est le Congrès international de chant grégorien de New York : la finesse y est chantée par un chœur de 4.000 enfants des 47 écoles catholiques de la ville. A cette époque, 500.000 enfants apprennent le chant grégorien dans les écoles catholiques. De nombreuses publications liturgiques nourrissent la piété des fidèles : « The Roman Missal » de Dom Cabrol ; « The Sunday Missal » du Rev. F.X. Lasance ; « The daily Missal » de Dom Lefebvre. « Liturgia » du même auteur est traduit sous le titre « The Catholic Liturgy ». En 1921, Dom Michel, O.S.B., publie « My Sacrifice and yours », le Rev. Hoffman, O.S.B., « Liturgical Dictionary », les religieuses dominicaines de Marywood (Michigan) cinq brochures, « With Mother Church », destinées à l’enseignement de la liturgie dans les classes, etc. Comme nous le verrons dans la suite de cette étude, le « Mouvement » américain était très bien parti, et il ne déviera que sous la poussée des « Mouvements » allemand et français, mais il faudra attendre pour cela les années qui ont suivi la dernière guerre.


Ce rapide tour d’horizon du « Mouvement liturgique » à travers le monde dans les années qui ont précédé ou suivi la guerre de 1914-1918 nous a permis de constater sa prodigieuse expansion. Né du génie de Dom Guéranger et de l’énergie indomptable de saint Pie X, ce courant a porté à cette époque des fruits magnifiques de renouveau spirituel. Cependant, il ne faut pas se leurrer, le caractère « Apostolat » de la liturgie que Dom Beauduin « tend » à trop accentuer va devenir, dans la suite, de plus en plus envahissant. Et ce sera la grande tentation du « Mouvement » : faire de la liturgie un moyen d’apostolat, avant tout ; faire plier la liturgie aux exigences de l’apostolat. Le noeud du drame est là. Comme nous le verrons, c’est faute d’avoir su résister à cette tentation que cette œuvre magnifique s’est effondrée et qu’elle a entraîné dans sa chute presque tout l’édifice de l’Eglise.


II. L’entre-deux-Guerres

Nous avons exposé dans notre premier chapitre les origines du « Mouvement liturgique ». Né du génie de Dom Guéranger, de la volonté de saint Pie X, et du zèle de Dom Beauduin, ce « renouveau de ferveur pour la liturgie » a connu un développement prodigieux, et produit les fruits magnifiques que nous avons reconnus. Nous avons également souligné les germes précoces de déviations futures que Dom Beauduin avait placés dans les principes mêmes de son « Mouvement ». Mais, poursuivons notre étude… et arrêtonsnous quelque temps sur l’étrange personnalité de Dom Beauduin, père du « Mouvement » belge, avant de nous rendre en Allemagne pour retrouver Dom Casel.

Nous avions laissé le célèbre moine du Mont-César à la veille de la guerre de 1914-1918 : il dirigeait, avec un zèle infatigable, le « Mouvement liturgique » belge. La guerre et une série de rencontres inattendues vont l’entraîner, pour un temps, loin de la liturgie, dans les sphères troubles de l’œcuménisme. Homme de confiance du Cardinal Mercier, qui faisait en général preuve d’un meilleur discernement, Dom Lambert Beauduin joue un rôle capital dans la résistance belge à l’envahisseur allemand. Non seulement il rédige lui-même, presque intégralement, la fameuse lettre pastorale du Cardinal Mercier, appelant la Belgique à la résistance, mais encore il se charge de sa diffusion, mettant à contribution son frère des fameuses sucreries de Tirlemont[19]. Après une série d’aventures rocambolesques, Dom Lambert Beauduin est obligé de se réfugier en Angleterre ; et là, fait capital, il se lie d’amitié avec nombre de personnalités de l’Anglicanisme.


Après l’armistice, Dom Beauduin peut rentrer au Mont-César, où il rencontre Mgr Szepticki[20], chef de l’Eglise uniate, qui lui communique son amour passionné pour l’Orient ainsi que ses conceptions sur la vie monastique. Notre moine, qui se trouvait déjà bien à l’étroit dans son monastère trop « beuronien », trop « guérangéen »[21], c’est-àdire en fait trop conservateur, ou trop catholique, notre moine, dis-je, ne va plus rêver qu’à une nouvelle fondation monastique qui restaurerait la vie des moines venus à l’origine de l’Orient.

Dom Robert de Kerchove, qui estime profondément son moine un peu « remuant », va lui donner la possibilité de « prendre du large ». Et c’est ainsi que Dom Beauduin est envoyé comme professeur au collège Saint-Anselme de Rome[22].


L’Abbé-primat de Saint-Anselme, Dom Fidèle de Stotzingen, moine très conservateur, ne pourra pas maîtriser son nouveau professeur qui enthousiasmera ses élèves pour la cause de l’Orient. Cette passion pour l’Eglise orientale ne fait que croître chez Dom Beauduin avec les rencontres de Cyrille Korolevsky, et surtout du Révérend Père (bientôt Monseigneur) Michel d’Herbigny, S.J.[23].

Ce faisant, Dom Beauduin allait au-devant des désirs connus du nouveau pape qui succédait, en février 1922, à Benoît XV. En effet, Pie XI, dès les premiers temps de son pontificat, montrerait qu’il s’intéressait passionnément à l’Orient : à cette énorme masse de la Russie qui paraissait encore, en ces années suivant la révolution d’octobre, hésiter dans un équilibre instable entre les voies où elle s’engagerait.

Talonné par Mgr d’Herbigny, le bouillant Pie XI allait brusquer les choses : le 21 mars 1924, il envoyait à l’Abbé-primat le bref apostolique « Equidem verba », dans lequel le Souverain Pontife reprenait les grandes idées de Dom Beauduin, sur le rôle capital que jouerait une fondation bénédictine d’un type nouveau sur le rapprochement avec l’Orient.

L’Abbé-primat de Saint-Anselme ne comprenait plus : comment le pape pouvait-il soutenir un moine qu’il jugeait « d’un tempérament fort sanguin, d’une imagination extrêmement vive, qui devenait feu et flamme pour ses projets, presque méprisant pour l’Eglise occidentale, homme fortement porté à l’activité extérieure »[24] ? Dom Fidèle ne comprenait pas que derrière Pie XI il y avait Mgr d’Herbigny et le Cardinal Mercier, qui, à cette époque, était pris d’un vertige d’« unionisme ». 1924 était, en effet, l’année des conférences de Malines…[25].


Dom Beauduin, théologien du Cardinal Mercier, prépara pour ces Conférences un rapport sur « l’Eglise Anglicane unie mais non absorbée ». Il y dévoilait au grand jour ses conceptions plus que douteuses sur l’œcuménisme.

Mais laissons parler le Révérend Père Louis Bouyer, ici bien inspiré : « Non seulement ce rapport contenait des erreurs graves, mais il était en lui-même une erreur plus grave encore. Alors qu’on devait s’efforcer de préciser de part et d’autre où l’on en était exactement, il se plaçait dans l’hypothèse d’une unité dans la foi déjà atteinte. Sur cette base, il dressait un plan qui ne pouvait être que chimérique. L’image d’un patriarcat anglican uni, où la liturgie et le droit canon anglicans, les usages traditionnels de l’anglicanisme seraient sauvegardés, était copiée sur la situation faite en principe aux Eglises orientales unies à Rome. Mais il méconnaissait le fait que rien, ni dans le passé de l’Eglise anglicane, ni dans son présent, ne permettait d’assimiler sa situation à la leur. Mais il y avait pis. Ne pouvant négliger l’existence d’une Eglise catholique en Angleterre, déjà présente côte à côte avec l’Eglise anglicane, c’est de cette Eglise qu’on envisageait tranquillement l’absorption, dans l’hypothèse de l’Eglise anglicane « unie mais non absorbée ». Toutes les conséquences en étaient tirées, jusques et y compris la suppression des sièges épiscopaux créés au XIXe siècle, avec la démission leurs titulaires »[26].


Tout cela ne fut connu que plus tard, vers 1926. Entre-temps, Dom Beauduin devait fonder son monastère, réalisant ainsi les volontés de « Equidem verba ». Pie XI s’impatientait, la Sacrée Congrégation pour l’Eglise Orientale donnait le feu vert.


Dom Beauduin n’attend plus et, en 1925, il fonde le « Monastère de l’Union » à Amay-sur-Meuse, en Belgique. Durant cette même année, il rédige les statuts de la fondation : « Ses moines veulent, en pleine fidélité à l’Eglise romaine, se faire une âme orientale : redécouvrir toutes les richesses propres à l’Orient chrétien et s’en imprégner à fond. Ils veulent se faire une âme aussi catholique que possible, abandonnant tout préjugé particulariste, racial ou national, et notamment bien décidés à tout mettre en œuvre, autant qu’il dépend d’eux, selon ce que les mêmes pontifes ont dit et répété, pour que catholicisme ne puisse plus être confondu avec latinisme.

Moyens employés : initiation à la prière liturgique orientale ; étude approfondie de l’Orient ; attention donnée au rapprochement en cours entre orthodoxes et anglicans ; large hospitalité accordée à tous ceux, catholiques ou non, que le problème préoccupe ; fondations prévues en Orient, pour faire sur place la preuve de la possibilité de réaliser un catholicisme pleinement catholique en même temps que pleinement oriental. Dom Beauduin va jusqu’à envisager la possibilité de nouveaux développements dans l’Eglise, même doctrinaux, qui permettraient aux non-catholiques de mieux saisir, et par conséquent d’accepter plus facilement, la présentation officielle de sa doctrine, présentation sans doute exacte en soi, mais qui peut rester encore incomplète, insuffisante »[27].


Notre lecteur croit peut-être que nous nous égarons de notre sujet, avec ces considérations sur l’œcuménisme de Dom Beauduin. Au contraire, nous y sommes en plein. Notre moine va bientôt, sans l’avouer, faire passer ses conceptions œcuméniques dans le « Mouvement liturgique » ; il va travailler, et ses successeurs encore plus que lui, à adapter notre liturgie aux nécessités de l’apostolat, mieux encore aux urgences de « l’union des Eglises ». Notre lecteur aura aussi remarqué combien ce langage ressemble à celui de Jean XXIII et de Vatican II. Ce n’est pas le fruit du hasard ; en 1924, Dom Beauduin venait de lier une amitié fidèle avec Mgr Roncalli, qui était tombé dans la diplomatie après avoir perdu, sur un soupçon de modernisme, sa chaire d’enseignement à l’Athénée du Latran. Le futur Jean XXIII devait être un des premiers et des plus fidèles sympathisants d’Amay. Elu pape, ne déclara-t-il pas un jour en propres termes : « La méthode de Dom Lambert Beauduin est la bonne »[28] ?


« La méthode de Dom Lambert Beauduin est la bonne », ce n’est pas ce que pensait le Cardinal Merry del Val, le secrétaire d’Etat de saint Pie X, alors préfet du Saint-Office. Le « Monastère de l’Union » d’Amay avait fondé une revue au titre significatif : « Irenikon »… le nom de l’éditeur ne l’était pas moins : « Duculot ». Cette revue par trop œcuménique ne manqua pas de scandaliser. Le grand Cardinal Mercier, protecteur sans doute inconscient de Dom Beauduin, était mort en 1926. De graves difficultés internes secouaient Amay[29].


Pie XI commençait à se rendre compte qu’il avait trop relâché la bride que saint Pie X tenait si fortement en main… D’où le coup de tonnerre, aux premiers jours de 1928, de l’encyclique « Mortalium animos », véritable charte de l’œcuménisme catholique véritable. Personne ne s’y trompa, c’était bien « l’esprit d’Amay » qui était visé. Une visite canonique, aux résultats assez favorables, suivit au début de 1928.

Dom Beauduin sentit qu’il était visé personnellement, bien plus que son œuvre : il démissionna de sa charge de prieur. Il se retira tout d’abord à Tancrémont, après un voyage à travers l’Orient. Il fut ensuite convoqué à Rome, courant 1929, pour y comparaître devant son ami d’hier, Mgr d’Herbigny, encore en grâce aux yeux du pape : on fit comprendre à Dom Beauduin qu’il ferait bien de cesser de résider habituellement en Belgique : ce fut le séjour à Strasbourg. Au printemps de 1932, nouveau procès à Rome : il fut enjoint à Dom Beauduin de ne plus avoir aucun rapport avec Amay, et de se retirer pour deux ans dans un monastère éloigné : ce fut l’exil à Encalcat.

Sorti de sa retraite, Dom Beauduin fut nommé aumônier des oblates olivétaines, alors à Cormeilles-en-Parisis. Là, il contribua fortement au pourrissement de la congrégation olivétaine[30] et des futurs moines du Bec Hellouin, si versés dans l’œcuménisme avec les anglicans. Peu avant la guerre, Dom Beauduin, déjà âgé, se retirait dans le Berry, à Chalivoy.


Mais laissons le Révérend Père Louis Bouyer nous décrire candidement les activités plus qu’étranges de notre « moine maudit » : « Il tomberait à Bourges sur un vieil archevêque, exégète honorable, qui n’en était pas encore revenu d’avoir traversé lui-même avec si peu de dommages l’époque moderniste. Non seulement l’accueil serait fraternel, mais Dom Beauduin deviendrait une fois de plus le « Missus Dominicus » qui se chargerait de ces missions particulièrement délicates dont l’autorité ne sait ni trop comment les exécuter ellemême ni à qui les confier. Ce qui serait promis à plus d’avenir, c’est que l’archevêque le lancerait dans un ministère de retraites et de récollections sacerdotales, auquel il prendrait un goût de plus en plus vif. Le succès qu’il y aurait devait déboucher dans un des plus importants mouvements de l’après-guerre : le mouvement liturgique et pastoral, qui allait, dès 1942, s’épanouir autour du Centre de pastorale liturgique de Neuilly et de sa revue, " La Maison-Dieu " »[31].


Mais laissons là Dom Lambert Beauduin, nous le retrouverons dans notre prochain chapitre, travaillant avec les dominicains modernistes des Editions du Cerf à inoculer le venin de son œcuménisme chez les fidèles par le moyen de la « Pastorale liturgique ». Parti de la liturgie, l’ancien prieur d’Amay, maintenant de Chevetogne, y retournera, mais non plus pour servir la cause de la Liturgie, comme il l’avait fait en 1909, mais pour la faire servir à la destruction de l’Eglise. « Mouvement œcuménique » et « Mouvement liturgique » ne forment qu’un dans l’esprit de Dom Beauduin.


De son côté, le « Mouvement liturgique belge » que Dom Beauduin avait pratiquement abandonné depuis 1920 allait bien. Il continuait, fidèle à l’impulsion première donnée par saint Pie X. Les éditions de Missels et de travaux liturgiques de grande valeur se succèdent dans ces années 1920-1935. En 1920, Dom Gaspar Lefebvre publie « Liturgia, ses principes fondamentaux »[32] : cet ouvrage peut être considéré comme la charte du « Mouvement liturgique » authentiquement catholique. Le prieur de l’Abbaye de Saint-André y expose clairement le but de l’« Apostolat liturgique ».


« But = Restaurer dans le Christ la société chrétienne en la faisant : 1° Glorifier Dieu par l’exercice, digne et conscient, du culte officiel qui lui est dû ; 2° Se sanctifier elle-même par la participation active à la liturgie qui est, au dire de Pie X, la source première et indispensable du véritable esprit chrétien »[33].

Nous ne pouvons que souscrire à un tel programme. Quel dommage que le « Mouvement liturgique » allemand n’ait pas su garder une aussi bonne orientation !


Allemagne, Pâques 1918 : c’est la création et le lancement dans le grand public cultivé de la collection « Ecclesia orans », par l’Abbé de Maria-Laach, le Révérend Père Dom Ildefons Herwegen. Ramener le peuple allemand, brisé par la guerre, à la piété liturgique, telle était l’ambition de l’Abbé. Plus modestement que Dom Beauduin, il ne parlait pas de « Mouvement liturgique », mais d’« Effort liturgique » ; il ne visait pas à atteindre les masses, comme le « Mouvement » belge, mais à constituer une élite, recrutée dans les nombreux visiteurs des monastères. Quelle était l’orientation de cet « effort » de Maria-Laach ?


Dom Herwegen ne s’en cache pas : il veut dégager la liturgie de toutes les scories dont l’a obscurcie le Moyen Age. Le Moyen Age a encombré la liturgie de ses interprétations fantaisistes, et de développements étrangers à sa nature insistance trop unilatérale sur la présence réelle de la sainte Eucharistie, qui a frayé la route à l’abandon de la liturgie par le protestantisme, et à la défaveur et à la négligence dont finalement elle devait être l’objet dans une si grande partie du catholicisme post-tridentin[34].

Une autre grande idée de l’Abbé est que ce funeste Moyen Age s’est détourné d’un mode objectif de piété vers un mode subjectif. C’est le thème fondamental de son livre « Kirche und Seele » (L’Eglise et l’âme), dans lequel il présente l’opposition entre la piété de l’Eglise et la piété de l’âme comme parallèle à l’opposition entre l’objectivité traditionnelle et le subjectivisme moderne.

Il y a là le double « péché mortel » du « Mouvement liturgique » allemand : un archéologisme effréné qui se traduit par le mépris, non seulement de la liturgie tridentine, mais aussi de la liturgie médiévale, ainsi qu’une tendance à former une piété « collectiviste ». Et nous sommes seulement dans les années 1920-1925 !

Le nom de Dom Herwegen est depuis longtemps oublié, mais pas celui de Dom Odon Casel, moine du même monastère de Maria-Laach, avec sa théorie concernant le « Kultmysterium » (le mystère du culte chrétien). Laissons le Révérend Père Bouyer nous expliquer de quoi il s’agit : « Disons d’un mot le contenu du " mystère ". C’est la réactualisation dans, par et pour l’Eglise, de l’acte de Notre-Seigneur qui a accompli notre salut, c’est-à-dire sa Passion et sa mort dans la plénitude de leur effet ultime : la Résurrection, la communication de la grâce salvatrice à l’humanité et la consommation finale de toutes choses. Dans cette perspective, la propriété centrale de la liturgie, et donc ce qu’il faut saisir avant tout pour la comprendre, c’est le mode unique par lequel l’acte rédempteur du Christ est renouvelé et distribué de façon permanente par l’Eglise. Bien comprendre ce mode, qui est entièrement différent de celui d’une représentation théatrale ou imaginative, ou de toute répétition physiquement réaliste, c’est la clef de l’intelligence de toute la liturgie dont la perte commença pendant le Moyen Age. Et c’est cette clef que la période baroque a si profondément perdue qu’elle n’a plus gardé sous son regard que l’écorce vide de la liturgie, une écorce d’autant plus décorée et surchargée extérieurement que la réalité intérieure tendait à être oubliée »[35].


Résumons ce long texte, en disant avec Wolfgang Waldstein : « Dom Casel nous a fait sortir des impasses des théories Post-tridentines du sacrifice »[36]. En clair, Dom Casel nous a libérés de la XIIème session du Concile de Trente sur le sacrifice de la Messe. Ce précurseur reconnu de l’« Institutio generalis » du Nouvel Ordo Missae pèche aussi gravement par archéologisme : rejetant l’époque baroque comme l’époque médiévale, il voue un amour passionné à l’âge patristique où seulement alors la liturgie avait le sens du « mystère ». Traduit dans l’art, cet archéologisme « casélien » produisit ce faux byzantisme dépourvu d’âme et d’inspiration : providentiellement, ces chefs-d’œuvre ont été détruits par le bombardement américain du Mont-Cassin !


Les réalisations « artistiques » de Maria-Laach ne sont plus, mais ses terribles déviations doctrinales ont pourri l’« effort » liturgique allemand.


Un autre nom célèbre de cet « entre-deux-guerres » allemand : celui de Romano Guardini. Cet Italien transplanté à Mayence dès son enfance fut un des plus brillants universitaires de son temps ; ordonné prêtre en 1911, il enseigne à l’Université de Berlin, dans la chaire de philosophie catholique, à partir de 1922. Ce prêtre séculier jouera un grand rôle dans « l’effort » allemand, non à titre de rubriciste ou d’historien de la liturgie, mais à titre de poète. Considéré par les critiques littéraires comme le « maître de l’intuition psychologique », Guardini va travailler à « amener une intelligence et une sensibilité modernes – il en connaît si bien tous les frémissements, les élans comme les défaillances ! – à la compréhension et à l’amour de la liturgie »[37]. Le style de l’auteur est prodigieusement beau, et le succès de son ouvrage « L’esprit de la liturgie »[38] est retentissant : 26.000 exemplaires vendus de 1918 à 1922. Tout cela semble bien, mais, n’hésitons pas à le dire, la démarche de Guardini « sent le modernisme ». Ce goût pour l’expérience religieuse rappelle l’abbé Brémond. Cette façon de procéder toute intuitive flaire l’immanentisme : « Nous ne possédons pas, nous cherchons…, écrit-il souvent ; nous ne pouvons rien donner ici d’achevé, d’absolument assuré et possédé ; mais des essais, quelquefois de simples tâtonnements et pressentiments »[39].


Robert d’Harcourt écrivait avec justesse : « Il (Guardini) collabore plus qu’il n’enseigne. Jamais rien de péremptoire, de tranchant, de professoral dans le ton. Jamais rien non plus d’arrêté, de fixé… crainte des systématisations, des stabilisations, des durcissements. Partout s’atteste le souci de laisser à la pensée les souplesses, les hésitations essentielles de sa démarche, l’horreur du massif… »[40]. Tel était Romano Guardini, chantre et prophète d’une « mentalité liturgique ». Nous jugerons bientôt, dans les faits, l’arbre à ses fruits.


Mais avant de voir les réalisations concrètes de l’« effort » liturgique allemand, tournons-nous vers un autre de ses « ténors » : Dom Pius Parsch. Ce chanoine augustin de Klosterneuburg (Autriche) va nous apparaître, dès le début, avec une orientation nettement réformiste ; de plus, il lancera dans les pays de langue allemande un vaste « mouvement biblique » qui va profondément influencer le « Mouvement liturgique ».

Mais écoutons Dom Parsch lui-même nous raconter innocemment ses « expériences » liturgiques : « Vers cette époque, Ecrit-il, j’entendis parler d’une Missa Recitata que l’on célébrait dans les milieux d’étudiants. Je résolus de célébrer avec mon cercle la première messe de communauté. Ce fut à l’Ascension de 1922. La veille j’avais réuni les membres du cercle à Sainte-Gertrude, la chapelle qui devait devenir le berceau du mouvement liturgique populaire et j’expliquais les cérémonies et le sens de la messe chantée (nous l’appelions alors messe liturgique). A ce moment-là s’accomplit la séparation des esprits : maints catholiques à l’état d’esprit subjectif se séparèrent de notre cercle. Cette messe chantée était encore très primitive : le Kyrie, le Sanctus et l’Agnus Dei étaient chantés en allemand ; le professeur Goller nous avait composé quelques mélodies chorales assez simples. Les répons, le Gloria, le Credo étaient récités par tous les assistants en chœur. Les leçons et les prières étaient dites par le président. Nous faisions une offrande et même le baiser de paix était indiqué par une poignée de main. Ce fut sans doute la première célébration de la messe dans l’esprit de la liturgie populaire en pays de langue allemande ». Un tel texte se passe de commentaire… Dom Parsch continue « Jusque-là mon activité s’était limitée au petit cercle de la communauté biblique et liturgique de Klosterneuburg. Mais le couvent se trouve aux portes de Vienne et je m’efforçais de transplanter mes idées dans la capitale. Là le terrain était déjà préparé pour la bible et la liturgie… A Vienne commençait déjà un renouveau catholique. Et mes idées liturgiques y trouvaient de l’écho. A présent commencèrent pour moi des idées de véritable travail missionnaire liturgique »[41].

Par la revue « Bibel und Liturgie », Dom Parsch lançait chez les fidèles les idées les plus dangereuses sur les rapports entre la parole de Dieu et la liturgie. « Cet élargissement du but du mouvement liturgique, écrit le Révérend Père L. Bouyer, est un fait de la plus grande signification pour l’histoire de son développement, car l’importance de ce renouveau biblique à l’intérieur du mouvement liturgique dépasse de beaucoup la sphère des méthodes pratiques et implique des présupposés théologiques de la plus grande importance. Il y a une étroite interrelation entre Révélation et liturgie, ou plus exactement entre la parole divine et le culte communautaire de l’Eglise. Comprendre cette interrelation et saisir sa pleine signification est donc un facteur décisif si nous voulons atteindre à une intelligence véritable et renouvelée de la nature de l’Eglise elle-même. Une telle intelligence est certainement le but suprême de tout le mouvement liturgique »[42].


L’analyse du Révérend Père L. Bouyer, lui-même très engagé dans le « Mouvement » français d’après la guerre de 1939-1945, est très pénétrante. La parole de Dieu, considérée comme la révélation immédiate de Dieu au milieu de l’assemblée, va totalement bouleverser la conception de la Messe. La Messe des fidèles va laisser le pas à la Messe des catéchumènes. Dieu sera présent bien plus par sa parole que par son Eucharistie. Les fidèles « assistant à la Messe » vont se transformer en une Assemblée du « Peuple de Dieu », la réunion des croyants au milieu desquels souffle l’Esprit… Nous ne sommes pas loin du pentecôtisme contemporain. Telle est la nouvelle conception de la liturgie, telle est la nouvelle conception de l’Eglise qu’insinue dans les esprits le « Mouvement biblico-liturgique » de Dom Parsch. Et nous sommes dans les années 1925-1930 !


Toutes ces théories hétérodoxes, voire franchement hérétiques, ne sont pas restées longtemps dans le monde des idées pures, mais elles ont été l’âme d’une véritable révolution liturgique dans la jeune Allemagne nazie. Ce fut d’abord un déferlement de messes dialoguées de façon plus ou moins fantaisiste, puis la « grand’messe allemande », sorte de Missa cantata où le célébrant chante sa partie en latin, mais où, au lieu du propre et de l’ordinaire en latin, le chœur et la foule chantent des chants allemands. Les mouvements de jeunesse prirent fait et cause pour le « Mouvement liturgique », ce qui entraîna la multiplication des « expériences » autel face au peuple, emploi de la langue vulgaire, etc.


Le contexte politique précipita les événements : « Depuis 1936, écrit Johann Wagner, l’Eglise d’Allemagne fut privée progressivement, par les autorités de l’Etat et du Parti, de son champ d’action vers l’extérieur. Les activités de l’Eglise, qui s’exercent normalement sur les confins du domaine proprement spirituel, sur le plan social, celui des sports, etc., furent limitées à un seul domaine : celui du culte, la célébration du culte. Tous se précipitèrent sur cette tâche avec ardeur, bonne volonté, et parfois même un peu d’aveuglement. Les abus et les exagérations n’ont pas manqué »[43]. Abus liturgiques tellement effrayants qu’ils faisaient dire à Dom Baumstark de Maria-Laach : « Je ne voudrais pas vivre le jour où le mouvement liturgique atteindra son but »[44].


A cette époque, le reste de l’Europe ne subissait pas encore l’influence du « Mouvement liturgique » allemand, et le « renouveau de ferveur pour la liturgie » s’y propageait sans heurt. Mais en Allemagne, les choses allaient si loin qu’une violente et salutaire réaction éclata, signe avant-coureur, comme nous le verrons, de l’encyclique « Mediator Dei ».


Concluons ce chapitre : L’entre-deux-guerres a vu le développement des plus graves déviations théologiques du « Mouvement liturgique ». Dom Beauduin l’entraîne sur les chemins d’un faux œcuménisme, Maria-Laach le perd dans l’archéologisme, Dom Parsch lie sa cause à celle d’un biblisme judaïsant. A la veille de la deuxième guerre mondiale, les forces modernistes tiennent en main le « Mouvement ». Rome qui, avec saint Pie X, avait si bien brisé l’élan du modernisme théologique, n’a-t-elle pas trop relâché sa surveillance dans ces années 1930-1935, et particulièrement dans le domaine trop peu considéré alors de la liturgie ?


III. La Guerre 1939-1945

L’entre-deux-guerres a vu se développer de graves déviations théologiques au sein du « Mouvement liturgique ». Dom Beauduin l’a entraîné sur les chemins d’un faux œcuménisme, Dom Casel l’a perdu dans l’archéologisme et Dora Parsch a lié sa cause à un « Mouvement biblique » dévoyé. Nous allons retrouver ces personnages travaillant plus que jamais, à l’ombre de la guerre, à leur œuvre de « renouveau de l’Eglise », en fait à sa destruction.


En France, les mauvaises frequentations de dom Beauduin


Les avanies de l’exil avaient conduit Dom Lambert Beauduin jusqu’à Bourges. C’est là, sous la protection de Mgr Fillion, qu’il se livrait à un ministère de « retraites », mais de retraites toutes particulières, ancêtres des recyclages que nous connaissons bien. Mais laissons le R.P. L. Bouyer nous décrire l’atmosphère de ces « récollections » :« Je devais bientôt le revoir, écrit-il de Dom Lambert Beauduin. Cette fois, il commença par m’appeler « Pasteur », tout comme dans un roman d’André Gide, pour me dire « Louis » au bout de cinq minutes et me tutoyer à la bonne liégeoise. Cette seconde rencontre était tout à fait une idée à lui. Il m’avait invité à venir le rejoindre dans un de ces endroits impossibles qu’il avait un flair unique pour dénicher. Il s’agissait d’une espèce de maison de redressement pour ecclésiastiques tombés dans la boisson ou la luxure. Il y connaissait (il avait des amis partout) un des bons pères samaritains de ce curieux établissement. Sûr que personne n’irait l’y repérer, il y donnait de petites retraites – à sa façon – à des prêtres irréprochables, sinon qu’ils étaient, comme il disait lui-même, « dans nos idées », des idées qui n’étaient pas alors aussi bien vues dans la sainte Eglise que depuis qu’elles se sont solidement assises sur la Chaire de Pierre »[45]. Le R.P. Bouyer conclut ainsi son paragraphe : « Je tombai à l’improviste dans une de ces petites orgies intimes d’œcuménisme liturgique. » Ainsi donc, pendant la guerre, Dom Beauduin avait déjà un bon nombre de disciples « dans ses idées ». « Ses retraites un peu canailles », comme il les appelait lui-même, touchaient tout un auditoire de prêtres se réunissant tantôt chez Mgr Fillion, tantôt chez Mgr Harscouet, l’évêque de Chartres qui, d’ordinaire, choisissait mieux ses amis. Qui étaient ces prêtres ? Un grand nombre venait de Paris, autour de Mgr Chevrot[46], d’autres venaient des milieux scouts du R.P. Doncœur, d’autres enfin, et peut-être les plus dangereux, portaient l’habit blanc des dominicains.


I1 y avait donc déjà à Paris tout un clergé d’avant-garde, très affairé dans l’action catholique, qui prisait fort les considérations d’oecuménisme liturgique de Dom Beauduin. Ce clergé groupé autour de Mgr G. Chevrot, l’influent curé de saint François-Xavier, s’occupait aussi beaucoup de la résistance, et fit alors connaissance de nombreux militants du parti communiste devenus soudainement patriotes. L’inIlucnce que jouèrent les maquis sur toute une jeunesse cléricale fut considérable et, dans bien des cas, elle fut loin d’être bénéfique. Toute cette évolution socialisante se fit sous les épiscopats des Cardinaux Verdier et Suhard, dont les qualités dominantes ne furent certainement ni la vigilance ni la lucidité.


La Compagnie de Jésus ne restait pas en arrière du clergé diocésain : depuis déjà plusieurs années, le R.P. Doncœur était l’âme d’un vaste mouvement de scoutisme catholique. Notre lecteur se souvient qu’en Allemagne le « Mouvement liturgique » était véhiculé par les mouvements de jeunesse. I.c Père Doncœur multiplia justement, dans l’entre-deux-guerres, les voyages Outre-Rhin. Dès 1923, « il comprit à Rothenfels que la cause du « Mouvement liturgique » était désormais liée à celle d’un « mouvement de jeunesse »[47]. Dès lors, pour l’aumônier scout, la liturgie deviendra avant tout une pédagogie, une manière incomparable d’éduquer la jeunesse ; l’aspect culturel et théocentrique s’estompera de plus en plus…


Mais laissons parler Melle Baud : « Les jeux peuvent être aussi une excellente préparation au culte, qui lui-même n’apparaît pas aux petits très différent d’un jeu. Que ceci ne nous scandalise point. Le mot jeu n’est pas dans la langue enfantine, et particulièrement en terre scoute, synonyme de divertissement. Le jeu est une action, passionnante dans la mesure même où elle est vraie. Or le culte officiel est éminemment vrai. L’enfant le sent. Il se trouve à l’aise dans cette atmosphère de vérité. Il savoure cette action grave, où tout participe, les âmes et les corps, cette action collective et ordonnée comme un de ces grands sports modernes où la jeunesse moderne trouve sa discipline et parfois sa mystique. Mais le petit cœur fidèle, lui, sent bien que le culte est plus noble que le sport. Le culte est le Grand Jeu, le Jeu sacré, qui se joue pour le Chef des chefs. (…) Dans les troupes, la messe est généralement dialoguée par toute l’assistance. Certaines ont même l’offrande. Les cadets que le Père Doncœur entraîne chaque été sac au dos sur les routes de France ont aussi la messe dialoguée. Groupés autour de l’autel, ils répondent aux prières liturgiques, font à l’offertoire l’offrande des hosties qui seront consacrées pour eux… »[48].

Le Père Duployé avouera plus tard du Père Doncœur « Sans la route des scouts de France qui lui fournit un terrain d’expérimentation approprié à son génie, il n’eût pas été le créateur liturgique qu’il a été »[49]. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que nous rencontrions nombre d’aumôniers scouts dans les « retraites » de Dom Beauduin.


Nous ne sommes pas surpris non plus d’y côtoyer des dominicains qui ont parjuré leur serment anti-moderniste. Ils y font bon ménage avec les jésuites. Une grande fraternité les unissait, depuis qu’ils s’étaient groupés, en 1927, autour du nouveau prophète Jacques Maritain, contre ceux que le grand Dom Besse, lui, vrai apôtre du « renouveau liturgique », appelait « les catholiques de droite »[50]. Les Pères Congar et Chenu ont récemment révélé l’état de pourrissement avancé de l’ordre dominicain et en particulier du Saulchoir dans les années 1930-1940[51].

Citons M. Paul Raynal qui résume bien l’èvolution de l’Ordre : « Après la crise de 1926, – écrit-il, – les éléments traditionnels, au sein de l’ordre, se sont trouvés réduits au silence, et, un homme de grand talent, le Père Chenu, a pu s’emparer librement des esprits des jeunes frères pour leur instiller son virus progressiste : de cette façon, aux environs de l’année 1935, se trouve prêt tout un milieu humain où vont se recruter les équipes nécessaires aux entreprises de détournement. La principale de ces entreprises, qui servira de racine aux autres, est la création des Editions du Cerf à Juvisy par le Père Bernadot ; là devait naître l’hebdomadaire progressiste « Sept », et son successeur « Temps Présent »[52]. Les Editions du Cerf sont fondées en 1932, leur organe est « La vie intellectuelle ». « Sept » date de 1934 ; sa tendance nettement marxiste entraîne sa disparition en août 1937, mais « il renaît de ses cendres » sous le nom de « Temps présent ». Toutes ces révolutions intellectuelles n’étaient pas sans répercussion dans le domaine de la liturgie : « Avant-guerre, le Père Maydieu O.P. célébrait à Notre-Dame, pour « Les amis de Sept », une messe nouveau style, pour laquelle le prêtre faisait face au peuple, et qui était animée en français. Le Père Duployé suivait cela avec une lucidité passionnée »[53].


Ainsi les forces modernistes françaises vont investir le « Mouvement liturgique ». Rien d’étonnant à ce que toute cette « intelligentsia » se retrouve autour de Dom Beauduin. La guerre sera le catalyseur qui fera jaillir de ce bouillon de culture le Centre de Pastorale Liturgique (C.P.L.).


Retraçons rapidement les étapes de la fondation du C.P.L. En 1941, le Père Maydieu publie un album liturgique en liaison avec « Temps Présent » et la J.A.C. En juin 1941, le Père Boisselot, directeur des Ed. du Cerf, lance « Fêtes et saisons ». En 1942, les Editions de l’Abeille, à Lyon, en zone libre, lancent « La Clarté-Dieu », qui sera le premier organe du C.P.L. dans son état embryonnaire. Toujours en zone libre, le Père Duployé, l’âme de toute cette effervescence, se lie au Père Roguet dont les dernières années de l’avant-guerre avaient été consacrées à la liturgie radiophonique. Le Père Roguet traduisait alors les ouvrages de Dom Vonier, et les publiait aux mêmes Editions de l’Abeille. Ces ouvrages influencèrent considérablement l’ecclésiologie ; alors apparut le terme « peuple de Dieu », concept juif, et non chrétien, qui plaisait tant à tous ces néo-liturges. Que notre lecteur se souvienne de Dom Parsch et de sa « Parole de Dieu ». C’est de la réunion du « Peuple de Dieu » et de la « Parole de Dieu » qu’est issue la liturgie néo-judaïsante de ces dernières années[54].


Pendant ce temps, Dom Beauduin multipliait ses « retraites sacerdotales » : La Pierre-qui-vire (1936), Clamart (1937), Paray-le-Monial (1938) ; fréquemment, on le retrouve au Thieulin dans le diocèse de son ami l’évêque de Chartres. « Une nouvelle retraite sacerdotale donnée par lui à Clamart en 1942, produisit une telle impression sur ses participants que, pour en prolonger les effets, Mgr Chevrot organisa des réunions périodiques au cours desquelles on discutait sur l’esprit de la liturgie et sur la pastorale liturgique. Ce groupe de prêtres constitua l’un des noyaux du Centre à sa fondation, à côté d’autres qui, venant d’autres horizons, avaient peut-être d’autres conceptions de la liturgie. Du moins, en apportant au projet dominicain d’un Centre de pastorale liturgique son patronage enthousiaste et souriant, Dom Beauduin lui fournissait aussitôt des adhérents déjà convaincus et expérimentés »[55].


Le 20 mai 1943, se tint aux Editions du Cerf la réunion de fondation du Centre de Pastorale Liturgique ; Dom Beauduin, vieux prophète âgé de soixante-dix ans, présidait. Ce jour fut son triomphe, il voyait là la consécration des idées pour lesquelles il avait combattu près de trente ans. Le primat de la pastorale sur le culte était officialisé.


Ne peut-on pas dire, en reprenant l’expression de saint Pie X, que le C.P.L. est l’« égout collecteur de toutes les hérésies » anti-liturgiques ? En tout cas, il est certain qu’il réunit dans son sein toutes les déviations du « Mouvement liturgique » : inversion des rapports culte-pastorale ; archéologisme ; mépris du « rubricisme » ; primat de la Parole de Dieu ; conception activiste de la participation ; collectivisation des assemblées liturgiques, etc.


Retenons le nom des principaux collaborateurs du C.P.L. à cette époque : Les R.P. Duployé, Roguet, Chenu, Chéry, Maydieu, tous de l’ordre des prêcheurs, bien sûr Dom Beauduin O.S.B., les jésuites Doncœur et Daniélou, sans oublier le P. Louis Bouyer de l’Oratoire, et l’abbé A.G. Martimort de Toulouse. Les éléments les plus conservateurs de ces assemblées étaient le Rdme Père Dom Bernard Capelle et Dom Botte, tous deux de Maredsous[56]. Le monastère bénédictin de Vanves, près de Paris, devient le lieu habituel des réunions de l’association. En octobre 45, c’est la création de la collection « Lex Orandi » qui publia aux Ed. du Cerf nombre d’ouvrages liturgiques dont nous reparlerons. Avant, en janvier 1945, était paru le premier numéro de « La Maison-Dieu », organe officiel du C.P.L. Dom Lambert en écrivit l’éditorial : nous l’étudierons dans notre prochain chapitre ; contentons-nous aujourd’hui d’en donner le titre, il est d’ailleurs tout un programme : « Normes pratiques pour les réformes liturgiques »[57].


Nous concluerons sur un satisfecit du Père Chenu adressé en mars 1945 au C.P.L. : « Il est vrai que j’aime ce que vous êtes en train de faire, comme vous dites – que le Père Congar et moi-même reconnaissons et reconnaîtrons les beaux fruits mûris sur les sauvageons poussés en pétulance vers 1935 »[58]. Que faisaient les autorités ecclésiastiques à cette époque ? Les évêques ignoraient la chose, quand ils ne la bénissaient pas. La terrible guerre 1939-1945 préoccupait trop le SaintSiège pour qu’il pût agir. D’ailleurs était-il informé ? En tout cas le silence de l’épiscopat français ne nous fera que mieux apprécier la courageuse prise de position de Mgr Grôber en Allemagne.


En Allemagne, le conflit éclate entre les conservateurs et le mouvement


Comme nous l’avons déjà dit, le clergé allemand, confiné dans les églises et les sacristies par les nazis, se livrait à une véritable « révolution liturgique » avant la lettre. Une vague de protestations s’éleva dans tous les milieux catholiques. La controverse, d’abord orale, trouva écho dans deux ouvrages : « Irrwege und Umwege der Frömmigkeit » (Erreurs et détours de la piété) de Max Kassipe, et « Sentire cum Ecclesia » de Doerner. Ces livres franchement hostiles au « Mouvement liturgique » allemand poussèrent les dirigeants du « Mouvement » à mettre un peu d’ordre dans leurs affaires. Rome ne supporte pas le désordre… des sanctions étaient imminentes. Il fallait faire vite pour éviter les condamnations romaines. Une assemblée privée, tenue à Fulda en août 1939, désigna comme chef du « Mouvement » l’évêque de Passau, Monseigneur Landesdorfer O.S.B., ses assistants étaient le P. Jungmann et Romano Guardini.


Le comité dirigeant ne perdit pas son temps. La première nécessité était de maîtriser l’ensemble de l’épiscopat allemand. La manœuvre fut habile : « La controverse allant en s’amplifiant, l’épiscopat allemand résolut, lors de l’assemblée des évêques à Fulda en août 1940, de prendre lui-même en main les affaires liturgiques. Comme rapporteurs des questions liturgiques, l’Assemblée désigna, sous l’instigation de Monseigneur Landesdorfer, Monseigneur Stohr, de Mayence (ami intime de Guardini), protecteur de la jeunesse (ainsi vit-on jeunesse et liturgie côte à côte) et Monseigneur Landesdorfer de Passau lui-même[59]. Bien sûr, ce « Liturgisches Referat » s’entoura de spécialistes, « d’experts », de « periti » qui n’étaient autres que les grands meneurs du « Mouvement » allemand. En un an donc, le tour avait été joué, « le cheval de Troie était rentré dans la cité » : l’Assemblée épiscopale allemande était aux mains du « Renouveau ».


C’était compter sans le courage et l’énergie d’un grand évêque, Monseigneur Gröber, archevêque de Fribourg-en-Brisgau. En effet, au milieu de janvier 1943, ce prélat adressa à ses collègues allemands (de la « Grande Allemagne » d’après l’Anschluss) une longue lettre où, d’un ton grave, il énumérait en 17 points les principaux sujets d’inquiétude que lui donnaient les mouvements de jeunes ; certains de ces griefs portaient sur la théologie générale ou l’ecclésiologie ; nous ne retiendrons ici que les passages de sa lettre qui ont le plus de rapport avec la liturgie[60].


Le point n° 1 : la notoire scission spirituelle à l’intérieur du clergé de la grande Allemagne, les uns étant partisans du « Mouvement », les autres lui étant opposés.


Le point n° 5 : « Ce qui m’inquiète, c’est, en même temps qu’une critique radicale et injustifiée de ce qui a été valable jusqu’à présent et de ce qui est apparu au cours de l’histoire, le retour pratique, audacieux et brutal, à des époques et à des normes et à des formes anciennes et très anciennes, en déclarant ouvertement qu’entre-temps s’est produite une " évolution qui serait une déviation ". »

Monseigneur Gröber vise ici, à n’en pas douter, l’archéologisme de Maria-Laach. Notons au passage que Pie XII reprendra ce point particulier et plusieurs autres dans « Mediator Dei » de 1947.


Le point n° 11 : Erreurs graves sur le Corps Mystique de Jésus-Christ. Notons là encore que Pie XII fera écho à l’archevêque de Fribourg par son encyclique « Mystici Corporis » du 29 juin 1943.


Le point n° 13 : On met l’accent de façon excessive sur le sacerdoce général au détriment du sacerdoce ministériel. Eh oui ! déjà ! Monseigneur Gröber avait décidément vu juste.


Le point n° 14 : L’insistance particulière sur la thèse du « sacrifice-repas » et du « repas-sacrifice ». Ainsi donc, en pleine guerre, la théologie luthérienne de l’institutio generalis du N.O.M. se trouvait à l’état diffus dans le « Mouvement liturgique » allemand.


Le point n° 15 : L’excès avec lequel on insiste sur l’élément liturgique. On prétend que seule la liturgie peut constimer une véritable pastorale et on ridiculise les formes précédentes d’apostolat. Dans le même temps, on traite les rubriques de la façon la plus cavalière, se permettant toutes les excentricités.


Le point n° 16 : Les efforts pour rendre obligatoire la messe dialoguée.


Notre lecteur se souvient que la messe dialoguée a été, dès le début, un des chevaux de bataille du « Mouvement liturgique ». Le pape Pie XI l’avait autorisée à partir de 1922, avec l’accord de l’ordinaire du lieu. Dom Gaspar Lefebvre avait publié, en 1923, une apologie de la messe dialoguée dans la savante revue « La vie spirituelle ». En soi, la messe dialoguée n’est pas une mauvaise chose, elle est un moyen de faire participer les fidèles à l’Action sacrée. Mais ce n’est qu’un moyen, il ne faut pas l’imposer comme un remède universel.

C’est ce qu’écrivait Monseigneur Grôber : « Je n’ai pas la moindre objection à faire contre les messes dialoguées comme telles, tant qu’elles sont célébrées avec une fréquence restreinte (…). On peut bien en faire l’essai, mais sans y placer des espoirs excessifs. Malgré tout, je considérerai toujours la messe dialoguée comme quelque chose qui se situe en marge, et comme la chose d’un moment, que bientôt les lois du changement et de la réaction modéreront et feront passer de mode. »


Ce qui inquiétait le plus ce sage évêque, c’était la constatation « que les néo-liturges voyaient dans la messe dialoguée l’expression de leurs conceptions sur le sacerdoce général, et une manière d’insister sur les droits des laïques à coopérer au sacrifice de la messe ». Cette participation « activiste », sous-tendue par la théorie du sacerdoce général, voilà ce qui faisait trembler l’évêque de Fribourg. Là encore, Pie XII se fera l’écho de cette inquiétude dans « Mediator Dei », en condamnant la nouvelle théologie du sacerdoce, et en marquant les limites de la messe dialoguée[61], mais laissons l’analyse de « Mediator Dei » à notre prochain chapitre.


Le point n° 17 : La forte tendance non seulement à mettre en allemand plus d’une prière lors de l’administration des sacrements, mais aussi à prévenir les désirs du peuple en introduisant la langue allemande jusque dans la sainte messe, en dépit du « non expedire » du Concile de Trente (Session XII, c.8, can.9).


L’archevêque de Fribourg achevait sa lettre en ces termes pathétiques : « Je soumets toutes ces appréhensions au Vénérable Episcopat, pour dégager ma responsabilité pro parte mea (…). Cette liste des choses qui m’inquiètent, pourrais l’allonger encore en y ajoutant plus d’un point pareillement problématique et, me semble-t-il, contraire à la doctrine catholique. Pouvons-nous garder le silence, nous, les évêques de la Grande Allemagne, et Rome ? »

 

Rome allait agir très vite. Par une lettre du Cardinal Bertram, archevêque de Breslau, aux membres de la Conférence Episcopale de Fulda[62], le Saint-Siège fit savoir : la vive inquiétude que lui causait le « Mouvement liturgique » allemand, son désir de recevoir des informations sur cette question, son appel à la vigilance des Ordinaires, l’interdiction de toute discussion sur ce sujet, et enfin qu’il était prêt à examiner avec bienveillance certains privilèges qui pourraient être avantageux pour le bien des âmes. Le Saint-Siège était donc saisi de l’affaire. Il fallait s’attendre à une intervention pontificale.


Devant ce danger pour le « Mouvement », l’épiscopat allemand soutint avec passion les néo-liturges. Le 24 février, Cardinal Innitzer répondit à Monseigneur Gröber que situation en Allemagne et en Autriche n’était pas aussi inquiétante qu’il voulait bien le dire ; l’existence de courants doctrinaux divergents n’avait rien que d’assez normal ; il convenait de laisser les théologiens continuer librement leurs recherches ; une intervention du magistère ecclésiastique courrait le risque de décourager l’enthousiasme des liturgistes[63].


Cette intervention tant redoutée eut pourtant lieu. Elle fit en deux temps par les Encycliques « Mystici Corporis » et « Mediator Dei ». L’énergique « coup de frein » de Pie XII aurait certainement sauvé la situation, si, dans le même temps, la Secrétairerie d’Etat n’avait encouragé le « Mouvement » allemand par la concession de privilèges spéciaux.


En effet, en avril 1943, le Cardinal Bertram envoyait un mémorandum au Saint-Père au nom de tous les autres évêques. Ce mémorandum est une défense universelle et chaleureuse du « Mouvement liturgique » ; il juge la liturgie exclusivement latine peu apte à favoriser la participation des fidèles et défend la messe communautaire, la messe-communautaire-avec-chants et la grand-messe en langue allemande. Le Cardinal profite de l’occasion pour proposer quelques réformes : l’atténuation de la discipline du jeûne eucharistique prolongée au delà du temps de guerre, une nouvelle traduction latine du psautier, un enrichissement du Rituel par l’insertion de passages de la Sainte-Ecriture, le transfert des cérémonies du Jeudi Saint et du Vendredi Saint au soir[64].

Le Cardinal Maglione, secrétaire d’Etat[65], répondit le 24 décembre 1943. « Dans sa réponse, écrit F. Kolbe, les observations critiques ne manquèrent pas, il est vrai ; mais la décision sur la manière de célébrer la messe communautaire et la messe-communautaire-avec-chants est laissée à la discrétion des évêques, et la grand-messe allemande est permise expressément. Cette lettre assurait le développement ultérieur de la célébration de la messe dans la ligne du « Mouvement liturgique », sous la protection des évêques »[66]. Le mal était fait, et il n’y aurait plus moyen de l’endiguer. Pie XII aura beau apporter toutes les précisions doctrinales voulues, la révolution continuera de gagner du terrain. La secrétairerie d’Etat savait-elle que les évêques de la Commision liturgique allemande, à qui elle confiait la responsabilité des formes de la célébration de la messe, étaient parmi les éléments le plus avancés du « Mouvement » ? Pie XII était-il au courant des agissements du Cardinal Maglione ? Autant de questions auxquelles il est impossible de répondre. Mais, ce qui est sûr, c’est que nous assistons là aux toutes premières victoires du « Mouvement liturgique » dévoyé sur l’Autorité romaine. Et nous savons maintenant, en 1980, jusqu’où nous a menés cette longue série de reculades qui assombrit tant l’histoire de l’Eglise, en cette seconde moitié du XXe siècle.

Ainsi, à la fin de la seconde guerre mondiale, le « Mouvement liturgique » a considérablement renforcé ses positions. Il a mis au point un puissant organisme de subversion liturgique, le Centre de Pastorale Liturgique. Et surtout, il a élaboré sa tactique de guerre : gagner à sa cause les évêques et ainsi agir dans la légalité, faire présenter ses requêtes au Saint-Siège par les évêques, toujours sous prétexte d’avantages pastoraux. Il ne restera plus à Dom Beauduin qu’à mettre tout cela en forme dans l’éditorial du n° 1 de « La Maison-Dieu », en janvier 1945 : « Normes pratiques pour les réformes liturgiques ».


IV. L’après-guerre

Les années troublées de la guerre ont permis aux dirigeants du « Mouvement » de mettre au point leur stratégie. Le Centre de Pastorale Liturgique est né. Les épiscopats français et allemand sont circonvenus. Rome hésite… Les années de l’après-guerre vont être décisives pour l’avenir du « Mouvement liturgique ».


Dom Rousseau fait le point


En 1945, un bénédictin de Chevetogne[67], Dom Olivier Rousseau, publie aux éditions du Cerf une « Histoire du Mouvement liturgique ». Ce moine, disciple lucide de Dom Lambert Beauduin, fait dans ce livre une pénétrante analyse de l’histoire des origines du « Mouvement ». Mais c’est la conclusion de son ouvrage qui retiendra notre attention Dom Rousseau y lance un cri d’alarme. « L’Eglise est vivante, écrit-il ; le passé demeure vivant en elle – et il arrive quelquefois aux modernes de l’oublier – ; mais le présent y est vivant aussi. Disons plus : le passé n’y vit point sans le présent, ni le présent sans le passé. Sachons reconnaître l’incontestable prépondérance des premiers siècles de l’Eglise, prépondérance qui demeurera toujours et à laquelle nous ne pourrons jamais rien changer. Mais disons-nous bien que si c’est mal comprendre l’Eglise que de la « faire commencer » à quelque période postérieure de son histoire, c’est aussi mal la comprendre que de la faire cesser à quelque moment. Qu’une telle disposition, chez Dom Guéranger, ait quelquefois été excessive, cela ne doit pas trop nous étonner chez un homme de sa puissance. Son ultramontanisme, son conservatisme, son dogmatisme même et son goût de la bataille ne sont que les extrêmes de ses qualités. Il fallait qu’il eût pareille trempe pour donner à son mouvement une ossature inflexible. C’est sur cette ossature que sont venus s’appuyer ses disciples, et principalement ceux qui, rattachés à sa filiation dans l’Ordre monastique, ont propagé ses enseignements et ses idées. Ils l’ont fait avec une entière sécurité, et une persuasion absolue qu’ils ne communiquaient aux autres que le plus pur esprit de l’Eglise ». Et Dom Olivier Rousseau de conclure dans la dernière phrase de son livre : « Et ceci nous fait comprendre aussi combien il importe pour l’avenir que le mouvement liturgique issu de lui, tout en suivant de près l’évolution des idées et en s’y mêlant le plus possible, reste fidèle à ce sens catholique primordial, sans lequel, tôt ou tard, il est exposé à faillir »[68].


Notre lecteur nous pardonnera cette trop longue citation, mais nous ne pouvions l’omettre, tant elle est remarquable. Dom Rousseau a vu juste, et nous regrettons seulement qu’il ne l’ait pas dit avec plus de force : le « Mouvement liturgique » est en train de perdre, s’il n’a déjà perdu, le sens catholique de l’Eglise. Pour un catholique, l’Eglise est la seule Arche du Salut ; Société divine, elle demeure vivante à travers les siècles, toujours pure et immaculée, sans ride, son dogme[69] comme sa liturgie connaissent un « développement homogène ». Cette vérité fondamentale, Dom Guéranger s’en est fait l’intrépide défenseur dans ses « Institutions Liturgiques ». C’est au nom de ce principe qu’il a combattu les manifestations diverses de « l’hérésie anti-liturgique ». Pour Dom Guéranger, comme pour tout catholique, la liturgie est enfantée par l’Eglise, assistée de l’Esprit Saint tout au long de son chemin sur la terre. A ce titre, la liturgie tridentine et post-tridentine est tout aussi vénérable que la liturgie du Moyen Age ou de l’ère patristique.


Cela, les dirigeants du « Mouvement liturgique » ne le comprennent plus. Pour eux, la liturgie de « l’époque baroque », la liturgie du Moyen Age sont des liturgies mortes. « L’Esprit » n’y souffle plus comme au temps des Apôtres et des premiers Pères. Il s’agit de revenir coûte que coûte à cette liturgie primitive, qui seule pourra être l’âme d’un véritable renouveau, d’un véritable « essor de l’Eglise »[70].


Dom Beauduin prêche la réforme liturgique


Dom Rousseau venait à peine de poser sa plume, lorsque Dom Lambert Beauduin étouffa, de toute son autorité de « vieux prophète », le cri d’alarme de son disciple trop vigilant.


En effet, en janvier 1945, Dom Lambert Beauduin écrivait l’éditorial du N° 1 de « La Maison-Dieu », organe officiel du C.P.L. ; son titre est tout un programme : « Normes pratiques pour les réformes liturgiques »[71].


Nous allons analyser en détail cet article qui constitue vraiment la charte du « Mouvement liturgique » dévoyé. Nous verrons à quel point Dom Beauduin a perdu ce « sens catholique primordial » que rappelait à l’instant Dom Olivier Rousseau. Cet éditorial contient une véritable méthode de subversion à mettre en œuvre dans l’Église : nous ne comprenons pas, ou plutôt nous comprenons trop bien comment un tel écrit a pu être imprimé « cum permissu superiorum ».


Tout d’abord, Dom Beauduin expose le but du C.P.L., il le fait de façon adroite, en rappelant le mot célèbre de saint Pie X[72] : « Nous voulons mettre en pleine valeur la liturgie et ramener non pas seulement une élite, mais les fidèles, tous les fidèles, tout le peuple de Dieu, à cette source authentique de la vie chrétienne. » Ensuite, notre auteur fait une double constatation : d’une part, l’appauvrissement actuel de la liturgie (il a même ce mot blasphématoire : « Liturgie momifiée »), d’autre part, le dynamisme évangélique antique. En 1909, Dom Lambert Beauduin se serait dit devant ce fait travaillons à expliquer les rites, à les faire vivre, mais respectons-les. En 1945, le même moine conclut à l’absolue nécessité d’une réforme. « Faut-il s’affranchir prudemment, écrit-il, de la discipline trop étriquée des règles liturgiques actuelles et rendre aux signes sacramentels et aux institutions chrétiennes toute leur vertu et leur efficacité ? »


Mais Dom Beauduin sait que l’Église (à l’époque !) ne supporte pas l’anarchie et les expériences trop avancées ; il a lui-même eu affaire à l’autorité romaine lors de ses aventures œcuméniques, et il ne veut surtout pas que se reproduisent en France les graves troubles qu’a connus l’Allemagne. C’est pourquoi, il affirme avec justesse :

1) la liturgie appartient à l’Église ;

2) le Saint-Siège, depuis le Concile de Trente, se réserve d’une façon exclusive le pouvoir de légiférer dans le domaine liturgique ;

3) le droit liturgique, par une disposition exceptionnelle, est soustrait au jeu de la coutume légitime, laquelle sans cela a la force d’abroger la loi et de rendre licite ce qui, littéralement, pourrait être illicite.


Ainsi donc, le « Mouvement » ne pourra pas s’attaquer de front à la liturgie de l’Église, il ne pourra la détruire que par le moyen d’une méthode subversive très étudiée. Mais laissons parler notre moine, passé maître en l’art de la révolution dans l’Église.

« Si le Saint-Siège, écrit-il, est justement soucieux du maintien intégral des observances liturgiques et très sévère pour toute entreprise ou toute initiative contraire à ses lois, il se montre, d’autre part, très compréhensif et très accueillant pour tous les efforts faits dans le cadre des lois actuelles et encourage sans réserve les travaux historiques qui recherchent l’origine et l’évolution de nos rites. Le SaintSiège désire donc que sa discipline soit étudiée par toutes les méthodes historiques. Le C.P.L. peut donc réaliser largement ce point de son programme. Sa discipline, sa théologie, les Saintes Écritures bénéficient largement de tous les résultats des progrès de la science. Il en sera de même dans le domaine des réformes liturgiques, à une triple condition que notre mouvement doit remplir. »


Nous allons maintenant citer en synthèse ce texte d’un cynisme inouï : « Il faudra procéder hiérarchiquement : ne prendre comme initiative pratique que ce qui est conforme aux règles actuelles de la liturgie. Procéder patiemment utiliser modestement ce qui est légitime aujourd’hui et préparer l’avenir en faisant désirer et aimer toutes les richesses contenues dans la liturgie antique ; disposer les esprits Rome craint par-dessus tout le scandale des fidèles. Procéder méthodiquement : faire des études sérieuses de vulgarisation (Offices de la Semaine Sainte, Nuit Pascale, Concélébration). Accentuer aussi l’aspect moral et pratique : Communion fréquente, jeûne eucharistique, heures de la Messe l’Eglise ne craint pas de modifier sa discipline pour le bien de ses enfants. »


Notre lecteur comprend maintenant pourquoi les néoliturges se sont lancés avec autant de zèle dans l’histoire de la liturgie, histoire conçue d’ailleurs d’une façon très rationaliste, sans tenir aucun compte du caractère sacré de la liturgie. Les Jungmann[73], les Bouyer, et autres Roguet ont multiplié alors les ouvrages de ce genre. La création de la collection « Lex Orandi » au Cerf est un exemple parmi d’autres de l’effervescence de ces productions littéraires. Les néoliturges cherchaient par là à influencer la Section Historique de la Sacrée Congrégation des Rites créée par Pie XI en 1930. Ce travail habile de pressions indirectes n’a pas tardé à porter ses fruits empoisonnés, comme nous le verrons bientôt.


Dom Lambert Beauduin expose ensuite un second mode de pression indirecte. Il constate que l’Eglise romaine est animée d’un esprit fortement hiérarchique. Pour ne pas heurter de front cette hiérarchie, il fera présenter ses vœux et ses requêtes par les évêques : « Il faut, écrit-il, que nous puissions compter sur des sympathies convaincues et agissantes. » Là, notre moine utilisa à plein ses dons de séduction : « Il avait des amis partout » nous dit le P. Bouyer[74]. Ses amis les plus influents étaient alors NN. SS. Roncalli, Suhard, Harscouët, Richaud et le R. Père Dom Capelle. Dom Lambert Beauduin met ensuite la touche finale à son programme de subversion liturgique : « Le C.P.L. doit prendre la peine de faire connaître et apprécier ses travaux des consulteurs de la Sacrée Congrégation, des membres de l’Académie liturgique, etc… S’il ne doit jamais se permettre de devancer les décisions des autorités compétentes, il a le droit et le devoir de faire connaître à celles-ci les « desiderata » et les vœux sages et motivés des pasteurs les plus zélés et du peuple fidèle, en particulier des membres dévoués de l’Action Catholique[75]. Voyons maintenant la mise en pratique de ce manifeste dans les années de l’immédiat après-guerre.


Le C.P.L. réalise le programme de Dom Lambert Beauduin


En juillet 1945, a lieu la réunion d’une équipe réduite, à Ligugé, sous la protection du Père Abbé, Dom Passet ; en septembre 1945, se tient le premier congrès à Saint-Flour, grâce à l’appui de l’évêque Mgr Pinson et à celui du Cardinal Gerlier. En avril-mai 1946, ce sont les journées de Vanves, dirigées par l’abbé Martimort, sur la Messe et sa catéchèse[76]. Lors de ces sessions, le Cardinal Suhard avoue « De divers côtés on nous sollicite actuellement pour obtenir des facilités en matière de discipline liturgique. » Il s’agissait alors de la Messe du soir et de l’introduction du vernaculaire dans l’administration des sacrements. Notre lecteur se souvient qu’au même moment, en Allemagne, les mêmes requêtes étaient présentées à Rome par le Cardinal Bertram. Simple coïncidence ? Nécessités pastorales communes, peut-être…, mais ne s’agit-il pas plutôt de la mise en œuvre de la tactique de Dom Lambert : faire présenter à Rome par les évêques les desiderata de la subversion liturgique, sous couvert d’exigences pastorales ? Pour notre part, nous retiendrons la dernière hypothèse, tout en reconnaissant l’existence de certaines nécessités pastorales.


Durant l’année 1946, le C.P.L. travaille activement en Alsace ; là se fait la jonction définitive de « l’effort liturgique » allemand et du « Mouvement liturgique » français. Notons au passage une confidence du P. Duployé : « Nous avons aussi lié des contacts avec les représentants des différentes Eglises chrétiennes. Dom Beauduin nous a appris pour toujours à ne pas dissocier œcuménisme et liturgie »[77]. Dans le même temps, le « Mouvement » pénètre dans les séminaires (notamment celui de la Mission de France) ; au Saulchoir, le P. Roguet enseigne la liturgie. Des sessions régionales s’organisent, notamment à Rodez où elles groupent 120 prêtres.


Le C.P.L. a mis en branle une gigantesque révolution qu’il ne maîtrise plus : « Les risques existent, avoue le P. Duployé, et ils sont redoutables… Nous constituons une pointe avancée dans le clergé français. Nous ne parlons pas la même langue que la plupart des curés et si la plus grande partie de l’épiscopat suit notre effort avec sympathie, nous ne levons pas nous dissimuler que cette sympathie, dont je ne mets pas en doute la sincérité, peut fort bien coïncider avec une ignorance presque complète des principes qui nous guident… Entre cette pointe avancée et le gros du clergé français, nous devons, selon une tactique qui a été très bien mise en valeur par le P. Doncœur, veiller à ne pas se laisser créer d’intervalles… Les intervalles redoutés se produiront si nous ne procédons pas à une dispensation économique et pédagogique de la vérité découverte par nous… Nous devons savoir nous taire et savoir attendre… A Ligugé ou à Vanves, il ne s’agit que d’une étape de notre travail… Mais il serait terriblement périlleux, et il serait simplement bête de jeter telles quelles ces apories à la tête du clergé français. Nous ne pouvons, publiquement, que lui apporter du beau pain cuit… Depuis le début de notre effort, nous parlons d’adaptation et d’évolution liturgique. Je me demande parfois si nous ne sommes pas dupes de ces mots… Nous sommes sur une machine lancée à grande vitesse. Sommes-nous capables encore de la conduire ? Je vous avoue pour terminer ma lassitude et mes craintes »[78].


Devant cette accélération excessive du « Mouvement », Dom Beauduin prenait peur… Nous assistons là aux premiers phénomènes de « dépassements permanents », propres à toutes les révolutions : les meneurs d’hier sont dépassés par les agitateurs d’aujourd’hui, les premiers révolutionnaires vont faire figure de réactionnaires, les incendiaires vont crier au feu ! En effet, le P. Bouyer note de Dom Lambert Beauduin : « Je ne saurais dissimuler, cependant, que tout ne le ravissait pas dans le nouveau mouvement. L’engouement précipité pour les « paraliturgies », passées si vite du rôle de liturgie du seuil à la prétention d’être une liturgie de l’avenir, un avenir faisant litière trop facilement du passé traditionnel, ne lui disait rien de bon »[79]. Ces tensions internes vont provoquer, en juillet 1946, l’autonomie du C.P.L. par rapport aux éditions du Cerf. L’abbé Martimort prend dès lors une influence grandissante au sein de l’organisation, peu à peu, le P. Duployé va se retirer… la révolution avance, et se radicalise.


Notons enfin une session au Thieulin près de Chartres. Quarante supérieurs et directeurs de Séminaires y sont groupés sous la présidence de Mgr Harscouet. Les orateurs sont l’abbé Perrot, directeur du Séminaire de la Mission de France, le P. Régamey de l’Art Sacré, l’abbé Martimort, les RR. PP. Duployé et Congar, et bien sûr l’inévitable Dom Beauduin. L’esprit de la réunion dut être des plus subversifs, car le P. Duployé avoue : « Quelques jours avant la réunion du Thieulin, j’avais reçu la visite d’un lazariste italien, le Père Bugnini, qui m’avait demandé d’être invité. Le père écouta très attentivement sans dire un mot, pendant quatre jours. Comme nous revenions à Paris, et que le train passait à la hauteur de la pièce d’eau des Suisses, à Versailles, il me dit : « J’admire ce que vous faites, mais le plus grand service que je puisse vous rendre est de ne jamais dire à Rome un mot de tout ce que je viens d’entendre. » Pour le plus grand bien du Concile Vatican II, dont il fut l’un des plus intelligents ouvriers, le Père Bugnini ne devait heureusement pas tenir sa parole »[80].


Ce texte révélateur nous montre une des premières apparitions du « fossoyeur de la Messe », un révolutionnaire plus habile que les autres qui a tué la liturgie catholique, avant de disparaître de la scène officielle[81]. C’est donc à cette époque que la « Contre-Eglise » a pénétré de façon complète le « Mouvement liturgique ». Jusqu’alors, il avait été investi par les forces modernistes et œcuméniques : après-guerre, son degré de pourrissement est suffisant pour que la Franc-maçonnerie en prenne directement les rênes : Satan pénètre dans le Cheval de Troie.


Le pape Pie XII et l’encyclique « Mediator Dei »


Nous avons déjà constaté les reculades de la Secrétairerie d’Etat devant les exigences de « L’effort liturgique » allemand. Pie XII était trahi et mal informé. Cependant, son génie exceptionnel et ses grandes qualités de Pasteur lui firent prendre des initiatives énergiques pour tenter d’enrayer « l’hérésie anti-liturgique ». Le Pasteur Angélique avait été impressionné par la lettre pastorale de Mgr Gröber. Il devait répondre aux inquiétudes de l’évêque de Fribourg-en-Brisgau par deux encycliques adressées à l’Eglise universelle : ce furent « Mystici Corporis » du 29 juin 1943, et « Mediator Dei » du 20 novembre 1947.


L’encyclique « Mediator Dei », une des plus longues qui soit jamais sortie de la Chancellerie pontificale, est incontestalement un des plus beaux enseignements du Pape Pie XII[82]. Avec un discernement et une habileté extraordinaires, le Pape va retenir tout ce qu’il y a de bon dans le « Mouvement liturgique », et condamner énergiquement ses déviations. Nous allons résumer ce document unique, nous soumettant en tout à son jugement, mais en regrettant tout de même qu’il n’ait pas été accompagné de réalisations concrètes et de sanctions précises contre les révolutionnaires de la liturgie.


Dans l’introduction de son encyclique[83], le Pape rappelle que le sacerdoce catholique prolonge l’action du Christ Rédempteur (508 à 510). Il se félicite ensuite du renouveau de ferveur pour la liturgie, né à la fin du siècle dernier, incitant au zèle ceux qui demeurent encore endormis, mais surtout blâmant les éléments progressistes du « mouvement » : « Nous remarquons, écrit Pie XII, non sans préoccupation et sans crainte, que certains sont trop avides de nouveauté et se fourvoient hors des chemins de la saine doctrine et de la prudence… ils souillent d’erreurs cette sainte cause, d’erreurs qui touchent à la foi catholique et à la doctrine ascétique. » (511 à 515). L’encyclique se divise ensuite en quatre parties : Nature de la liturgie – Le Culte eucharistique – L’Office divin – Directives pastorales.

La partie consacrée à la nature de la liturgie (516 à 550) est une admirable synthèse doctrinale, elle contient la plus profonde définition de la liturgie : « Le culte public intégral du Corps mystique de Jésus-Christ, c’est-à-dire du Chef et de ses membres ». A la fin de cette partie de l’encyclique, Pie XII condamne à nouveau les innovations téméraires « Néanmoins, il faut réprouver l’audace tout à fait téméraire de ceux qui, de propos délibéré, introduisent de nouvelles coutumes liturgiques ou font revivre des rites périmés, en désaccord avec les lois et rubriques maintenant en vigueur. »


Ces paragraphes 547 et 548 constituent une véritable condamnation de « l’archéologisme », « de sorte que, écrit le Pape, ce serait sortir de la voie droite de vouloir rendre à l’autel sa forme primitive de table, de vouloir supprimer radicalenient des couleurs liturgiques le noir, d’exclure des temples les images saintes et les statues, etc. »


La seconde partie du document (551 à 598), consacrée au Culte eucharistique, est un véritable traité de l’eucharistie, tant au point de vue dogmatique et liturgique qu’au point de vue ascétique. Pie XII y condamne énergiquement les erreurs théologiques sur la nature du sacerdoce des fidèles (563), et les exagérations sur la notion de participation. Il précise exactement la participation « mystique » des fidèles à l’oblation (565 à 572) et à l’immolation (573 à 577). Il indique ensuite les moyens de promouvoir cette participation : missels, participation active aux chants et à la Messe dialoguée, à laquelle il impose des limites précises (579).


La troisième partie de l’encyclique (599 à 628) traite de la liturgie laudative, c’est-à-dire de l’Office divin. Pie XII réafl firme que cette liturgie constitue la prière officielle de l’Eglise (509 à 607). Il analyse ensuite l’année liturgique et la nature du culte des Saints.


Vient ensuite la quatrième partie de la lettre (629 à 651) qui contient les directives pastorales « afin, écrit le Pape, d’écarter plus aisément de l’Eglise les erreurs et les exagérations de la vérité, dont Nous avons parlé ci-dessus, et afin de permettre aux fidèles de s’adonner très fructueusement, en suivant des règles très sûres, à l’apostolat liturgique. » L’encyclique traite d’abord des rapports de la liturgie et des dévotions privées, et elle conclut : « Il ferait une chose pernicieuse et pleine de tromperie celui qui oserait, témérairement, assumer la réforme de ces exercices de piété, pour les ramener aux seules cérémonies liturgiques. Il est nécessaire toutefois que l’esprit de la sainte Liturgie et ses préceptes influent avec profit sur eux, pour éviter que ne s’y introduise quoi que ce soit d’inadapté ou de peu conforme à la dignité de la maison de Dieu… »


Le Pasteur Angélique traite ensuite des Arts liturgiques (639 à 646) ; il rappelle avec opportunité : « Dans tout ce qui regarde la liturgie, il faut que se manifestent le plus possible ces trois caractères, dont parle Notre prédécesseur Pie X : le caractère sacré, qui rejette avec horreur l’inspiration profane, la tenue et la correction des aeuvres d’art, vraiment dignes de ce nom ; enfin le sens universel, qui, tout en tenant compte des coutumes locales et des traditions légitimes, affirme l’unité et la catholicité de l’Eglise » (640). Pie XII exhorte ensuite à l’acquisition d’une solide formation liturgique (647 à 651), particulièrement pour le jeune clergé. Avant de terminer sa lettre, le Pontife met à nouveau les Pasteurs en garde contre « l’introduction d’une fallacieuse doctrine, altérant la notion même de la foi catholique », et contre un « retour excessif à l’« archéologisme » en matière liturgique ».


Le saint Pape nous donne ensuite la conclusion de son encyclique (652 à 653) ; il appelle au zèle les « tièdes et les récalcitrants », et il s’adresse pour finir aux progressistes « A ceux qu’un zèle intempestif pousse quelquefois à dire ou à faire ce que Nous avons le regret de ne pouvoir approuver, nous redisons le conseil de saint Paul : « Mettez tout à l’épreuve ; gardez ce qui est bon ». Et Nous leur demandons paternellement de vouloir bien rectifier leur façon de voir et d’agir, d’après une doctrine chrétienne qui soit conforme aux leçons de l’épouse sans tache de JésusChrist, Mère des saints. » La traditionnelle bénédiction apostolique conclut le document.


Cette encyclique est admirable, et nous recommandons à tous nos lecteurs de la lire et de la méditer. C’est une véritable « Somme liturgique ». C’est en tout cas la dernière recommandation de l’Eglise à ses fils avant de pénétrer dans cette mystérieuse grande nuit dont nous ne voyons pas encore l’issue. Nous n’avons qu’un regret, nous le disions tout à l’heure, c’est que cette si belle lettre n’ait pas été accompagnée de mesures concrètes, voire de sanctions. Le Grand Pie XII n’a-t-il pas prêté des intentions trop pures, des intentions à la mesure de sa sainteté, aux meneurs du « Mouvement liturgique » ? Il est clair qu’il n’a pas vu dans ces hommes les « brigands » qu’ils étaient. Il a cru avoir affaire à des intellectuels un peu égarés, alors qu’il s’agissait au moins pour certains de véritables meneurs révolutionnaires. Pouvait-il en être autrement, lorsque ces meneurs étaient présentés, soutenus, encouragés par d’influents prélats ?


Saint Pie X ne s’était pas contenté d’écrire « Pascendi », il avait excommunié Tyrel et Loisy, il avait fait prêter le serment anti-moderniste. Nous regrettons que Pie XII n’en ait pas fait autant vis-à-vis de l’hérésie anti-liturgique. Mais, redisons-le, pouvait-il en être autrement, alors que le Pape était trahi, mal informé, et que de nombreux modernistes s’étaient déjà infiltrés aux postes clefs de l’Eglise ?


Pie XII avait parlé clairement, restait aux pasteurs d’âmes à diffuser l’enseignement du Père commun et à le mettre en pratique. Mais, là encore, ce fut la trahison : on ne retint de l’encyclique que les encouragements au zèle pour le renouveau liturgique, et on tut délibérément les innombrables mises en garde du document. Le modèle de ces commentaires édulcorants est celui que fit Dom Beauduin lui-même dans « La Maison-Dieu »[84]. Mais écoutons l’abbé Martimort qui écrivait ces lignes en 1959 : « Les mises en garde de l’encyclique n’effarouchaient pas le P. Lambert Beauduin. Avec l’extraordinaire vigueur de son regard, il situait le document dans une perspective catholique universelle. Avec le recul de douze ans, il faut reconnaître que le P. Lambert Beauduin avait vu juste : l’encyclique « Mediator Dei » a donné, dans le monde entier, le branle à un ressort liturgique inouï »[85]. Eh oui ! c’est le drame : on a fait servir « Mediator Dei » à la subversion liturgique. Utiliser un document pontifical à une fin contraire aux intentions du Pape, c’est là la marque de Satan. Le Cheval de Troie est bien dans la Cité de Dieu… Plus rien n’arrêtera la marche en avant du « Mouvement liturgique » dévoyé, et nous ne pouvons que regretter la création, le 18 mai 1948, d’une « Commission pontificale pour la Réforme de la Liturgie ». Non pas qu’une telle réforme, dans des proportions données, soit impossible en soi, mais parce que, dans le contexte de l’époque que le Pape ne pouvait pas soupçonner, c’était se livrer pieds et mains liés à l’Adversaire.


  1. Dom O. Rousseau, « L’Eglise en prière » ouvrage collectif. A. G. Martimort 1961, p. 51.
  2. « Saint Pie V, un pape pour notre temps ». P. Tilloy, Forts dans la foi, 1974.
  3. « Auctorem Fidei » Denz. 1501.
  4. « Dom Guéranger, Abbé de Solesmes » par un moine bénédictin. 2 tomes Plon-Marne, 1910.
  5. « Institutions Liturgiques », 3 vol., Fleuriot, Le Mans 1840. – 2° éd. en 4 vol. de 1880. – « Extraits » par J. Vaquié. D.P.F. 1977.
  6. « La liturgie catholique, Essai de synthèse ». Dom Festugière O.S.B. Maredsous, 1913.
  7. « Institutions Liturgiques » de Dom Guéranger. Tome Ier, ch. Ier.
  8. « L’encyclique Mediator Dei et la liturgie » Dom J.Froger de Solesmes dans « La pensée catholique ». N° 7, 1948.
  9. « Dom Guéranger par un moine… », I, p. 260.
  10. « Dom Guéranger et le Père Emmanuel », Dom Maréchaux, dans « Notre-Dame de la Sainte Espérance », oct. 1910.
  11. « La Croix » du 28 décembre 1911.
  12. « La vie de la liturgie », Louis Bouyer de l’Oratoire. Cerf, 1956, p. 85.
  13. « Revue Thomiste », 1914, N° 1-2-3.
  14. « Méthode ignatienne et spiritualité liturgique », P. Peeters, S.J. Louvain, 1918 et Conférences au Congrès de Malines de 1924.
  15. « Leçons sur la Messe » Mgr Batiffol, Gabalda, Paris, 1920.
  16. Ed. Saint-Brieux 1918 et Paris Art Catholique 1922.
  17. Paris, Bonne Presse, 1909.
  18. « Liber Sacramentorum » Ildephonse Card. Schuster. Vromant Bruxelles, 1925.
  19. Dom L. Beauduin, « Le Cardinal Mercier et ses suffragants en 1914 », dans la « Revue Générale Belge », 1er juillet 1953, p. 416-417.
  20. Mgr Szepticki, métropolite de Lvov en Galicie, chef de l’Eglise uniate, i.e. : de cette portion de l’Eglise orthodoxe ukrainienne que l’accord de Brest-Litovsk, lors d’un des remaniements de la Pologne au XVIIIème siècle, avait fait rentrer dans la communion de l’Eglise romaine.
  21. Cf. « Dom Lambert Beauduin (1823-1960), un homme d’Eglise », par Louis Bouyer de l’Oratoire, Castermann, 1964.
  22. Collège fondé par Léon XIII en 1887 = Centre d’études théologiques pour les bénédictins du monde entier.
  23. Mgr Michel d’Herbigny (1880-1957). Fervent orientaliste. Pie XI en fait son homme de confiance pour les questions orientales. Nommé on octobre 1922 président de l’Institut pontifical oriental. Avril 1930 : président de la commission pontificale « Pro Russia ». Consacré évêque en 1926 par Mgr Pacelli à Berlin, il tente vainement de rétablir la hiérarchie en U.R.S.S. Décembre 1931 : démission de l’Institut oriental. 31 mai 1934 : démission de la commission « Pro Russia », officiellement pour raison de santé. Se retire en Belgique ou il vivra jusqu’à sa mort en simple religieux, astreint à une rigoureuse retraite.
  24. Lettre à Dom de Kerchove du 20 janvier 1925.
  25. « Dom. Lambert Beauduin », par L. Bouyer, p. 126. Les Conférences de Malines : Il s’agissait de conversations amicales entre quelques anglicans et quelques catholiques, destinées à préciser les positions respectives. Le premier moteur en était Lord Halifax, président de l’English Church Union, de la plus « haute Eglise », et désireux alors d’un rapprochement avec Rome. Encouragé par Pie XI, le Cardinal Mercier représentait le parti catholique. On ne peut se dissimuler les divers handicaps qui grevaient dès le départ les conférences de Malines : mauvaise humeur de la hiérarchie catholique en Angleterre, guère plus de sympathie dans la hiérarchie anglicane. Derrière cette double prévention, il y avait l’équivoque d’Halifax luimême : anglican très attaché à son Eglise, mais pratiquement catholique de foi et de pratique, il risquait d’illusionner les catholiques sur l’état véritable de l’Eglise anglicane. L’introduction du rapport de Dom Beauduin devait tout brouiller.
  26. Ibid., p. 126-127.
  27. Ibid., p. 133-135.
  28. Ibid., p. 135-136.
  29. Des moines catholiques passaient à l’orthodoxie.
  30. « Itinéraires », n° 216, septembre-octobre 1977, p. 35-36.
  31. « Dom Lambert Beauduin », par L. Bouyer, p. 168. Le nom de cet évêque dont le Père Bouyer cache pudiquement l’identité est Mgr Martin-Jérôme Izart, archevêque de Bourges de 1916 à 1943.
  32. « Liturgia », par Dom Gaspar Lefebvre, Abbaye Saint-André, 1920.
  33. Ibid., p. 206, dans la IVe édition de 1929.
  34. « La vie de la liturgie », par Louis Bouyer de l’Oratoire, Collection « Lex Orandi », Cerf, 1956, p. 29-30.
  35. Ibid., p. 33.
  36. « Hirtensorge und Liturgiereform », par Waldstein, Schan. Liechtenstein, 1977 (Dom Casel : 1886-1948).
  37. Préface de Robert d’Harcourt à « L’esprit de la liturgie », de R. Guardini, Collection « Le roseau d’or », Plon, 1929.
  38. « Vom Geist der Liturgie », 1er volume de « Ecclesia Orans », Herder, 1918.
  39. Préface à « Auf dem Weg » et à « Liturgische Bildung ».
  40. Loc. cit. d’Harcourt, p. 32.
  41. « Le renouveau liturgique », par Dom Pius Parsch (1884-1954), Castermann, 1950, p. 12.
  42. « La vie de la liturgie », par L. Bouyer, p. 89.
  43. « Le mouvement liturgique en Allemagne’, par J. Wagner, dans « La Maison-Dieu », N° 25, Cerf, 1951.
  44. Cité par Jungmann, dans « Tradition liturgique et problèmes actuels de pastorale », Ed. Xavier Mappus, 1962.
  45. « Dom Lambert Beauduin, homme d’Eglise », par L. Bouyer. Casterman 1964. N.B. : L’auteur parle ici de Jean XXIII.
  46. Mgr Chevrot, curé de saint François-Xavier, à Paris. Prédicateur très célèbre à l’époque (Notre-Dame). Il mérite assurément la note « libéral ».
  47. « Les origines du C.P.L. 1943-1949 », par le R.P. Duployé, Salvator 1968, p. 338.
  48. « Liturgia » ouvrage collectif rédigé sous la direction de l’abbé Aigrain. Bloud et Gay 1930, pp. 1000-1001.
  49. « Les origines du C.P.L. », loc. cit. (p. 338).
  50. En effet, collaborèrent à « Pourquoi Rome a parlé », Spes 1927 : les jésuites : Doncœur et Lallement, les dominicains : Bernadot et Lajeunie, sans oublier l’abbé Maquart et l’inévitable J. Maritain.
  51. « Une vie pour la vérité », Y. Congar interrogé par J. Puyo. Centurion, 1975. « Un théologien en liberté », le P. Chenu interrogé par J. Duquesne, Centurion 1975. Le R.P. Barbara en a fait un excellent compte rendu dans « Deux modernistes témoins de leur temps » in « Forts dans la foi » n° 53.
  52. « Liturgie et qualité dans la défense de la Tradition catholique », par P. Raynal, p. 22.
  53. « Un théologien en liberté », pp. 92-93.
  54. « Le Peuple de Dieu » de Dom Vonier, traduit par le P. Roguet, Ed. de l’Abeille, Lyon 1943.
  55. « Dom Lambert Beauduin et le C.P.L. », article de A.G. Martimort in « Questions liturgiques et paroissiales », 1959.
  56. Dom Botte soutenait alors énergiquement la différence essentielle entre le sacerdoce des prêtres et celui des fidèles : notions très contestées par les autres membres du C.P.L. dès ses origines. Cf. « Le Mouvement liturgique » par Dom Botte, p. 64. « En 1943, écrit Dom Botte, je fus invité à un conseil de rédaction de « La Maison-Dieu ». Il était question de faire un numéro sur le Sacerdoce des fidèles. Puisqu’on me demandait mon avis, je le donnai en toute simplicité, et j’eus l’impression d’être hérétique, proférant des blasphèmes au milieu de pères orthodoxes. »
  57. « La Maison-Dieu », janvier 1945, n° 1, Cerf.
  58. « Les origines du C.P.L. », p. 288.
  59. « La Maison-Dieu » n° 25, 1951, « Le mouvement liturgique en Allemagne », par Johann Wagner.
  60. Cf. « L’encyclique Mediator Dei sur la liturgie », par Dom J. Froger, in « La pensée catholique », n° 7, 1948, pp. 56 à 75.
  61. « Mediator Dei » du 26 nov. 1947, Ed. Solesmes, Liturgie I n° 578 à 581.
  62. Lettre du 15 janvier 1943, cité par Dom Froger, loc. cit.
  63. « La Maison-Dieu » n° 7, pp. 108 à 114.
  64. « Liturgisches Jahrbuch » 1953, pp. 108 ss., article de J. Wagner.
  65. Le Cardinal Maglione mourut en 1944, et fut remplacé par deux pro-secrétaires : Monseigneur Tardini pour les affaires extraordinaires et Monseigneur Montini pour les affaires ordinaires.
  66. « Allemagne », par F. Kolbe in « La Maison-Dieu », n° 74, 1963.
  67. Chevetogne, le monastère œcuménique de Dom Beauduin, d’abord installe à Amay.
  68. « Histoire du Mouvement liturgique », par Dom O. Rousseau, Cerf, 1945, p. 231-232.
  69. Cf. « L’évolution homogène du dogme catholique » 2 tomes, par le R.P. Marin Sola, O.P., éd. S. Paul à Fribourg (C. H.), 1924.
  70. Cf. La lettre pastorale du Cardinal Suhard, « Essor ou déclin de l’Eglise », de 1947.
  71. « La Maison-Dieu », N° 1, de janvier 1945, Cerf, p. 9 à 22.
  72. « Tra le Sollecitudini », du 22 novembre 1903, éd. Solesmes, Lit. 1, N° 220.
  73. Son plus fameux ouvrage est le célèbre « MISSARUM SOLLEMNIA ». trad. française, 3 vol. Coll. théologie, 19, 20, 21, Paris, Aubier, 1951-1954.
  74. « Dom Lambert Beauduin, un homme d’Eglise », L. Bouyer, Castermann, 1964.
  75. « La Messe et sa Catéchèse », Vanves, 30 avril - 4 mai1946, Coll. Lex Orandi, Cerf, 1947.
  76. Dom Botte l’avoue dans son « Mouvement liturgique », p. 102. « Prendre des initiatives sans l’accord de la Congrégation, écrit-il, c’était provoquer un phénomène de freinage. On choisit alors une solution moyenne : préparer en privé des projets de réforme et les faire présenter à Rome par l’épiscopat de divers pays. Mais pour cela, il ne fallait pas travailler en ordre dispersé. Il importait au contraire de concentrer les efforts des divers groupes de travail. De là l’origine des réunions internationales. »
  77. « Les origines du C.P.L., 1943-1949 », par le P. Duployé, Salvator, 1968, p. 308.
  78. Ibidem, p. 310 à 312.
  79. « Dom Lambert Beauduin, un homme d’Eglise », p. 178-179.
  80. « Les origines du C.P.L. », p. 320 en note.
  81. « Lettre aux amis et bienfaiteurs », N° 10, de S. Ex. Mgr M. Lefebvre, du 27 mars 1976.
  82. Cf. l’excellent article de Dom Froger . « L’encyclique Mediator Dei », in « La pensée catholique », N° 7, de 1948.
  83. Ed. Solesmes, Lit. I, N° 508 à 653. Les numéros donnés dans le texte renvoient à cette édition.
  84. « La Maison-Dieu », N° 13, Cerf, 1948, p. 7 à 25.
  85. Article « Notre père Dom Lambert Beauduin », par A.G. Martimort, in « Les questions liturgiques et paroissiales », de septembre 1959.
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