Note sur la preuve de Dieu par le degré des êtres

De Salve Regina

Apologétique
Auteur : P. Réginald Garrigou-Lagrange, O.P.
Source : Revue Thomiste, 361-383.
Date de publication originale : 1904

Difficulté de lecture : ♦♦♦ Difficile

NOTE SUR LA PREUVE DE DIEU PAR LES DEGRÉS DES ÊTRES CHEZ SAINT THOMAS

Des cinq preuves de l’existence de Dieu présentées par saint Thomas, dans la Somme, la 4a via ou preuve par les degrés des êtres passe généralement pour la plus profonde auprès de ceux qui y voient, non pas seule­ment un procédé dialectique pour s’élever à la conception du 1er Être, mais une véritable démonstration. Lorsque ensuite, il s’agit de déterminer quel est le vrai fondement de cette preuve, ceux‑là même ne sont pas d’accord. Les interprètes actuels de saint Thomas accusent volontiers les commentateurs anciens de n’avoir pas voulu s’expliquer sur la nature et la portée de cet argument, et l’on propose depuis quelques années des inter­prétations d’inspiration anselmienne et augustienne jusqu’ici inconnues parmi les thomistes.

Sans vouloir défendre ici les premiers commentateurs, nous ferons remarquer que le reproche qu’on leur adresse n’est peut‑être pas aussi fondé qu’il le paraît. Si leurs explications sont brèves, on doit reconnaître que la même question est reprise au Traité de la Création et lorsqu’il s’agit de déterminer les rapports de l’un et du multiple : on ne saurait, croyons-­nous, reprocher à un Cajetan ou à un Jean de Saint‑Thomas qui ont analysé si profondément ce qu’est la cause per se primo[1] [1], d’avoir méconnu la portée de la preuve du maxime tale et du maxime ens.

Mais ce n’est pas aux commentateurs, c’est à saint Thornas lui‑même que nous devons demander en quel sens il entendait cette preuve. Nous nous proposons, dans cette note, d’établir, d’après les textes, quelle était, la pensée de saint Thomas sur cette difficile question. Il ne sera pas inutile auparavant d’examiner d’un peu près une interprétation fort ingénieuse, bien faite, semble‑t‑il, pour satisfaire certains réalistes, qui vient d’être proposée dans un très intéressant commentaire sur les preuves de l’exis­tence de Dieu de saint Thomas[2]. L’examen de cette interprétation nous permettra de distinguer plusieurs arguments, les uns vraiment rigoureux, les autres insuffisants, qui, malgré leur ressemblance avec la 4a via, n’en sont pas moins, selon nous, très différents.


I

Rappelons d’abord le raisonnement de saint Thomas[3] : on remarque dans la nature quelque chose de plus ou moins bon, plus ou moins vrai, plus ou moins noble. Or, le plus et le moins se disent des objets suivant qu’ils approchent à des degrés divers de ce qu’il y a de plus élevé. Il y a donc un être qui est le plus vrai, le meilleur, le plus noble, et par consé­quent qui a plus d’être que tous les autres. Mais (dans un genre donné) le plus grand est cause de tous les autres. Il y a donc, un être qui, vis‑à‑vis de tous les autres, est cause de leur être, de leur bonté, de toute perfection, quelle qu’elle soit. Cet être nous l’appelons Dieu.

Que cette preuve soit d’origine platonicienne, personne n’en doute. C’est, résumée en quelques mots, toute la dialectique par laquelle Platon s’élève aux Idées[4]. On peut bien admettre comme on l’a dit que « Platon ne vent pas prouver l’existence du monde idéal, ce monde, pour lui, n’a pas besoin d’être prouvé puisque nous y vivons... la dialectique n’est que l’art d’appren­dre à ouvrir les yeux[5] ». Les Idées sont nécessaires pour qu’il y ait science, or la science est donnée. – Il n’en est pas de même pour saint Thomas. Selon lui, les universaux n’existent pas formellement a parte rei, et s’il conserve l’argument platonicien, il cherchera à le légitimer par les principes d’Aristote. Dirons‑nous qu’il a voulu nous donner une preuve ? À lire le même argument (Ir C. Gentes, ch. XIII, à la fin), il serait permis de croire que non : mais les textes du de Potentia III, a. 5 et 6., et II C. Gentes ch. XV que nous examinerons plus loin, ne permettent pas de douter de l’intention de saint Thomas ; c’est bien une véritable preuve qu’il a voulu nous donner. Il s’appuie d’ailleurs trop souvent sur cette 4a via dans la suite de la Ia Pars, pour qu’on puisse supposer qu’il ne lui attribuait pas une valeur démonstrative.

A dire vrai, nous croyons que, sans admettre la théorie platonicienne de la connaissance, on pourrait trouver dans Platon lui‑même ou dans les dialogues qui lui sont attribués, tels que le Parménide et le Sophiste, où est débattue la grande question de l’un et du multiple, les principes qui permettent de démontrer rigoureusement par les degrés des êtres l’existence du premier Être. Nous ne rechercherons pas si saint Thomas était à même de faire cette enquête ; cette question n’avait‑elle par été reprise, éclaircie, mise au point d’une façon définitive par Aristote (Méta., X) ; c’est là, croyons‑nous, qu’il faut aller chercher le fondement, dernier de la preuve[6].

D’après l’interprétation récente au contraire, par les degrés saint Thomas s’élèverait seulement à la conception du Ir Être ou de l’Infini, il passerait ensuite de l’idée de l’Infini à son existence, sans donner ici explicitement la raison qui légitime ce passage. Examinons de près cette interprétation.

Dans sa thèse de Maître en Théologie De nostra naturali cognitione Dei, Nancy, 1879, le très regretté M. Vacant voyait dans la 4a via la preuve même de saint Anselme. Non pas, il est vrai, la preuve de saint Anselme telle qu’on la présente ordinairement et qui a pour unique point de départ la pure notion d’Infini ; car il est évident que saint Thomas a toujours regardé comme illégitime ce passage de l’idéal au réel (Ia q. II. a Ier ad 2am). Selon M. Vacant, l’argument de saint Anselme ne serait pas purement a priori, ni purement a posteriori ; l’existence de Dieu ne serait pas conclue de la notion d’Infini, mais bien de la capacité que nous avons de concevoir l’Infini. Cette capacité ne trouverait sa raison d’être que dans l’existence même de Dieu. – Il y a là une preuve difficile à faire valoir, mais véritablement démonstrative ; on la retrouverait aisément en plusieurs endroits des oeuvres de saint Thomas. Mais on aura beaucoup de peine à admettre que ce soit là le sens de la preuve par le degré des êtres ; il n’est pas fait allusion ici à cette capacité de notre entendement : et l’on verra par les textes du de Potentia et du II C. Gentes dont nous nous servirons pour commenter ce passage, que tout autre est la pensée de saint Thomas.

L’interprétation du P. de Munnynck qui semble s’éloigner un peu moins du texte, consiste à identifier la preuve de saint Thomas avec un argument du P. Lepidi, qui a été souvent qualifié de preuve a simultaneo, argument inspiré de saint Augustin, et qui, en réalité, est une reprise très adroite, la dernière possible semble‑t‑il, de l’argument ontologique tel qu’il se trouve chez Leibniz. – Pour que la preuve de saint Thomas ait un sens et une valeur, nous dit‑on, il faut se contenter de dire que la considération des degrés nous amène à concevoir un être plus grand que tous les autres, infini, et à le concevoir comme être réel par opposition à être de raison ; c’est, ensuite seulement, au nom du principe de la valeur objective de notre intelligence, qu’on pourra affirmer l’existence même de l’infini ; ce que notre intelligence conçoit comme réel est réel. – En d’autres termes, c’est la preuve a priori complétée par le principe qui sert de fondement à la preuve par les vérités éternelles.

Cet argument très intéressant demande à être expliqué ; on ne pourra plus reprocher, comme on l’a toujours fait aux partisans de l’argument ontologique, le passage illégitime de l’idéal au réel ; mais ce passage accordé par un réaliste, il restera, pour le Thomiste, une assez grave diffi­culté sur le point de départ idéal : notre conception de l’Infini comme être réel est‑elle légitime ? Réussit‑on à prouver mieux que ne le faisaient Descartes et Leibniz que l’Infini est possible ?

Nous pensons traduire exactement l’argument du P. Lepidi en disant « Ce que notre intelligence appréhende, c’est l’être de raison, qui est conçu comme ne pouvant exister que dans l’esprit, ou l’être réel, qui est conçu comme pouvant exister en dehors de l’esprit ; l’être réel, c’est‑à‑dire l’être qui a ordre à l’existence, est quelque chose, non pas parce qu’il est perçu, mais parce qu’il est quelque chose en lui‑même, soit qu’il existe actuel­lement en dehors de nous, soit qu’il existe seulement dans une puissance capable de le produire. Or la raison objective d’infini, c’est‑à‑dire la plé­nitude de l’être, représentée dans notre esprit par une similitude créée, n’est pas un être de raison, c’est donc un être réel. Mais ce n’est pas un être réel possible, in potentia causae existens, c’est donc un être réel actuel, reipsa in natura existens. »

L’existence de Dieu, nous fait‑on très justement remarquer, n’est pas ici déduite de la pure notion d’Infini, mais bien de la valeur objective de notre intelligence se représentant l’Infini comme être réel ; le principe de l’objectivité de notre intelligence entre dans l’argument comme pré­misse. Nous ne croyons pas cependant qu’il y ait là un argument pure­ment a posteriori : l’existence de Dieu n’est pas ici seulement déduite de la notion d’Infini, mais la preuve repose en partie sur cette notion. A notre avis, il n’y a pas là une preuve purement a priori, ni purement a posteriori (ab effectu), nous le montrerons. Ce n’est pas non plus, strictement parlant, une preuve a simultaneo, elle contient une inférence ; c’est, croyons‑nous, pour parler comme M. Vacant, un argument mixte. Mais, quoi qu’il en soit, cet argument n’est pas sans présenter d’assez graves difficultés dans sa mineure : Atqui ratio objectiva Infiniti, scil. plenitudo absoluta entis, repraesentata in mente per simililudinem creatam, non est ens rationis ; ergo est ens reale. Si cette mineure se ramène, comme on le dit, à ce que posait Leibniz : l’Infini peut exister en dehors de l’esprit, l’Infini est possible ; l’argument, à notre avis, ne saurait prouver, et le principe de l’objec­tivité de notre intelligence ne suffit pas à le rendre efficace.

En effet, selon Leibniz[7], l’Infini, ou l’être dont l’essence est d’exister, est possible, parce que, s’il n’était pas possible, a fortiori les êtres con­tingents, qui n’ont pas en eux‑mêmes la raison de leur existence, ne le seraient pas non plus ; mais ils sont possibles, puisque de fait, ils existent. – A cela nous répondons : Vous concevez a fortiori l’être dont l’essence est l’existence comme possible, parce que vous posez d’abord qu’il a en lui‑même la raison de son existence ; mais c’est précisément la question : peut‑il y avoir un être qui ait en soi la raison de son existence, qui soit l’existence même ? (Vous me direz : c’est la définition nominale de Dieu, point de départ de toute démonstration. Mais, précisément, le concept que nous nous formons quand on prononce le mot Dieu, a‑t‑il une valeur objective ; est‑il si sûr que ce concept n’implique pas contra­diction ?) Nous conclurons ab effectu qu’il faut qu’un pareil être existe sans quoi rien ne serait ou même ne serait possible[8] ; mais nous ne savons pas a priori, ni même par l’a fortiori leibnizien, si cet Être‑là est possible, avant de savoir s’il existe. Tel être peut exister, puisque, de fait, il existe, dirai‑je avec Leibniz, mais l’Être peut‑il exister ? Nescio. Je sais seulement qu’il faut qu’il existe, si quelque chose est. – Bref, nous concevons clairement que l’existence doit appartenir nécessairement à l’Être Infini, s’il est possible. Comme nous concevons que la plus grande somme de perfections créées doit appartenir au meilleur des mondes pos­sibles, s’il est possible ; mais le meilleur des mondes possibles ne saurait être donné.

Dans la Monadologie, Leibniz prétend établir que l’Infini est pos­sible, parce que l’idée de l’Infini ne contenant aucune négation ne peut envelopper de contradiction. Mais on ne voit pas que l’idée du meilleur des mondes possibles, ou l’idée du mouvement le plus rapide renferment de négation ; toutes deux néanmoins impliquent contradiction.

Si l’argument du P. Lepidi doit être interprété dans le sens de celui de Leibniz, nous croyons que malgré le principe de la valeur objective de notre entendement, introduit comme prémisse, il est inefficace.


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On a rapproché aussi cet argument de celui de saint Augustin, qui n’est autre que la preuve par les Vérités éternelles[9], mais uniquement pour montrer qu’il n’est pas illégitime de passer, en vertu du principe de l’objectivité de notre entendement, de la possibilité idéale (la simple non répugnance), à la possibilité réelle (possibile alicui causae) qui, lorsqu’il s’agit de l’Infini, doit faire place à l’existence actuelle. Et comme nous ne croyons pas que la possibilité positive idéale soit établie, l’argument du P. Lepidi, selon nous, n’est pas rendu pour cela plus efficace.

Par ailleurs, il n’est pas inutile de remarquer la différence qu’il y a entre l’argument que nous critiquons et celui de saint Augustin, qu’on nous dit être si semblable. Dans cette nouvelle preuve, voici comment on rai­sonne : L’essence du triangle et les propriétés qu’on en déduit apparaissent comme quelque chose de nécessaire et qui ne cesserait pas d’être vrai alors même qu’aucun triangle particulier n’existerait pour réaliser cette essence, aucun entendement humain pour la concevoir ; cette essence, conçue par mon esprit comme éternellement possible, l’est réellement, en vertu de la valeur obulective de mon intelligence, qui a pour objet non seulement le pensable, mais le possible[10], au sens le plus réel du mot ; réellement pos­sible, cette essence demande un fondement réel dans une réalité absolue qui existe actuellement, et qui, dans le cas présent, doit être au moins quelque chose comme le triangle en soi (à moins qu’on ne pousse la preuve, comme il le faudrait d’ailleurs, jusqu’à postuler un être dans lequel les essences et vérités éternelles soient comme connues). On pourra faire le même raisonnement sur toutes les essences, et sur l’essence suprême, si l’on peut dire, la ratio entis, conçue elle‑même comme quiddité, et les propriétés qui en découlent, les transcendantaux. On requiert un fonde­ment réel, or, ce fondement doit être air moins proportionné ou contenir éminemment l’essence abstraite conçue par nous, nous pourrons l’appeler ici l’être en soi[11]. L’objet de la métaphysique générale réclame un fon­dement, comme l’objet des mathématiques.

Le Père Lepidi va plus loin[12] (et on comprend bien pourquoi on l’a rapproché de Leibniz) ; il ne se contente pas de parler de la ratio entis, terme de l’abstraction formelle, qui est objet de première intention comme tout universel métaphysique, et. donc quelque chose de réel, par opposition à l’être en général, terme de l’abstraction logique, qui, lui, est un être de raison ; il parle de la raison objective d’Infini, scil. plenitudo absoluta entis, et c’est ici qu’il nous est difficile de le suivre. Son point de départ est tout différent ; il suppose établie la possibilité positive idéale de l’Infini, de là il infère, en vertu du principe de l’objectivité de notre entendement, l’existence même qui doit se substituer dans le cas, à la possibilité réelle. Le point de départ est à établir ; on peut répéter ici les objections faites à Leibniz.


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Cependant, on pourrait nous dire : avant même de chercher à établir par le raisonnement la possibilité positive idéale de l’Infini, je vois bien que mon concept d’Ipsum esse, qui ne comporte aucune limite, n’est pas un être de raison ; il ne peut donc se référer qu’à une réalité infinie.

A cela, nous répondrons, et c’est bien, croyons‑nous, la pensée de saint Thomas : ce concept d’Ipsum esse est un concept positif et absolu qui ne s’appliquera à Dieu qu’analogiquement ; or nous ne connaissons pas a priori la portée analogique de nos concepts, en particulier lorsqu’il s’agit de concepts positifs et absolus nous n’y arrivons que par l’intermédiaire du concept essentiellement relatif de cause. La véritable analogie (analogia sec. esse et non solum sec. intentionem)[13], ne l’oublions pas, repose sur la causalité (Ia, q. 13, a. 1, 2, 5. – De Veritate XXIII, 7, ad 9m). en vertu du principe : omne agens agit sibi simile in quantum est agens (Ia, q. 4, a. 3). – Je sais que mes concepts d'être, de sagesse, de bonté, qui me viennent des choses finies, peuvent s'appliquer analogiquement à une réalité d'un autre ordre, parce qu'une réalité d'un autre ordre est requise comme cause[14] des êtres finis qui m'ont donné ces concepts ; et que la cause doit être toujours, au moins analogiquement, semblable à ses effets. (Ia, q4, a. 3). Causer c'est déterminer ; or on ne saurait déter­miner qu'en vertu de sa propre détermination ; il faut donc que, d’une cer­taine manière, la forme de l'effet soit une similitude de celle de l'agent, en tant précisément qu'il est agent.

Dans les preuves de saint Thomas, la définition nominale de Dieu qui constitue le medium de démonstration est essentiellement relative aux créatures, et, de plus, c’est ab effectu que l’on prouve qu’il faut que quelque chose de réel corresponde au concept qu’exprime cette définition. (Ia, q. II, a. 2., ad 2um.)

Lorsqu’on nous dit : « Atqui ratio objectiva Infiniti, scil. plenitudo absoluta entis, representata in mente per similitudinem creatam, non est ens rationis ; ergo est ens reale », je me demande de quel droit on parle déjà de « raison objective » et de « similitude » : tout cela est à prouver.


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De la représentation analogique d’une essence, on ne pourrait conclure sa possibilité positive ; or, nous ne savons même pas, en ce moment, si la représentation que nous avons dans l’esprit a la valeur d’un concept analogique.

Pour bâtir une preuve de Dieu sur le fait de l’existence en nous de l’idée de l’Infini, et sur la valeur objective de cette idée, il importerait de justifier cette valeur objective, en nous disant comment notre intelligence arrive à la conception de cette idée. Il faudrait montrer à quoi répond notre concept d’être, abstrait des choses sensibles, dans la mesure où cette abstraction est possible ; et comment, au seul point de vue des concepts, ­nous passons de l’être prédicamental, objet propre de notre entendement, à cette plénitude de l’être dont il est ici question. Et, ce faisant, n’aurait­-on pas déjà prouvé l’existence de Dieu, si l’on suppose l’être prédica­mental existant ; puisqu’au fond toute analogie repose sur la causalité, et puisqu’il ne nous est permis d’appliquer à Dieu notre concept d’être ou d’Ipsum esse, que parce que Dieu a été requis comme cause des êtres qui nous ont donné ce concept. Des trois voies qui nous permettent de con­naître Dieu naturellement : via causalitatis, via excellentiae, via remotionis, la troisième se ramène à la seconde et la seconde à la première.

Nous ne saurions admettre que dans cette preuve par les degrés des êtres, saint Thomas s’élève par l’abstraction de toute limite à une idée de l’Ipsum esse, qui serait l’idée même de Dieu. On nous dit bien qu’il faut distinguer deux abstractions : « A determinatione abstrahendo pervenit mens ad ens vacuum, ad prope nihil ; sed abstrahendo a limitatione evanescunt quidem determinationes, ratione cujus id quod attingitur jam non est aliquod ens, sed ens infinitum quod est Deus. » Et ce serait sur cette seconde abstraction que reposerait la 4e preuve de saint Thomas. Nous admettons bien aussi deux procédés légitimes d’abstraction ; ils se rapprochent même beaucoup de ceux dont il est ici parlé, sauf cependant pour ce qui est du terme ; ce sont les deux abstractions si nettement distinguées par Cajétan (de Ente et Essentia Proœmium q. 1) : 1° l’abstraction totale (ou logique) qui sépare une potentialité confuse des actualités spécifiques qui la déterminent ; 2° l’abstraction formelle (ou métaphysique) qui sépare une actualité distincte des potentialités matérielles qui la limitent. Mais cette seconde abstraction, l’abstraction formelle, qui n’est, d’ailleurs, jamais complètement possible lorsqu’il s’agit d’un analogue (parce que la raison commune ici n’est pas une simpliciter, mais une proportionnellement) cette seconde abstraction, dis‑je, n’aboutit pas à Dieu, mais bien à la raison d’être analogiquement commune à la substance et à l’accident, à Dieu et au créé ; ou bien si l’ab­straction porte plus précisément sur l’existence, elle aboutit, non pas à l’Ipsum esse positivement infini, mais à l’être qui abstrait du fini et de l’infini, à l’esse, suprême détermination et actualité ultime de toute chose[15], qui n’est pas limité par lui‑même, mais par l’essence qui le reçoit. Le terme de cette abstraction formelle c’est l’être dont Cajétan nous dit : « Forte adhuc viris doctissimis non innotuit[16] ». – Nous ne pouvons affirmer, même en vertu de la valeur objective de notre entendement, qu’une réalite infinie correspond à ce concept de l’Ipsum esse : ce concept abstrait des réalités prédicamentales correspond d’abord à l’être d’exis­tence qu’elles détiennent, il ne nous mène pas à Dieu quasi a simultaneo comme une image à ce qu’elle représente. Même dans l’argument de saint Augustin, c’est par voie de causalité qu’un fondement réel est requis à l’être abstrait conçu par nous. La raison d’être et ses propriétés ne­ représentent pas un simple possible idéal (pensable) ; c’est un possible réel, disons‑nous en vertu de la valeur objective de notre entendement ; or ce possible réel demande un fondement au moins analogiquement pro­portionné. On passe ici par une possibilité réelle avant d’atteindre une existence actuelle. L’objet de la métaphysique générale demande un fon­dement réel comme l’objet de mathématiques. Il faut, pour affirmer qu’une réalité actuelle infinie correspond à notre concept d’Ipsum esse, partir d’une réalité (réel actuel comme chez saint Thomas, ou réel possible comme chez saint Augustin), qui ait raison d’effet et à laquelle convienne d’abord quoad nos ce concept, puis par un raisonnement fondé sur la causalité s’élever jusqu’à une réalité infinie. – Saint Thomas constatera que les choses finies ne rendent pas compte de leur existence en vertu de ce principe si nettement exprimé au IIe C. Gentes 15 « Omne quod alicui convenit non secundum quod ipsum est, per aliquam causam ei convenit », et il conclura par analogie à l’existence d’un être qui soit l’Ipsum esse réel, et explique la présence de l’être participé par les réalités prédicamentales. C’est au fond, nous allons le voir, le nerf de la 4e preuve de saint Thomas. – Dans cette démarche suprême, notre intelligence franchit les limites de son objet propre, l’être prédicamental, pour lui trouver sa raison dernière ; elle atteint, par la causalité et l’analogie, un être qui dépasse son objet propre, mais auquel cet objet propre fait appel pour être pleinement connu, ce qui explique notre désir naturel de voir Dieu.


II

Voici l’interprétation que nous proposerons[17].

Si la 4a via de saint Thomas est des cinq preuves la plus profonde[18], mais c’est, croyons‑nous, parce qu’on a recours pour déceler la contin­gence à quelque chose de moins révélateur au premier abord, mais de plus profond et de plus universel que le mouvement, la génération ou la corruption ; on a recours à ce fait que les êtres possèdent à des degrés divers certaines perfections convertibles avec l’être même. Cet argument non seulement permet de prouver l’existence du Dieu unique et infini, mais il permet de prouver que rien de fini n’existe qui ne demande Dieu pour cause. Et, c’est pourquoi saint Thomas l’a repris dans les mêmes termes, lorsqu’il s’est demandé II C. Gentes, ch. XV, 2e §, et de Potentia q. III a. 5. 2a ratio : Utrum Deus sit omnibus causa essendi.

C’est là qu’il s’est le plus nettement expliqué et c’est là qu’il faut aller chercher le sens de cette majeure : « Magis et minus dicuntur de diversis secundum quod appropinquant diversimode ad aliquid quod maxime est ». La preuve en est donnée au de Potentia q. III, a. 5, 2a ratio : « si enim unicuique eorum ex se ipso illud conveniret, non esset ratio cur perfec­tius in uno quam in alio inveniretur » ; en effet, si chacun possédait par soi-même cette perfection, était cause propre, totale, de cette perfection, il n’y aurait aucune raison pour que cette perfection fût réalisée à des degrés divers[19].

Au II c. Gentes, ch. XV, § 2e, il est dit de même : « Quod alicui convenit ex sua natura et non ex aliqua causa, minoratum in eo et deficiens esse non potest. » En langage aristotélicien, cela revient à dire : une propriété, pas plus qu’une différence spécifique, n’est susceptible de plus et de moins puisque la propriété a sa cause totale dans la différence. En d’autres termes, et d’une façon plus générale : une perfection, qui se trouve dans un être à un degré inférieur, ne saurait lui appartenir selon ce qui le constitue en propre. Cela est évident pour tout le monde : ce qui constitue en propre une espèce ou un individu ne saurait appartenir à d’autres, surtout à un degré plus parfait. – Si donc une perfection appartient à une espèce à un degré moindre qu’à une autre espèce, elle ne peut être ni sa différence spécifique, ni une de ses propriétés. Si une perfection appartient à un individu à un degré moindre qu’à un autre, elle ne saurait être sa carac­téristique individuelle. – Mais s’ensuit‑il qu’une pareille perfection est quelque chose de causé. La vie, par exemple, qui appartient à la plante à un degré moindre qu’à l’animal, ne lui appartient pas moins en vertu de sa nature même, à titre d’élément générique ; pourquoi ferait‑elle appel à une cause ?

Je réponds : il suffit que les textes de saint Thomas que je viens de citer établissent qu’une perfection qui se trouve dans un être à un degré infé­rieur ne lui appartient pas selon ce qui le constitue en propre. Car au même chapitre du c. Gentes quelques lignes plus haut, § Ier, saint Thomas affirme et prouve que ce qui ne convient pas à une chose, selon ce qui la constitue en propre, est en elle quelque chose de causé : « Omne, quod alicui convenit, non secundum quod ipsum est, per aliquam causam ei convenit ; nam quod causam non habet, primum et immediatum est[20]. » Ce qui, en effet, n’appartient pas à un être secundum quod ipsum est, c’est‑à‑dire per se et immediate,(I Post. Anal., ch. IV) peut bien n’être pas un prédicat accidentel (ainsi la vie qui appartient à des degrés divers à la plante et à l’animal, à titre de prédicat essentiel) ; mais l’attribution n’étant pas immédiate est nécessairement per aliud[21] (per se primo exclut non seulement le per accidens mais encore le per aliud). Le caractère attribué n’est pas donné immédiatement avec le constitutif propre de la chose, puisqu’il peut être réalisé ailleurs à un degré plus parlait ; il y a là deux termes qui ne s’appellent pas mutuellement, convertibiliter ; il y a là un composé métaphysique ; il y a là une dualité. Or une dualité, aussi bien celle qui s’oppose à l’unité trancendantale que celle qui s’oppose à l’unité numérique, une dualité ne saurait être quelque chose de primitif ; « nam quod causam non habet, primum et immediatum est, unde necesse est quod sit per se et secundum quod ipsum[22]. » Ontologiquement, l’un est antérieur au multiple, car il se définit sans faire appel au multiple, tandis que le multiple ne se définit pas sans lui (Ia, XI, a. 1 ad 2um et a. 2. ad 4um et Méta. lec. 4) « multitudo non contineretur sub ente, nisi contineretur aliquo modo sub uno ».

Cette loi impérieuse des rapports de la multitude et de l’unité, loi la plus profonde de l’être, apparaît plus clairement lorsqu’on considère que le caractère, qui n’appartient pas à une chose selon ce qui la constitue en propre, appartient simultanément à d’autres, à un degré égal ou supé­rieur : ce caractère commun à plusieurs êtres fait nécessairement appel à une cause une : multitudo non reddit rationem unitatis, répète constamment Denys[23]. – Saint Thomas, à l’art. V déjà cité du de Pot, q. III écrit : « Oportlet, si aliquid unum communiter in pluribus invenitur quod ab aliqua una causa in illis causetur ; non enim potest esse quod illud commune utrique ex se ipso conveniat, cum utrumque, secundum quod ipsum est, ab altero distinguatur ; et diversitas causarum diversos effectus producit. » La similitude constitue une unité secundum quid, qui doit se ramener à une unité simpliciter.

Quel est donc, d’après ces textes, le sens de la majeure de la 4a via : « Le plus et le moins se disent de choses différentes, suivant qu’elles approchent à des degrés divers de ce qu’il y a de plus élevé » ? Cela revient à dire que lorsqu’une perfection se trouve à un degré inférieur dans un être, elle est en lui quelque chose de participé et fait appel à une cause[24] de laquelle elle se rapproche plus ou moins, suivant qu’elle par­ticipe plus ou moins. Cette cause ne saurait être que l’être qui possède per se primo la même perfection, et donc qui est cette perfection même ; c’est en lui seul, en effet, que nous trouverons la raison suffisante cherchée. Nous arrivons ainsi à conclure à l’existence d’un être, non pas seu­lement plus parfait que les autres, mais le plus parfait qui se puisse concevoir : c’est ainsi que la vie participée par la plante et par l’animal ne peut avoir sa raison que dans un être supérieur qui est la Vie même[25].

Tout cela me semble parfaitement solide pour un conceptualiste réa­liste comme saint Thomas. – Dans la 4a via, saint Thomas conclut l’exis­tence du « Maxime Tale », parce qu’il le postule comme cause réelle de perfections actuellement réalisées ; et c’est pourquoi il pourra affirmer, sans autre raison, à la fin de sa preuve « quod autem dicitur maxime tale in aliquo genere est causa omnium quae sunt illius generis ». Cela est évident d’après les deux passages auxquels je renvoie (on y prouve préci­sément le causa omnium, par le principe Magis et minus dicuntur de diversis... ) Et c’est bien aussi, je pense, le sens de la leç. II du IIe des Métaph., à laquelle se réfère saint Thomas (voir aussi II sent. dist. I q. I a. 1. Saint Thomas renvoie à Avicenne.)

A notre avis, cette 4a via de saint Thomas revient donc à ceci sans aucun sophisme : Il existe un être souverainement parfait et cause de tous les autres êtres. Or Dieu, s’il existe, doit être l’être le plus parfait et cause de tous les autres. Donc Dieu est. La mineure est la définition nominale, saint Thomas l’a mise à la fin de la preuve. La majeure se prouve ainsi : lorsqu’une perfection se trouve à un degré inférieur dans un être, cet être ne suffit pas à en rendre compte, il faut qu’elle ait sa cause dans un être supérieur qui soit cette perfection même. Or nous trouvons dans l’univers des êtres qui possèdent à des degrés divers, la bonté, la vérité, la noblesse. Il faut donc qu’il existe un être qui soit la Bonté, la Noblesse, la Vérité même, et donc qui soit l’Être même. Mais cet être, requis comme cause de l’être en tant qu’être participé par les êtres imparfaits que nous consta­tons, doit être par là même cause de tous les êtres ; c’est bien ce qui répond à la définition nominale de Dieu.

Ce raisonnement a son point de départ dans le réel et ne l’aban­donne pas un instant ; mais il ne suffit pas de dire comme on l’a fait quel­quefois en se plaçant dans le réel : « Il faut un premier dans l’échelle des êtres, puisque de fait les êtres se graduent en perfection.[26] »

On n’a le droit de s’arrêter à un premier, que si ce premier est non seulement plus parfait que les autres, mais le plus parfait qui se puisse concevoir. Nous pourrions aller à l’infini dans la série des êtres plus par­faits qui resteraient toujours en deça de la perfection même. Si nous nous arrêtons, ce ne peut être qu’au nom du principe de causalité, qui exige un être qui soit la perfection même ; car cet être là seulement sera la raison, suffisante des perfections réelles constatées qui ne peuvent avoir leur raison d’exister dans les êtres qui les possèdent.


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Tel est, croyons‑nous, le sens de cette preuve. Ainsi entendue elle est parfaitement conforme aux principes de la métaphysique de saint Thomas ; et pour une philosophie du concept, elle est parfaitement rigoureuse. Nous nous sommes contentés ici de rapprocher les textes par lesquels elle doit être commentée. Il y aurait à insister sur les rapports de l’un et du multiple et pour avoir sur ce point toute la pensée de saint Thomas, il faudrait se rapporter à ses commentaires sur le X. Métaphy. et surtout à ceux sur les Noms divins ch. IV., V., XIII.

L’unité ne serait‑elle donc que l’éternelle manie des métaphysiciens, comme le disait M. Renouvier, dans sa première philosophie[27] ? Ce poly­théiste attardé dût lui‑même, dans la suite, se ranger parmi ces maniaques dont la pensée ne se repose que dans l’un ; et en dépit de ses préjugés démocratiques qui étaient bien pour quelque chose dans son hypothèse polythéiste, – on le vit admettre enfin le Dieu unique et créateur, le mo­narque de qui tout dépend et qui ne dépend que de lui seul. – Non seule­ment l’unité est la loi primordiale de la pensée, c’est aussi la propriété la plus intime de l’être. Nos idées qui nous viennent des réalités sensibles nous représenteront très imparfaitement sans doute l’unité très pure de l’être premier ; mais quoi qu’on en dise, la [...] du vieil Aristote n’est quelque chose de contradictoire que pour les anthropomorphistes qui prennent univoquement les analogies qu’on leur apporte. Que l’imperfection de nos concepts ne nous donne pas le change ; si ces concepts inadéquats ne nous permettent pas de nous prononcer a priori sur la possibilité de l’existence de Dieu, ils ne sauraient non plus nous faire conclure à l’im­possibilité de cette existence. Le Dieu des théologiens n’est pas l’identifi­cation des contradictoires, il est l’unité transcendante en laquelle se résol­vent dans une harmonie supérieure ces oppositions qui ne sont inconci­liables que dans le monde du multiple ; je ne puis percevoir cette harmonie, mes concepts n’y atteignent pas mais l’existence de cette unité transcendante n’est pas moins invinciblement requise par l’unité même qui est dans les choses au sein de la multiplicité.

C’est en effet aux rapports de l’un et du multiple que nous devons rame­ner, pour la bien définir, la dépendance de l’imparfait vis‑à‑vis du parfait : il n’est pas d’évidence immédiate que l’imparfait suppose le parfait, tandis qu’il suffit de définir le multiple pour trouver en lui de l’unité, de l’unité dont il ne peut pas rendre compte. L’unité est une propriété de l’être, l’être ne peut pas ne pas être un : la perfection au contraire peut lui man­quer. Or lorsqu’il s’agit de résoudre un problème dans lequel l’être, en tant qu’être, est en question, il faut en venir à la considération des propriétés même de l’être ; ici, ni le vrai, ni le bien ne nous occupent directement, il s’agit de l’être en lui‑même et non par rapport à une intelligence ou à un appétit, et pour trouver la solution, il faut remonter jusqu’à la propriété la plus intime de l’être qui est l’unité. La dépendance de l’imparfait vis‑à‑vis du parfait doit être éclairée à la lumière des rapports de l’un et du multi­ple : l’imperfection en effet naît de la limite[28], la limite de la division, c’est‑à-dire de la multiplicité ; partout où il y a limite, pour un conceptua­liste, il y a ce qui limite et ce qui est limité ; en langage aristotélicien : l’acte dont le concept ne comporte pas telle ou telle limite ne peut en fait être limité que par une puissance qui le reçoit et le restreint, puissance avec laquelle il constitue un composé[29] ; cette dualité est, dans l’imparfait, la marque de sa contingence, car, en fin de compte, la contingence ne peut se manifester à notre esprit que dans la liaison non nécessaire de deux ter­mes. C’est au contraire à l’indivision même de l’acte, à la pureté de l’acte que le parfait doit d’être quelque chose de primitif et d’absolu, la puissance principe de limitation ne saurait trouver place en lui, il est acte pur ; tous ses attributs sont immédiatement donnés avec son constitutif formel, il est aussi parfaitement un qu’il est possible de le concevoir, et donc il est quel­que chose de premier sans dépendance aucune vis‑à‑vis de quoi que ce soit. – Partout où il y a plus et moins il y a mélange de puissance et d’acte, et la présence de cet acte plus ou moins restreint, n’est explicable que par la forme pure, l’acte pur.

Saint Thomas, dans la Somme, ne traite‑t‑il pas de la simplicité de Dieu avant de traiter de sa perfection, et s’il remet à la q. XI le de Unitate Dei c’est qu’il s’agira surtout de l’unicité.

S’il n’est pas facile de concevoir comment le multiple peut sortir de l’un[30], cela s’explique pourtant lors qu’on considère que l’unité est encore au sein même du multiple. Si le multiple est primitif, qui donc rendra compte de l’unité qui est en lui ?


  1. Cf. Cajetan in Iam q. IV, a. 3, q. LXV, a. 1, q. CIV, a. 1. Jean de Saint-Thomas, Cursus Theologicus, de creatione q. 44, disp. XVIII, a. 1, solvuntur objectiones, et q. 45, disp. XVIII, a. 4, n° 7.
  2. Praelectiones de Dei existentia. P. de Munnynck. Uystpruyst Dieudonné, rue de la Monnaie, 10, Louvain.
  3. Ia q. II, a. 3.
  4. Phaedre, p. 245 c. Pheadon, 74, a. sq. Repub., VII, p. 532 a (édit. stephanian).
  5. P. JANET. La Dialectique de Platon.
  6. ] Ia q. 44, a 1. Unde Plato dixit quod necesse est ante omnem multitudinem ponere unitatem ; et Aristoteles dicit, in 2 Meta. Text. 4, « quod id quod est maxime ens et maxime verum est causa omnis entis, et omnis veri, sicut id quod est maxime calidum est causa omnis caliditatis ». (Cf. etiam Ia, 65, a. 1 c. et de veritate q. 25, a. 4).
  7. Mémoires de Trévoux, 1701. – On sait que ce n’est pas la seule preuve. qui soit donnée par Leibniz pour établir que Dieu est possible (Conf. Monadologie, Ed. BOUTROUX, Notice). Descartes dans ses Réponses aux deuxièmes objections aux « Méditations », avait déjà essayé de le prouver. (Cf. Œuvres, éd. V. Cousin, t. Ier, p. 407 et 441). Mais Leibniz, comme Descartes, ne peut tout au plus démontrer qu’une chose, c’est que nous ne voyons pas d’impossibilité à ce que Dieu existe ; la possibilité positive nous échappe et nous échappera tant que nous ne saurons pas ce qu’est l’essence de Dieu ; on pourrait ici étendre le mot de saint Thomas, Ia, q. II. a. 1, et dire : quia nos non scimus de Deo quid est, non possumus scire an sit capax existendi. Bien plus, les prédicats nécessairement liés dans notre esprit au concept de l’Infini ne semblent pas compatibles les uns avec les autres ; en lui devraient s’identifier des perfections dont nous ne saisissons pas la compossibilité. Aux objections faites par les athées sur la possibilité de l’existence de l’Infini, et de sa coexistence avec le fini, nous n’avons pas de meilleure réponse que celle‑ci ; il a été prouvé que l’Infini existe, donc il est possible. – Quelle solution donnera‑t‑on au problème de la compossibilité de l’Acte pur et de la liberté, par exemple, si la réalité de l’Acte pur n’a pas d’autre base que celle‑ci : nous le concevons comme possible ? Pour ma part, je maintiens l’Acte pur, par cette raison que s’il n’est pas, rien n’est ; la preuve de Dieu n’est pas infirmée par toutes les difficultés subséquentes, s’il a été prouvé qu’il faut qu’un être nécessaire existe : ne le serait‑elle pas si elle reposait uniquement sur l’affirmation de sa possibilité ? – Billuart avait déjà répondu dans le sens que nous indiquons, t. I, diss. 1, art. 3, § II. Cf. etiam SCOT, 1 Sent d. 2. q. 2., n. 31, 32.
  8. La question an sit doit précéder quoad nos la question quid sit Ia, q. 2, a. 2, ad 2um.
  9. Cet argument est présenté par Leibniz (Erdm. 719 a.) comme preuve a posteriori, toute différente de sa preuve a priori qui repose sur la possibilité de l’existence de Dieu. Ces deux preuves restent parfaitement distinctes, lors même qu’on introduit comme prémisse dans la preuve a priori le principe de la valeur objective de notre intelligence.
  10. Et possible, non pas seulement en ce sens que si jamais il y avait de l’être, l’être devrait se soumettre aux lois reconnues par notre esprit (principe d’identité, de con­tradiction, de causalité) ; car alors il faudrait dire que les lois de l’être peuvent avoir leur fondement dans l’Idéal pur ; que l’Idéal est premier et capable de produire l’être. – C’est ce que Kant admettait encore dans son traité Der einzig mögliche Beweisgrund zu einer Demonstration für das Dasein Gottes (1763) 1 Abth., 2, Betr. Nr. 2. Le possible, qui est donné avec la pensée même, suppose l’être, car « si rien n’existe, rien n’est donné qui soit objet de pensée ». – (Cf. Mélange et Logique. Trad. Tissot, p. 23.)
  11. Et il serait moins difficile de plier la 4a via de saint Thomas à cette interprétation qu’à celle que nous critiquons ; bien que, selon nous, la 4a via diffère de l’argument de saint Augustin. Dans l’argument de saint Augustin (De Libr. arbr., l. II, capp. XI XII, XIII), on part de ceci que l’essence idéale du triangle est quelque chose de nécessaire et d’éternel, qui ne saurait avoir son fondement dans des êtres qui apparaissent comme contingents dès qu’on les compare à cette essence idéale, la même pour tous. Dans la 4a via, on montre que les êtres qui nous entourent ne rendent pas compte des perfections qu’ils possèdent à un degré inférieur ; cette infériorité est une preuve que ces perfections réalisées sont contingentes.
  12. Au moins dans l’argument cité et aussi peut‑être dans ses « Opuscules philo­sophiques », p. 103.
  13. L’analogie qui n'est pas, selon une dénominalion extrinsèque, mais bien selon une raison proportionnellement une, intrinsèque aux deux analogués. Conf. Cajetan « De Analogia Nominum » in principio. Opusc. Caj. vol. III. Tract. v, c. VI (Ven. 1612.)
  14. Mais le concept de cause, dira‑t‑on, n'ignorons‑nous pas au même titre sa portée de concept analogique, et comment pouvons‑nous la reconnaître avant de reconnaître celle du concept d'être qui est plus universel que, lui ? ‑ Je réponds que le concept de cause est un concept esentiellement relatif et ce sont les exigences positives des réalités finies qui m’obligent à lui reconnaître une portée sur l'Absolu. – Mais auparavant, j'y suis autorisé d'une manière négative par le concept d'être Iui‑même. Nous ne savons pas a priori si notre concept est susceptible de s’appliquer à une réalité d'un autre ordre, mais nous voyons cependant qu’il déborde les réalités finies dans lesquelles nous le percevons : elles lui imposent une limite que sa notion ne comporte pas ; et cela nous autorise, d'une façon toute négative, il est vrai, à ne pas restreindre sa portée à l'ordre des réaIités finies. Dès lors, la voie est ouverte, et les exigences positives des réaIités finies pourront nous autoriser à étendre la portée de ce concept à un autre ordre. Or ces exigences se manifestent selon le concept essentiellemnt relatif de cause : Je m'aperçois que le monde n'a pas en soi sa raison d'être, qu’il porte les marques de la contingence, que l'être, en tant qu’être, n'a sa raison dans aucun des êtres qui le détiennent, en lui imposant une limite que sa notion ne comporte pas. Dirai‑je qu'il faut au monde une cause ? Mais faut‑il entendre causalité au sens ordinaire d'efficience productrice et de causalité transitive ? Il ne le semble pas. Je m’aperçoit que le concept de cause ne saurait s'alipliquer ici de la même manière qu'aux réalités finies, et je ne sais pas en quel nouveau sens il faut l’entendre ; mais comme le monde est marqué du signe de la contingence, je puis écrire au moins cette proportion : Ce que tel effet particulier est à sa cause, d’une certaine manière le monde doit l'être vis‑à‑vis d'une réalité inconnue, qui mérite analogiquement le nom de cause, et proportionnellement comme toute cause doit avoir quelque similitude avec ses effets. — Il restera à préciser dans la suite quelles sont les modifications que doit subir l’idée de cause pour s’appliquer à Dieu ; Voir Ia, q. 25 art. 1er, ad 3m « salvatur in Deo ratio potentiae quantum ad hoc, quod est principium effectus, non autem quantum ad hoc, quod est principium actionis ; nisi forte... » et Ia, q45, art. 3 ad 1m, « Creatio active significata, significat actionem divinam quae est ejus essentia, cum relatione ad creaturam. Sed relatio in Deo ad creaturam non est realis, sed secundum rationem tantum. »
  15. Ia, q. 4. a. 1. ad 3um.
  16. Nous ne savons pourquoi le P. Lepidi dans ses « Opuscules philosophiques » trad. Vignon Lethielleux, p. 104, applique à Dieu, à l’Absolu, cette réflexion de Cajétan : réflexion qui ne fait que répéter ce que disait saint Thomas Ia q. 44. a. 2. : « Et ulterius aliqui erexerunt se ad considerandum ens in quantum ens. » Cette vue distincte de l’être en tant qu’être, saint Thomas ne l’accorde pas toujours à Platon et à Aristote ; s’ils l’avaient eue, ils se seraient élevés jusqu’au concept de création.
  17. Elle se rapproche de celle de Kleutgen « La Philosophie scolastique », t. IV : de la Création ; bien qu’elle en diffère sur un point essentiel : la raison qui nous interdit de remonter à l’infini.
  18. Cette preuve d’origine platonicienne évidemment, se retrouve chez Aristote, Metaphy. II (I) ch. 1. – Saint Thomas II. sent, d. 4. q. 1. a. 1, nous dit qu’il la prend chez Avicenne. Chez saint Augustin elle se trouve en plusieurs endroits, mais presque toujours plus ou moins confondue (comme plus tard chez Bossuet, IIe Elevat. Ire semaine) avec la preuve par l’idée de perfection ; par exemple dans le de Trinitate livre III, c. 3 ; cependant il semble bien que saint Augustin nous donne simplement la preuve fondée sur la causalité dans le de Civ. Dei, l. VIII, ch. VI, fin « Quod autem recipit magis et minus... » Voir aussi de Doctr. christ., l. I, ch. VI, fin, et libr. LXXXIII, quest. Q. XLV. – Chez Denys, de Div. Nom. (Comm. de saint Thomas) elle domine tout le ch. IV ; elle se trouve ch. V, leç. 1, et ch. XIII, leç. 2. « Omnium est unum inegressibiliter causa. Nihil enim existentium est non participans uno... Et sine uno quidem non erit multitudo, sine multitudine vero erit unum. Et si auferas unum, neque totalitas, neque pars, neque aliud nihil existenti erit. » – Il serait très intéressant d’étudier comment cette même preuve se fortifie chez Boèce, par la distinction de l’esse et du quod est (comm. de saint Thomas de Hebdom.) – On peut la lire dans saint Anselme, Monolog. c. 3, et seq. ; dans Richard de St. Vict. de Trinit. l. I, c. XI et XII ; dans Albert le Grand, Compend. Theol. verit. c. 1 ; dans Alex. de Halès, Sum., Theol. I, q. 3, a. 9., dans tous ces textes, je la vois fondée sur la causalité. – Les Tho­mistes n’ont pas méconnu sa portée, loin de là, il suffit de lire leurs analyses de la cause per se primo (J. de St. Th. de Creatione, art. IV). – Cette preuve enfin est celle qui est appelée chez Descartes preuve a contingentia mentis, laquelle, en effet, n’est pas né­cessairement solidaire de celle par l’idée d’Infini ; l’âme voit dans sa propre imperfection une marque de sa contingence. Descartes, qui s’excuse ici (Disc. Méth. 4e partie) d’user librement des mots de l’École, donne le même raisonnement que saint Thomas (II C. Gentes, ch. XV, 2e §) « car si j’eusse été seul et indépendant de tout autre, en sorte que j’eusse eu de moi‑même, tout ce peu que je participais de l’être parfait, j’eusse pu avoir de moi, par même raison, tout le surplus que je connaissais me manquer, et ainsi être moi‑même infini... » St Th. disait « quod alicui minus convenit quam aliis, non convenit ei ex sua natura tantum, sed ex alia causa ». Voir aussi Descartes, 3e Médit. – Notons seulement que Descartes, comme souvent saint Augustin constate un manque, une privation, saint Thomas s’en tient à la constatation d’une négation. – De nos jours M. Ch. Dunan, dans ses Essais de Philosophie générale (Delagr. 1902), p. 566, y voit la seule preuve vraiment philosophique, il la formule très justement ; mais, pour l’auteur, l’argument tire sa valeur de ce que l’idée de perfection est en soi une idée morale en même temps qu’une idée métaphysique, parce que, selon lui, le moral au fond c’est l’être même. La perfection mérite d’exister, et elle le mérite assez pour exister en fait. En un mot, cette preuve représente ce qu’on appelait au Moyen-Age, la Via eminentiae (qui repose sur la via causalitatis) par opposition à la preuve ontologique ou Via asei­tatis ; toutes les deux sont dans saint Anselme et très distinctes. Les modernes (Descartes et Bossuet en particulier) ne tiennent pas compte des lois fondamentales de l’être qui régissent l’unité et la multiplicité, ce qui serait pourtant nécessaire pour déterminer le rapport de dépendance de l’imparfait vis‑à‑vis du parfait. Aussi la preuve semble bien supposer chez eux qu’on connaît a priori que l’Infini est possible.
  19. Il s’agit en effet de se demander si chacun possède par lui-même cette perfection limitée : La question n’est pas de savoir si la perfection par essence, c’est-à-dire dans sa plénitude, convient à chacun de ces êtres. Il est trop évident que non. Si l’on inférait immédiatement : chacun ne possède donc qu’une perfection participée, ce serait, sous prétexte de réalisme, se faire la part trop belle que de donner au mot participé son sens plein qui implique dépendance réelle vis‑à‑vis d’un être existant. – Si l’on tenait à raisonner de cette manière, il faudrait pour éviter toute pétition de principe recourir à l’irréductibilité de la dualité et de l’Absolu.
  20. Remarquons qu’il n’est pas absolument nécessaire de recourir à ce principe pour ce qui est de l’existence ; et c’est elle qu’il importe le plus, de dégager. Elle ne saurait en effet appartenir à un être que de deux manières : per se primo, ou bien à titre de prédicat accidentel. Elle ne peut jamais appartenir per se non primo ; c’est-à-dire à titre de propriété d’un pré­dicat essentiel supérieur, comme avoir ses trois angles égaux à deux droits appartient au triangle isocèle (rien en effet ne saurait être cause de sa propre existence), ou à titre de prédicat essentiel ultérieurement déterminable, comme la vie appartient à la plante (l’existence en effet à raison d’ultime actualité). – Or elle ne peut appartenir per se primo qu’à un seul être ; tous les autres êtres ne peuvent dès lors la posséder qu’à titre de prédicat accidentel, et donc il est évident qu’elle est en eux quelque chose de causé. – Pour les perfections qui peuvent convenir per se non primo (la vie à la plante), on ne peut montrer qu’elles ont besoin d’une cause qu’en recourant au principe cité.
  21. Avoir ses trois angles égaux à deux droits convient à l’isocèle per se, id est non per accidens, sed non primo, id est per aliud ; cet attribut lui convient non pas en tant qu’il est isocèle, mais en tant que triangle. Ce n’est pas une de ses propriétés, c’est une pro­priété d’un de ses prédicats essentiels supérieurs. Cf. Jean de saint Thomas, Cursus Theolog. Q. 44, disp. 18, a 1. n° 11. Saint Anselme, pour la question qui nous occupe, Monolog. c. 1, se sert de ce terme « per aliud » dans son acception la plus exacte : « Quaecumque dicuntur aliquid, ita ut ad invicem magis aut minus, aut equaliter dicantur, per aliud dicuntur... Ergo cum certum sit, quod omnia bona, si ad invicem conferantur aut aequaliter aut inaequaliter sint bona, necesse est omnia sint per aliquid bona, quod intelligitur idem in diversis bonis... Ergo consequitur, ut omnia alia bona sint per aliud, quam quod ipsa sunt, et ipsum solum per seipsum. At nullum bonum, quod est per aliud, est aequale aut majus eo bono quod per se est bonum. Illud itaque est summe bonum quod est per se bonum. »
  22. I. C. Gentes ch. 22. « Omne quod alicui convenit quod non est de essentia ejus, convenit ei per aliquam causam. Ea enim quae per se non sunt unum, si conjunguntur, oportet per aliquam causam uniri. » I C. Gentes ch. 18, 7 § « Ante multitudinem oportet inveniri unitatem. In omni autem composito est multiludo. Igitur oportet id quod est ante omnia, omni compositione carere. » Cf. etiam I C. Gentes c. 42 § 7. I de Pot. q. 7. 1. Comment la composition de genre et de différence se ramène, elle aussi, à celle de puissance et acte et et doit avoir un fondement dans la réalité, cf. Jean de S. Saint Thomas. Cursus Theol. Ia q. III disp. IV a. 5 n° 5.
  23. De div. Nom. Ch. 5 l. 1. ch. 13. – Cf. Ia q. 65 a. 1. de Veritate q. 2 a. 14. Ia q. 6, a. 4. q. 44, a. 1. I C. Gentes c. 28 § 5. c. 41 § 3. c. 42 § 16. II C. Gentes c. 16 § 9. Le P. Lepidi dans son « Examen philosophico-theologicum de Ontologismo » Louvain 1874, p. 271, donne une excellente interprétation littérale de la 4a via ; elle revient à ce qui est dit au I. C Gentes c. 28 § 5 « ex eo unumquodque ostenditur magis et minus esse perfectum, quod ad mensuram sui generis magis vel minus appropinquat » ; mesure réelle, dit le P. Lepidi, car les différents objets ne sont mesurés par elle, que parce qu’ils en sont des participations. –La démonstration, selon nous, ne s’achève et n’est vraiment rigoureuse que si l’on remonte au principe plus général des rapports de l’un et du multiple ; c’est ce que fait S. Th. I. C. Gentes ch. 42. § 16 « In unoque genere videmus multitudinem ab unitate procedere ; et ideo, in quolibet genere, invenitur unum primum, quod est mensura omnium, quae in illo genere inveniuntur. Quorumcumque igitur invenitur in aliquo uno genere convenientia, oportet quod ab aliquo uno dependeat. »
  24. Cause formelle extrinsèque qui doit nous conduire à la cause efficiente lorsque nous considérerons que telle perfection, la vie par exemple, est actuellement réalisée à un degré inférieur dans telle plante.
  25. On nous objectera que la raison d’imperfection et la considération des degrés n’intervient plus nécessairement dans la preuve, telle que nous l’entendons. Car le principe : « Omne, quod alicui convenit, non secundum quod ipsum est, per aliquam causam ei convenit » s’applique aussi bien lorsqu’un caractère qui appartient à une chose se retrouve en d’autres à un degré égal. Dans les deux cas, en effet, il n’appartient pas à la chose, selon ce qui la constitue en propre, et donc, dans les deux cas, il fait appel à une cause extrinsèque. Mais lorsque le caractère se retrouve au même degré dans tous les êtres dans lesquels il est susceptible de se réaliser, il sera nécessairement causé en tous (c’est le cas du caractère spécifique) cf. Ia q. 104, a. 1 ; tandis que celui qui se trouve réalisé à des degrés divers pourra être causé en tous moins un, et c’est ce dernier, auquel appartiendra per se primo et formellement, qui sera la cause. De cette seconde catégorie, sont les caractères dont le concept n’implique aucune imperfection, être, vie, intelligence, vérité, bonté, etc., ils font appel à un premier être, première vérité, etc. qui doit être l’Être même, la Vérité même. – Dans la première catégorie sont les caractères dont le concept implique une imperfection ; ainsi, toutes les réalités qui contiennent dans leur définition une matière commune (comme l’homme, l’animal). Cette matière commune peut bien être pensée, abstraction faite des différences individuelles, mais elle ne saurait exister ainsi ; s’il existe de la chair et des os, matière commune de l’homme, ce sera nécessairement telle chair, tels os. Il ne saurait donc y avoir d’homme en soi réellement existant. Ce n’est pas à dire qu’il ne faille pas une cause réelle pour expliquer le caractère d’humanité qui se répète dans tous les hommes (multitudo non reddit rationem unitatis) ; mais cette cause ne saurait, comme il arrive dans la première catégorie, contenir formellement la détermination propre de l’effet ; elle ne peut la contenir que virtuellement. Sans doute une cause qui ne contient que virtuellement la forme de l’effet ne saurait le déterminer ; il faut pourtant qu’elle le détermine... Cette détermination, avons-­nous dit plus haut, ne saurait exister, abstraction faite des différences individuelles, que dans une pensée. Dès lors tout s’explique, si l’on admet que la cause formelle extrinsèque est présente comme idée dans l’agent qui, par nature, ne contient que virtuellement la forme de l’effet. – C’est ce qui reste de la dialectique platonicienne chez saint Thomas. Cf. Ia q. 6, a. 4. Je ne fais ici que traduire ce qu’écrivait Cajetan in Iam q. 65. a 1. « Quandocumque in diversis invenitur aliquod unum specie, genere, sive analogia, oportet vel quod in omnibus illis illud unum sit causatum ab aliqua causa extrinseca, vel quod unum sit causa et reliqua sint causata ab eo cui primo illud convenit. »
  26. C’est ainsi que raisonne saint Anselme au ch. IV de Monol. Ce raisonnement sup­pose qu’il est démontré qu’une multitude actuellement infinie est quelque chose de con­tradictoire. Pour nous, nous nous garderons de faire reposer une preuve de Dieu sur cette proposition qui n’a jamais été démontrée. Saint Thomas, dont l’opinion semble avoir varié sur ce point, disait encore dans le « De Aeternitate Mundi ». Opusc. XXVII, à la fin : « adhuc non est demonstratum quod Deus non possit facere, ut sint infinita actu ». Et dans le XII quod. art. 2 : « facere infinita esse simul actu non repugnat potentiae Dei absolute, quia non implicat contradictionem ». Un nombre infini est contra­dictoire, une série innombrable infinie ne semble pas l’être. Cf. Tolet, in Iam q. 7. a. 4. Si saint Thomas au X Métaphy. leç. V nous dit : « in quibuscumque est invenire magis et minus, est invenire maximum, cum non sit procedere in infinitum » il faut entendre : cum non sit proredere in infinitum in quocumque causarum genere, il s’agit ici de la cause formelle. cf. II Méta. leç. II.
  27. Ier Essai de logique générale, t. III. p. 242.
  28. Cf. Jean de saint‑Thomas. Cursus theolog. q. 44 disp. XVIII a. t. n° 11 « ... Tunc autem aliquid recipitur in partem quando cum aliquo alieno miscetur ; et sic non manet in tota sua puritate ; quando autem est immixtum et purum, tunc dicitur manere non parti­cipatum, sed per se tale, non solum perseitate intrinseca et essentiali (per se non primo) ; sed perseitate solitudinis seu singularitatis, quia est sine altero, et sine consortio alicuius mixtionis, quod est esse abstractum. Et ad hoc adducitur exemplum de igne et ignito, qua­tenus ignitum aliquid dicit praeter essentiam ignis, ignis autem solam essentiam ignis dicit, licet non importat formam in abstracto : sufficit quod comparetur ut impermixtum et solam essentiam rei habens, ei qui habet cum limitatione et consortio alterius limitantis sicut ignitum respectu ignis. (Ainsi se légitime l’emploi de cet exemple dans la 4a via dont J. St‑Th. nous donne ici le meilleur commentaire). Et hoc modo, quod sic essentialiter est tale est causa ejus quod participative est tale, quia pars a toto derivatur, et quod est per aliud naturaliter subordinatur ei, quod est per se non determinando modo in quo genere causae : de hoc enim statim dicemus. Cf IV Mét. lec V. « Omnia contraria reducuntur ad unum et multitudinem. » – I c. Gentes ch. 18 § 5, « In quolibet genere tanto aliquid est nobilius, quanto simplicius » (vide Ferrariensis). – I C. Gentes ch. 28 § 3. – Ia q. 3. a. 7 ad 2um, – 9. 4. a. 1. ad 1um et ad 3um.
  29. Lorsqu’il s’agit du mouvement le raisonnement d’Aristote qui conclut à la réalité de la puissance, principe du mouvement, revient à ceci : Ex ente (in actu) non fit ens : quia jam est ens. – Ex nihilo nihil fit. – Et tamen fit ens. – Ex quo fit ? Necesse est quod sit ex ente non id actu, ex ente indeterminato, quod potest determinari, et hoc vo­catur potentia. Dans l’ordre statique, la puissance réelle est requise par un raisonnement analogue ; Voici un acte qui en fait est limité, affecté d’une limite différente suivant les cas, ce qui prouve évidemment que son concept ne comporte aucune de ces limites. Cet acte, limité en fait, ne peut l’être par lui‑même, ni par le néant, ni par un autre acte (ex actu et actu non fit untun per se) ; entre le néant et l’acte, nous sommes obligés, ici encore, d’admettre un intermédiaire : la puissance réelle, capacité réceptive, qui imposera une limite à la détermination reçue, du fait même de la réception. – Doctrine fondamentale chez saint Thomas ; pour citer un passage entre mille. Cf. de Potentia q. 3 a 1. ad 17um. « Deus simul dans esse, producit id quod esse recipit. »
  30. Ia q. 47. a. 1. – de Potentia 9. 3. 16. – 9. 7. 1. – 9. 3. 6. – Diony, 2, leç. 2 et 6.
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